« L’impasse » de Lionel Jospin, Ed. Flammarion, 184 p, 12 euros

mardi 13 novembre 2007.
 

« Longtemps, je me suis exprimé avec retenue. Je dirigeais un parti, je gouvernais, je devais rassembler la gauche. J’agissais. » Ainsi commencent les 140 pages du petit livre que Lionel Jospin a écrit en homme « libre », après la « défaite ».

« Les socialistes se sont laissé persuader de choisir comme candidate, sur une promesse de victoire », celle qui était la moins capable de gagner ». Lionel estime avoir « mis en garde », puis « participé à la mobilisation sur le terrain », mais « notre candidate a mené campagne comme elle l’entendait : avec sa façon d’être, ses mots, et ses actes. » C’est une « impasse », il faut en sortir, tout est dit dès la première page du livre.

Sauf une question, à notre goût : c’est que ce n’est pas le choix de la personne (encore qu’il fut en effet, mauvais) qui a conduit à la défaite. Mais le contenu de la « synthèse » et du « projet ». c’est-à-dire la base politique qui a prévalu, dans le parti à la campagne, au delà de la personne choisie qui l’a, en effet, interprétée de manière aggravante.

D’une élection à l’autre :

Lionel Jospin maintient que l’échec du 21 avril 2002 était lié à la division et au « masochisme » de la gauche plurielle. Pourtant, il n’y avait pas plus de candidats ni davantage de division qu’en 1995 lorsque Lionel Jospin était arrivé en tête avec 25 % des voix ! C’est donc qu’il y a forcément une autre explication.

Lionel Jospin écarte l’idée que « la gauche a été battue parce qu’elle n’avait pas conduit une bonne politique » (p.15) . Parce qu’elle a été partagée par toute la gauche au gouvernement et qu’il n’y avait pas eu d’accord sur ce qu’aurait été « la bonne politique ». Il affirme même que « le Ps n’explique pas l’échec » (p.15) . Mais là, c’est un peu facile : car ce qui était acté au gouvernement s’imposait d’autorité aux autres composantes de la gauche, et aucune tentative sérieuse pour construire un programme commun n’a été mis en œuvre, Lionel Jospin a préféré l’inversion du calendrier comme méthode pour assurer sa domination par autorité sur la gauche. Quant au contenu de la politique, il s’est passé quelque chose au moins parmi les électeurs puisque ceux-ci ont glissé à gauche : les partis de gouvernement de la gauche ont baissé fortement et les partis non gouvernementaux de la gauche ont fait une percée historique, absolument surprenante. C’est donc que les électeurs ont voulu signifier quelque chose : il n’y a pas eu de basculement vers la droite, mais un basculement à gauche au sein de la gauche. La gauche, au total, avait plus de voix que la droite ! Même si cela ne fait pas une politique alternative, cela indique une direction, une volonté politique de l’électorat que la gauche sortante n’avait pas pris en compte. Cela était déjà contenu dans les votes aux municipales en mars 2001, avait été souligné, expliqué par la Gauche socialiste, mais pas entendu.

Lionel Jospin affirme qu’il a eu raison de se retirer et que, battu, il était une gêne pour la bataille du parti lors des législatives, (p.13) donc il permettait à la gauche de s’en sortir mieux s’il assumait son échec personnel « en quittant la vie politique ». C’est une thèse que l’on ne peut plus, hélas, contester dans les faits. Mais il eut été possible de prendre acte de cet échec, d’en assumer la responsabilité, et d’en déduire des lignes d’action différentes : Lionel Jospin disposait du pouvoir parce qu’il lui avait été donné par le Parlement, pas par la présidentielle, il devait quitter le pouvoir lorsque le Parlement aurait été ré élu, il annonçait qu’il prendrait le recul nécessaire, en gérant les affaires courantes selon son mandat, et passerait alors la main aux nouveaux responsables désigné par les électeurs. L’effet eut été aussi sérieux mais plus protecteur pour toute la gauche. Sans doute certains « chefs » se seraient-ils moins précipités pour appeler à voter Chirac et aurions-nous mieux défendu les aspects positifs du bilan du gouvernement sortant, quitte à améliorer le contenu du « projet » législatif. Et Lionel Jospin aurait été en position de demeurer « en réserve » : c’est toujours mauvais exemple de dire aux jeunes qu’on « quitte la vie politique » alors que tant de combats, d’obstination, de rebondissements sont nécessaires pour faire triompher les idées de gauche. Lionel Jospin aurait été le candidat qui gagnait la fois suivante, la troisième.

(Cette solution, je l’aurai défendue, le soir même du 21 avril, si nous avions été consultés, nous qui étions dans le bureau national juste à côté, et qui avons été réduits à la passivité, devant la décision solitaire, du candidat : faire fonctionner les instances, nous demande Lionel Jospin, à la fin de son livre).

Le tournant du referendum :

Là, on a des doutes : Lionel Jospin explique assez légèrement, c’est le point le plus faible de son livre, qu’il ne fallait pas demander de referendum « aléatoire » sur le TCE, la voie parlementaire étant « sans risque ». (p.18) « Au lieu d’exiger du président un referendum qui allait les diviser, ils pouvaient prévenir Jacques Chirac qu’ils n’appelleraient pas à voter oui en cas de referendum » (p.20).

Là, c’est un peu, sinon franchement, antidémocratique. En 1992, Lionel Jospin rappelle que le refus fut évité de peu sur Maastricht. Le peuple est souverain, c’était une raison de plus pour exiger un referendum alors qu’il s’agissait, excusez du peu, d’une « constitution européenne » pour 50 ans, comme l’expliquait Giscard d’Estaing, son promoteur. D’ailleurs, il faut le rappeler, tous les partis réclamaient de Chirac un referendum, inclus son propre parti, l’Ump, soit 100 % des partis de l’extrême droite à l’extrême gauche. Que Le Ps essaie de l’empêcher en essayant d’imposer la voie parlementaire, aurait ressemblé à un escamotage, à un déni de démocratie et aurait in fine échoué. Là, Lionel Jospin n’est vraiment pas crédible.

Ensuite, il fallait assumer et écouter le peuple de gauche, encore une fois : le referendum interne n’a pas été sincère, et il a débouché sur une épreuve de vérité incontournable, 59 % des électeurs socialistes ont voté « non », parmi les 75 % d’électeurs de gauche qui ont rejeté le traité ultralibéral.

Lionel Jospin a cependant raison de rappeler comment il avait préparé le parti par trois grandes conventions, ou les militants votaient, en 1996, a la victoire de juin 1997. François Hollande eut été inspiré de mener un tel débat démocratique de 2005 à 2007 pour préparer la présidentielle, mais il a préféré l’obscure opération de la « synthèse » et d’un « projet » qui en découlé sans débat. (p. 21) Donc sans que le parti s’en empare vraiment ce qui a permis toutes les interprétations, lors de la présidentielle.

La désignation :

« L’idée » de mon retour » ? (p.23) . Selon nous, Lionel Jospin aurait du s’imposer. Mais les conditions de sa sortie, puis de son « exil » politique volontaire, ne le permettaient pas. Il aurait fallu aussi qu’il se soumette à un « devoir d’inventaire », et qu’il défende un projet nouveau, tirant les conséquences de l’échec de 2002, ce que le parti n’avait pas fait, entre temps. Pour cela, il eut fallu renouer les liens de toute la gauche, tenir des conventions comme celles de 96, des « assises » unitaires, cela ne s’improvisait pas au dernier moment. Mais n’étant pas candidat, n’ayant pas fait le travail actif, utile, dans les cinq ans, Lionel Jospin se condamnait en ré apparaissant juste avant les désignations à n’être pas entendu. Son successeur, François Hollande, a été tributaire, pourtant de cette ambiguité jusqu’au dernier moment : en tant que Premier secrétaire, dés le 22 avril, et encore plus lors des congrès de Dijon, et du Mans, toute équivoque aurait du être balayée, et le premier secrétaire confortée comme le candidat naturel...

« Ma présence dans certaines instances du parti aurait peut-être été utile pour participer aux échanges et aider à la prise de décision lors de moments politiques clefs » (L’Impasse, p.25).

Lionel Jospin a ensuite raison de défendre « ce parti, une authentique formation de gauche, ni un rassemblement de notables, ni un mouvement populiste » ou « on trouve d’extraordinaires ressources de dévouement, de désintéressement, et de travail, en particulier, chez les militants ». C’est un parti représentatif de la diversité de la société française, « ou les militants ont le goût du débat et une vraie culture démocratique ». Il s’étonne donc que des « structures parallèles » du type « Désirs d‘avenir » aient servi de tremplin à une candidate qui s’est présentée comme « seule face a un appareil » (p. Dés lors ce qui aurait du compter ne devait être ni l’écart dans les sondages, ni les promesses (médiatiques) de victoire, mais « la personnalité véritable des candidats, leur vision de la politique, leur aptitude à convaincre les Français dans une longue campagne et leur capacité respective à exercer la charge de l’Etat ». Et là, Lionel Jospin marque des points quand il dénonce la « dépolitisation du choix » (p 32) , la distance prise avec le parti, la recherche de propositions destinées à marquer la singularité, la distance : encadrement militaire des jeunes délinquants, carte scolaire, jurys citoyens, démocratie participative,etc... « De tels errements n’auraient pas été possibles, si le parti socialiste avait su conduire de façon pleinement politique son processus de désignation ». (p.33)

Oui, mais n’y a t il pas eu l’hypothèque de ce départ de 2002 qui n’en était pas un tout à fait, de cette omniprésence qui a dominé le Premier secrétaire, et de ce quiproquo qui, entre la femme et son compagnon, s’est surajouté : jusqu’au bout, certains pouvaient même croire que la candidate se retirerait devant le premier secrétaire. Jeux de dupes, largement racontés, depuis, dans de nombreux livres... mais qui ont obscurci tout le travail politique de fond, du « projet », des thèmes de campagne, avec, en plus ces double « jeux » de la candidate, tantôt « socialiste », tantôt « libre », tantôt à gauche, tantôt jouant de la « triangulation » (sic)...

La campagne :

Ségolène Royal n’a été en rien une « victime » (p.38), et l’élection était gagnable (p.41) ! JP Chevénement qui a contribué à faire perdre en 2002, est invité en 2007 à la désignation de la candidate alors que le Premier ministre de 1997 à 2002 n’y est pas invité : tout un symbole, il ne sera jamais question du bilan (mitigé mais honorable) de la gauche au gouvernement entre 1997 et 2002 comparé a celui, catastrophique de la droite, entre 2002 et 2007. Pourtant, écrit Lionel Jospin j’étais disponible et j’ai répondu aux (rares) demandes qui m’ont été adressées, j’ai fait campagne. S’il tire le bilan de la défaite, c’est donc, soigneusement après, de façon responsable. Là, il raison à 100 % ; nous ne referons pas ici les démonstrations contre les propos de la candidate sur la carte scolaire (p 52) , les jurys citoyens et la démocratie participative (p.48), l’insécurité et l’encadrement des jeunes délinquants (p.54) , « étranges propositions » en effet (p.47).

Les résultat sont nets : Ségolène Royal passe de 54 % d’intentions de vote à 46 % en six mois de campagne. Elle ponctionne les voix de l’extrême gauche mais perd des voix au profit du centre : au premier tour, la gauche fait moins de voix (36,44%) en 2007 qu’en 2002 (40, 91 %). Et au deuxième tour, elle obtient moins (46,94 %) que Lionel Jospin en 1995 (47, 40 %) alors que le contexte politique était plus favorable.

Ségolène a refusé de contester le bilan de la droite (p.63 et 65), d’affronter leurs six années de bilan catastrophique. Elle a, « contre tout bon sens et au mépris des faits, commencé sa campagne en critiquant les 35 h, une mesure phare de notre gouvernement » (p.67) . Elle pouvait faire un socle de la politique de 1997-2002 et proposer d’aller plus loin (p. 64) (ce que Lionel Jospin lui-même aurait du faire dans sa campagne de 2002). Elle a fait des improvisations hasardeuses (Chine, Iran) au lieu de défendre les fondamentaux (p.75). Cela sera partiellement rattrapé aux législatives où « le parti » fait mieux que Ségolène, obtenant le 17 juin une presque majorité en voix, et 35,36 % de sièges à l’Assemblée (alors que Ségolène obtenait 25,85 % des voix). (p.87). Fin de partie : « Ségolène Royal a propose une alliance explicite a un leader, Bayrou, et a un parti le Modem, qui avaient toujours été classés à droite et avaient participé a des gouvernements conservateurs. » (p.81) C’était une rupture tranchée avec la stratégie d’alliance suivie par le Parti socialiste depuis sa refondation en 1971. Cela sans qu’aucune instance du Parti n’ai à en connaître, ni le Bn, ni le conseil de la candidate, ni les militants. « Je ne connais pas de précédent à une telle indifférence à l’égard du parti sur des questions majeures ». La démocratie participative a été aussi malmenée que la démocratie représentative ! (p. 82) « Le supposé lien direct avec les Français, qui était au principe de la campagne de Ségolène Royal et son argument initial, n’a pas résisté à la confrontation électorale. » (p.84) Lionel Jospin a totalement raison sur ces points.

La droite :

Lionel Jospin explique qu’il penche « jusqu’ici personnellement » pour un régime plutôt présidentiel : ce en quoi, il a tort, totalement selon nous bien qu’il souligne la « confusion des pouvoirs ». Mais nous y reviendrons en critiquant les « travaux » du comité Balladur-Lang.

Et surtout en soulignant que l’omni-président Sarkozy, en voulant remettre en cause « 60 ans » de l’histoire sociale de France, c’est une autre menace, une autre violence contre le socialisme, la solidarité, que tout ce que nous avons connu jusque là, y compris les 5 dernières années. Sa méthode autoritaire, personnalisée, va de pair avec la violence de sa « contre -révolution conservatrice ».

Les gauches d’aujourd’hui :

Lionel Jospin écrit un chapitre, parfois excessif, (Lutte ouvriére n’est pas une secte, le trotskisme est une culture encore nécessaire) mais avec des aspects succulents sur « les révolutionnaires sans emploi : « Se prétendre révolutionnaire quand on ne peut pas faire la révolution, c’est tromper les autres et se leurrer soi même ». (p.101) « L’extrême gauche ne fait ni révolution ni réformes » (p.102). Ne pouvant pas prendre le pouvoir, et ne voulant pas l’exercer, elle devrait cherche à influencer ceux qui, à gauche, en acceptent l’exercice ». ! Mais non : alors elle pèse pas, n’entraîne pas, ne stimule pas, elle réprouve, elle contrarie, elle décourage. (p. 102)

Un « parti communiste sans destin », et « l’écologie, une idée sans troupes », un PRG dépendant du Ps, un MRC suspendu a son unique leader, le Ps a donc des responsabilités nouvelles : mais pour cela, pas question de recommencer l’erreur Ségolène Royal, elle n’a “ni les qualités politiques ni humaines” d’être à nouveau la candidate, pas plus dans 5 ans qu’hier (p.120). Il faut un « constructeur » (p.121) consensuel, fort, capable de rendre aux militants du PS un destin commun !

Lionel Jospin donne de bons conseils pour faire fonctionner correctement le parti, ses instances (p. 138) : oh que oui, cela ferait du bien ! Tout le contraire de François Rebsamen et Patrick Menucci qui veulent avec Ségolène Royal “supprimer la proportionnelle” et donc limiter débats et démocratie interne.

Mais les alliances selon Jospin doivent être claires : écarter la tentation de l’alliance au centre (p126) « l’essentiel réside, pour le PS, dans la reconstruction de ses propres forces, sinon il risquerait de nourrir l’actuel entre a ses propres dépens. » “Il faut accepter l’économie de marché mais pas la société de marché”. Et il faut “un grand parti de toute la gauche : rassembler dans une même formation politique toutes les forces qui travaillent à faire vivre des sociétés post-capitalistes." (p. 137) Une formation unique ? Une fédération ? Vers un « grand parti échappant enfin à la guerre des deux gauches, réformiste et radiale ». (p. 139). Là c’est une conclusion qui nous convient. Mais pourquoi, alors Lionel Jospin a t il voté DSK lors de la désignation ? Ca ne semble pas du tout sa politique ?

A lire, donc, avec esprit critique et respect.

Gérard Filoche, 11 novembre 2007


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message