Enseignement : La « vérité » sur les notes

samedi 16 décembre 2023.
 

« Je veux faire la vérité sur les notes », a déclaré Gabriel Attal lors de l’une de ses nombreuses déclarations autour de son fameux "choc des savoirs" qui a suivi la publication de l’enquête PISA. Mais cette « vérité » sur les notes n’est que démagogie et ne résiste pas à la science et même au « bon sens »

Le Ministre dit dans la lettre qui leur est adressée, vouloir redonner la main aux enseignants et « restaurer l’autorité de leur expertise pédagogique ». Pour cela, outre leur laisser le dernier mot pour le redoublement, il annonce prendre une circulaire pour supprimer le « “correctif académique” dès la session 2024 du brevet et du baccalauréat ». Et il affirme : « ce sont désormais les notes que vous attribuez et elles seules qui détermineront leur obtention par nos élèves ».

Mais si l’on s’en tient à la définition précise, le "correctif académique" dont il parle, pour le baccalauréat... n’a jamais existé en dehors du "bac Blanquer", pour harmoniser les deux épreuves de chaque enseignement de spécialité ! S’il veut parler plus largement de l’harmonisation , on retrouve là une réactivation de la très vieille polémique sur le niveau et les accusations de manipulation des notes. Y a-t-il une « surnotation » ? C’est un marronnier du bac où l’opinion publique et les médias shootés à la sélection et un élitisme dévoyé, s’indignent des taux de réussite en confondant examen et concours

La suite du courrier adressé aux enseignants mérite elle aussi d’être mentionnée : « mon souhait est bien de remettre de l’exigence à tous les étages. Avec la science et le bon sens comme boussole ».

Cette décision est donc démagogique. Elle cherche à séduire certains enseignants déclinistes et individualistes et accrédite l’idée fausse et populiste d’un mensonge sur les résultats des examens. Elle est surtout dangereuse et inéquitable, aussi bien du point de vue de la science que du bon sens.

Dans quel sens va le bon sens ?

Commençons par le « bon sens ». Tout le monde ou presque peut citer pour lui même ou son propre entourage une situation où un prof vous avait « dans le nez » et vous notait mal. Mais on peut aussi évoquer des situations où pour un examen, la notation semblait injuste et très différente du niveau réel. Je me souviens encore d’un de mes élèves qui avait eu « 1 » en SES au baccalauréat alors qu’il était admis en prépa...

Tout enseignant peut évoquer les réunions dites « d’entente » au bac où pour la même copie-test, les notes données par les correcteurs peuvent aller du simple au double.

Et dans les réunions « d’harmonisation » après la correction, on peut se rappeler du collègue persuadé de détenir la « vérité » qui refuse de bouger ses notes alors que visiblement, il a une moyenne fortement inférieure aux autres pour des élèves semblables.

Oui, il faut le rappeler, la notation peut être aussi le règne de l’arbitraire et donc de l’injustice. C’est une position de bon sens que de l’admettre.

La note est-elle objective ?

La science le dit aussi. Henri Piéron, en 1963, écrit : « Pour prédire la note d’un candidat à un examen, il vaut mieux connaître son examinateur que le candidat lui-même ». L’auteur de cette citation était un des grands spécialistes de la docimologie. On appelle ainsi la science des examens et de la notation et plus précisément l’étude statistique des notes attribuées lors de la correction de copies. De nombreux travaux depuis longtemps ont permis de mettre en évidence un ensemble d’effets contribuant à biaiser la volonté d’objectivité de la notation professorale...

L’expérience la plus frappante est celle dite de la « note vraie ». On considère qu’elle mérite ce qualificatif quand la correction par une personne supplémentaire ne change plus la moyenne obtenue. Dans la première étude, réalisée dans les années 1930, il aurait fallu 128 correcteurs en philosophie, 78 en français, 16 en physique, 13 en mathématiques, etc. Des travaux plus récents n’ont fait que confirmer ce biais.

Et il y a de nombreux autres biais qui affectent la notation : la place dans le paquet de copies, l’heure, les informations données sur les copies ou les candidats (effet de halo) mais aussi le genre ou l’âge du correcteur. On peut évoquer aussi la fameuse "constante macabre" popularisée par André Antibi et qui reprend ce qu’en docimologie on appelle la "loi de Posthumus". L’enseignant tend à ajuster sa distribution de notes en une courbe en cloche (distribution gaussienne pour les amateurs) : les bons, les moyens et les faibles . Au passage, cela rappelle que ce biais peut avoir aussi des incidences sur la fabrication des groupes de niveaux. On est toujours le "faible" de quelqu’un !

Ce que nous dit la docimologie c’est donc qu’il n’y a pas de « vérité de la note ». Il n’y a pas un « 12 » étalon déposé au Pavillon de Sèvres à côté du mètre et du kilo de référence !

Connaitre tous ces biais devrait faire partie de la formation des enseignants et constituer un élément de leur expertise.

Si chaque enseignant essaie, bien sûr, d’être le plus « objectif » possible, il nous faut rappeler que l’évaluation est une pratique sociale, soumise à des normes (culture d’établissement, de la discipline, de la génération...) et sous-tendue par des valeurs. L’évaluation renvoie donc chacun à sa propre conception de la justice et à ses représentations du travail, du niveau, des apprentissages, du pouvoir…

Le « pouvoir » de noter est bien dérisoire et peut être biaisé. Les procédures d’harmonisation et d’entente sont donc légitimes. Les « correctifs », si tant est qu’ils existent, sont une procédure normale. Les supprimer pourrait aboutir à plus d’inégalités en laissant la porte ouverte aux pressions et à l’arbitraire. Il faut donc rappeler que l’évaluation ne peut être une pratique strictement individuelle ou nul ne détient à lui seul la « vérité ». C’est le « bon sens » et la science qui nous le disent...

Philippe Watrelot

Ancien professeur de Sciences économiques et sociales, formateur, militant pédagogique,


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