Riposte de la gauche : les jeunes de la Nupes appellent leurs aînés à « se ressaisir »

mardi 2 janvier 2024.
 

En pleine crise politique de la majorité et alors que l’extrême droite revendique une « victoire idéologique », les responsables des organisations de jeunesse des partis de gauche appellent leur camp à faire « front commun » et débattent des conditions de renaissance de l’union.

Elles et ils se connaissent bien, et certain·es ont même travaillé ensemble pour montrer à leurs aîné·es le chemin de l’unité. À la tête des branches jeunesse des quatre partis de gauche représentés à l’Assemblée nationale, Annah Bikouloulou (Jeunes écologistes), Assan Lakehoul (Jeunes communistes), Aurélien Le Coq (Jeunes insoumis·es) et Emma Rafowicz (Jeunes socialistes) ont accepté d’échanger dans les locaux de Mediapart.

Réagissant à l’adoption cette semaine de la loi immigration et aux menaces qui pèsent singulièrement sur la jeunesse (dérèglement climatique, progression de l’extrême droite…), ils font entendre des petites musiques en phase avec leurs organisations mères, tout en montrant ici et là une plus grande franchise ou davantage d’impatience à bâtir l’union.

Mediapart : Comment doit réagir la gauche face au vote, à l’Assemblée nationale, d’une loi immigration dans laquelle le pouvoir a accepté d’introduire la préférence nationale ?

Aurélien Le Coq : Face à la contamination du macronisme par les idées de l’extrême droite, l’urgence est absolue. Nous n’avons plus de temps à perdre. La Nupes doit se réunir en urgence pour analyser la situation et reprendre le chemin de l’alternative. Le débat pour une liste commune aux européennes doit être rouvert. Notre responsabilité est de stopper net la progression du fascisme, et de battre l’extrême droite dès les élections européennes.

Emma Rafowicz : Le vote de la loi immigration est une douleur pour nous toutes et tous. Après avoir appelé, sans aucune hésitation, à voter pour Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle en 2022, pour faire barrage à Marine Le Pen, nous sommes trahis. La gauche doit se ressaisir.

Nous devons nous structurer pour garantir une candidature commune de la gauche pour l’élection présidentielle de 2027. Nous devons nous démultiplier sur le terrain au travers de grandes actions militantes, gagner la bataille culturelle que nous semblons perdre peu à peu. La droite s’étant désormais compromise, seul notre camp est en capacité de gagner et de sauver la République sociale, humaniste et universelle.

Annah Bikouloulou : L’événement de mardi entérine une extrême-droitisation de la majorité qui avait déjà commencé sous les « gilets jaunes ». Il faut mettre nos querelles de côté et faire front commun. Ce mouvement doit concerner les partis de gauche et leurs organisations de jeunesse, mais aussi les associations antiracistes, les syndicats et les collectifs de migrant·es…

La riposte antiraciste qui doit se mettre en place ne doit cependant pas devenir le prétexte à des politiques d’appareil. Cela ne serait pas à la hauteur du moment. On n’a plus le droit de parler de « mort de la Nupes » seulement parce qu’il n’y a pas de liste commune. Il faut montrer que dans notre pluralité, nous avons toujours un horizon commun – celui de 2027, mais aussi celui, plus imminent, de combattre les idées d’extrême droite. Côté jeunes, nous avons d’ores et déjà réfléchi à de futures actions communes, qui s’imposent plus rapidement que prévu.

Assan Lakehoul : Les Jeunes communistes sont attachés à sécuriser le parcours des personnes migrantes en les accueillant dignement sur notre territoire, en investissant massivement dans la santé, l’hébergement d’urgence et le logement.

Le vote de la loi immigration nous confirme l’urgence d’inciter des milliers de jeunes éloignés de la politique à s’engager. Nous restons mobilisés pour faire grandir le rapport de force qui permettra de construire une société basée sur la solidarité, le partage des richesses et des savoirs, l’émancipation de toutes et tous. C’est ce que nous appelons le communisme.

Face à l’urgence climatique et sociale, dans la foulée de la création de la Nupes en 2022, vous avez travaillé à un programme commun pour inciter vos partis à rester unis aux élections européennes de 2024. À quoi va-t-il servir, puisque chacun partira finalement sous ses couleurs ?

Emma Rafowicz : C’est un programme de qualité, et tous nos partis, à l’exception des camarades communistes, se sont engagés à le reprendre dans des axes de campagne. L’objectif était avant tout de trouver des axes de convergence, ce qu’on a fait. On savait que nos partis se distinguent sur des sujets qu’ils pensent essentiels, comme la conception de l’Europe et le fédéralisme, qui sont des sujets quasiment philosophiques. Malgré tout, les convergences l’emportent.

À la suite de l’écriture de ce programme, on a malheureusement fait le constat d’une division qui n’est pas due au scrutin européen, mais à une panne générale de l’union de la gauche. Nos efforts et notre espace de discussion n’étaient malheureusement pas transposables chez nos aînés. Cela nous appelle à réfléchir à ce que veut dire l’union de la gauche de manière plus pérenne, au-delà d’une élection.

Marie Toussaint, la tête de liste des Écologistes, a fini par avouer que le but de sa candidature autonome était de rééquilibrer le rapport de forces à gauche après les européennes. Est-ce que c’est un objectif à la hauteur du moment ?

Annah Bikouloulou : Il y a eu un vote des adhérents écologistes, qui se sont nettement exprimés en faveur de l’autonomie, on respecte ce vote. Mais le travail qu’on a fait a abouti à quelque chose de pertinent. On a marqué une première étape. Simplement, la Nupes ne se décrète pas, elle se travaille au quotidien, sans négliger le facteur humain.

L’erreur qu’on a faite, c’est de penser que le cadre unitaire allait fonctionner seulement parce qu’il existait. Or il y a eu des dysfonctionnements. À la sortie de nos rendez-vous avec les dirigeants de partis, on a demandé la mise en place d’une Agora de la Nupes. Elle a manqué : sur la situation à Gaza, on s’est par exemple tiré dans les pattes alors qu’on voulait tous un cessez-le-feu. Nous devons réfléchir dès maintenant à ce qui va se passer au lendemain des élections européennes.

Certains responsables sont des enfants gâtés de la Nupes : ils se sont fait élire avec l’étiquette, mais ont abandonné la dynamique unitaire une fois élus.

Aurélien Le Coq, Jeunes insoumis·es : Je partage la fierté d’avoir montré qu’il était possible de se mettre d’accord. On était convaincus que ce résultat était possible. Ce qui est dramatique, c’est qu’on se retrouve maintenant dans une situation où on doit dénoncer exactement les mêmes choses que ce qu’on dénonçait au début du processus : l’irresponsabilité d’un certain nombre de responsables politiques qui refusent d’ouvrir le débat.

Ces responsables sont des enfants gâtés de la Nupes : ils se sont fait élire avec l’étiquette, mais ont abandonné la dynamique unitaire une fois élus. Une partie de nos dirigeants politiques – Marine Tondelier d’emblée, puis Olivier Faure – n’a pas entendu l’appel des jeunes et n’a pas accepté de bouger alors même qu’une voie alternative était possible. Cette élection est la dernière élection nationale avant 2027. Nous lançons donc un appel à tous ceux qui se reconnaissent dans le programme de rupture de la Nupes : ils sont les bienvenus dans la campagne de l’union populaire !

Est-ce que vous admettez que l’attitude des chefs de LFI n’a pas suscité la confiance nécessaire chez ses partenaires potentiels ?

Aurélien Le Coq : Seul le programme compte, car on veut changer la vie des gens. Vouloir rééquilibrer le rapport de forces interne à la gauche au moment des européennes n’est pas à la hauteur. On ne veut pas savoir qui aura dix, huit ou six eurodéputés, mais si on peut gagner sur un programme de rupture.

Emma Rafowicz : Je n’ai pas renoncé à l’union de la gauche, mais on est dans une séquence très dure, notamment parce que Jean-Luc Mélenchon et son entourage sont dans une posture qui est en train de tuer la Nupes. À plusieurs reprises, ils n’ont pas écouté leurs partenaires et ont mis l’union en danger : la prise de position des Insoumis sur l’affaire Quatennens, la sanction prise contre Raquel Garrido qui est de la même durée que celle contre Adrien Quatennens, le changement de position des députés insoumis sur l’article 7 de la réforme des retraites après un tweet de Jean-Luc Mélenchon, etc.

Pendant nos travaux lors du Forum européen des jeunes de la Nupes, je le disais déjà : à chaque tweet de Jean-Luc Mélenchon qui insulte les partenaires, il met en danger la dynamique unitaire. Refuser de qualifier le Hamas de terroriste après le 7 octobre s’inscrit dans la même logique. Tout cela participe à la grande difficulté dans laquelle nous nous trouvons. Il faudrait que les Jeunes insoumis soient le poil à gratter de LFI, comme les Jeunes socialistes ont su être pour le PS pendant longtemps. Emancipez-vous de ce chef qui tire une balle dans le pied de l’union de la gauche.

Vous n’êtes donc pas assez poil à gratter envers LFI, Aurélien Le Coq ?

Aurélien Le Coq : Nous n’avons pas besoin, car nous sommes en adéquation avec le message de LFI et avec Jean-Luc Mélenchon, parce qu’on sait que c’est ce qui fonctionne – autrement, il n’aurait pas obtenu 22 % des voix à la présidentielle.

Le début de ta réponse, Emma, consiste à expliquer que si la Nupes est en difficulté, ce serait notamment à cause de l’expression de Jean-Luc Mélenchon à partir du 7 octobre. Or, cette expression est la même que celle d’Olivier Faure ces derniers jours. Jean-Luc Mélenchon a été le premier à prévenir d’une escalade meurtrière à Gaza, et aujourd’hui on en est à plus de 20 000 morts. De plus, le PS a pris ses distances sur la liste commune aux européennes le 2 octobre, pas le 7. Le fait que la Nupes soit en difficulté vient bien du refus de l’union aux sénatoriales, comme aux européennes, qui n’est pas de notre fait.

Assan Lakehoul, pourquoi les Jeunes communistes n’ont pas participé à ce travail commun ? Quelle est votre position sur la question de l’union de la gauche ?

Assan Lakehoul : Aux Jeunes communistes, les moments d’élections ne sont pas ceux qu’on préfère. Nous pensons qu’il y a des jeunesses et qu’il faut s’adresser à elles dans toute leur diversité, pas seulement à la jeunesse déjà politisée. Une énorme majorité de jeunes ne vont pas s’engager en politique sur la base d’un accord entre formations.

S’adresser aux jeunes en leur parlant d’accords d’appareils, c’est refaire ce qu’ont fait nos aînés et qui n’a pas marché.

Assan Lakehoul, Jeunes écologistes Il y a toute une partie de la jeunesse à qui la gauche ne parle pas : les jeunes en bac pro, en CFA, ceux qui sont en dehors des grandes villes, dans les villages. Heureusement que cette jeunesse n’a pas entendu l’échange qu’on vient d’avoir. D’ailleurs, elle n’y comprendrait rien. Pour s’adresser à elle, il faut partir de ce qu’on vit, de ses aspirations. La réforme du bac pro va la toucher. S’adresser aux jeunes en leur parlant d’accords d’appareils, c’est refaire ce qu’ont fait nos aînés et qui n’a pas marché.

Il y a tout de même un enjeu autour de 2027 : pour mener les réformes que vous souhaitez, il faut gagner. Souhaitez-vous une candidature unique à gauche ?

Assan Lakehoul : Le cœur du problème n’est pas la division de la gauche mais sa faiblesse. Quand la gauche est arrivée au pouvoir en 1981, elle était divisée. Je pense qu’on est face à un risque de marginalisation de la gauche s’il n’y a pas un électrochoc collectif. Avant de réfléchir aux alliances électorales, il faut réfléchir à ce dont on parle. Ce qui fait de nous des irresponsables, ce ne sont pas les divisions, c’est d’occulter les raisons de cette faiblesse.

Emma Rafowicz : Ce n’est pas contradictoire. Face à une extrême droite qui n’a jamais été aussi forte, avoir le sens des responsabilités, c’est avoir le souci de l’union de la gauche. Cela n’empêche pas d’avoir une réflexion sur sa faiblesse. Je pense personnellement qu’il y a une barrière de la langue, et qu’on n’est pas suffisamment engagés sur certains combats. Mais la conclusion ne peut pas être de mener chacun son combat dans son coin.

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Le spectre de la « défaite historique » hante encore les gauches alternatives 17 octobre 2023 Je lance un appel à toutes les organisations de jeunesse ici : faisons des forums de jeunes de la Nupes sur d’autres sujets que les européennes, y compris des sujets clivants, avec des militants jeunes, des syndicalistes, des associations, pour savoir à quoi ressemble une gauche qui gouverne. On ne peut pas partir du principe qu’il est impossible de mettre autour d’une même table Sandrine Rousseau et Fabien Roussel.

Aurélien Le Coq : Le programme de la Nupes n’est pas juste un logo sur un accord d’appareils. C’est la retraite à 60 ans, c’est l’augmentation des salaires, c’est le blocage des prix, c’est le rétablissement de l’ISF, c’est plus d’argent dans l’éducation. On a remporté le premier tour des élections législatives et fait plus de 25 %, c’est un premier pas !

De même, l’union aux européennes ne consistait pas juste à proclamer l’union, elle visait à porter plus fort encore qu’on veut une harmonisation sociale européenne, aller vers un Smic européen, la fin de la directive des travailleurs détachés, remettre en cause l’ubérisation... Évidemment le débat est animé, mais on sait qu’on n’a plus le temps. C’est pourquoi on a dit à nos aînés qu’on allait parler du fond, et pas des personnes – même si nous avions quelques idées pour cette liste commune.

Une partie de la jeunesse se politise aujourd’hui sur la cause palestinienne. Les autorités européennes sont critiquées pour leurs positions faibles concernant les massacres en cours à Gaza. Selon vous, faut-il aller plus loin que les protestations, en édictant des sanctions contre l’État d’Israël ?

Annah Bikouloulou : Les Écologistes demandent évidemment un cessez-le-feu, un cessez-le-siège, la libération des otages et la fin de la politique de colonisation. Nous voulons aussi que des observateurs internationaux et des journalistes puissent aller sur place car on manque d’informations. La France peine à se faire entendre et quand elle y parvient, sa voix est décevante. En France, la gauche n’a pas été complètement au rendez-vous. Il y a eu malgré tout des actions collectives, mais on n’a pas encore trouvé le moyen pour les massifier.

En ce qui concerne les sanctions, à partir du moment où des crimes de guerre ont été commis, que l’on fait face à des actes potentiellement génocidaires, la France et l’Union européenne doivent urgemment adopter des sanctions internationales envers Israël. Sans aller directement sur le terrain des sanctions financières, un panel de sanctions politiques peuvent être mises en place par la France et l’UE. Mais déjà nous demandons un embargo sur la livraison de matériel militaire.

Illustration 4Agrandir l’image : Illustration 4 Annah Bikouloulou à Mediapart, le 18 décembre 2023. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart Emma Rafowicz : Je suis choquée et désespérée par la situation. Malheureusement c’était prévisible. Dès le 7 octobre, on a demandé à ce que la réponse d’Israël soit proportionnée, et le respect du droit international. Or, que ce soit à Gaza ou en Cisjordanie, ce n’est ni proportionné ni respectueux du droit international. La question des sanctions se pose donc, même si je ne saurais pas vous dire lesquelles précisément.

La diplomatie échoue face à la prégnance de l’extrême droite côté israélien comme côté palestinien avec le Hamas. L’Europe doit être plus présente et interventionniste. Le PS devrait utiliser davantage le Parti socialiste européen et l’Internationale socialiste pour porter l’exigence de paix. Mais rien n’est simple dans cette histoire. Et la gauche n’a malheureusement jamais été aussi faible en Israël.

Assan Lakehoul : La question de la paix en Israël et en Palestine est une campagne qu’on mène depuis vingt-huit ans chez les Jeunes communistes. Sur les sanctions, on est un peu gênés car on ne veut pas qu’elles pénalisent les peuples, y compris dans les puissances impérialistes, car les peuples détiennent toujours la solution. C’était déjà le problème avec la Russie. Il ne faudrait pas que les sanctions renforcent finalement les dirigeants concernés.

Depuis longtemps nous sommes engagés dans le boycott des produits fabriqués dans les colonies israéliennes, et pour la libération des prisonniers politiques palestiniens. C’est aussi une des clés pour que la solution d’un État palestinien aux côtés de l’État israélien dans les limites de 1967 soit crédible. On demande enfin à ce que la France reconnaisse l’État palestinien.

Aurélien Le Coq : Il faut hausser le ton fortement pour un cessez-le-feu dans les plus brefs délais. Il y a des moyens de sanctionner l’État d’Israël de manière efficace, par exemple en gelant les avoirs financiers à l’étranger, ceux des plus riches et des proches soutiens du gouvernement israélien. Il faut en faire un sujet aux européennes. Les Insoumis qui seront élus au Parlement européen demanderont à ce qu’un texte soit voté en faveur de sanctions.

Il y a un processus de nettoyage ethnique en cours. L’ONU parle de risque génocidaire. Toute la classe politique pourra-t-elle se regarder dans la glace dans quelques années ? Macron a attendu 50 jours avant d’appeler au cessez-le-feu. La polémique sur les propos de Jean-Luc Mélenchon visait à empêcher qu’une autre voix soit audible, là où le gouvernement résumait tout au droit inconditionnel d’Israël à se défendre.

Nous nous parlons alors que la 28e COP sur le climat s’est achevée sur un accord mitigé, après une année record pour les émissions de CO2. Pour vous, quelle est la priorité stratégique dans la lutte contre le dérèglement climatique ? La bataille électorale, les mobilisations extra-institutionnelles, les négociations internationales ?

Annah Bikouloulou : Cette lutte doit guider toute notre action politique. Les COP sont des moments importants qui obligent à mettre le sujet climatique à l’agenda, mais on avait dès le départ la sensation qu’on se moquait de nous : non seulement elle avait lieu à Dubaï, mais en plus il y avait plus de 2 450 lobbyistes du pétrole, du charbon et du gaz ! Et quand le président de la COP dit qu’il n’est pas prouvé scientifiquement qu’il faut éliminer les énergies fossiles, on se dit qu’il y a encore du chemin à faire.

Emma Rafowicz : On a l’impression que le problème du climat n’est pas considéré à la hauteur de ce qu’il est, c’est-à-dire un moment de bascule à l’échelle de l’humanité. On a manqué une nouvelle fois une étape importante. Au PS, on parle de plus en plus de socialisme écologique, car l’écologie est imbriquée à l’ensemble de notre vision politique. On ne doit négliger aucun niveau d’action : soutenir les associations qui se mobilisent comme les Soulèvements de la Terre (SLT), mais aussi lutter dans tous les hémicycles.

Aurélien Le Coq : La place des lobbyistes fait que la COP ressemble plus à un processus d’escroquerie en bande organisée qu’à une démarche politique volontariste. Et comme il n’y a jamais de dispositif contraignant, ça n’avance pas. Pour notre génération, c’est un drame absolu, car on n’a pas le temps d’attendre. La radicalisation des modes d’action notamment dans la jeunesse s’explique d’ailleurs par ce sentiment de lenteur des institutions. C’est pourquoi il y a un enjeu à prendre le pouvoir en France le plus rapidement possible, pour appliquer la planification écologique et revoir notre système économique en profondeur.

S’il est vrai qu’il faut repenser le rapport au travail, il faut aussi repenser le rapport au temps libre.

Annah Bikouloulou. Assan Lakehoul : À l’heure de la multiplication des conflits armés, on peut se féliciter que des pays se mettent d’accord sur une déclaration commune sans faire parler les armes. Mais on ne peut que regretter qu’ils se retrouvent sur le plus petit dénominateur commun, en parlant de « transition » plutôt que de sortie des énergies fossiles.

Mais comment mobiliser une majorité de gens en faveur d’un autre projet que le système capitaliste ? C’est la question qui doit nous animer. Je suis convaincu qu’une majorité de jeunes ne se reconnaît pas dans le capitalisme. Ils n’ont pas envie d’être en concurrence avec les voisins pour une formation, avec les potes pour un boulot, et d’aller bosser juste pour faire de la thune pour soi ou pour son entreprise.

Mettre du sens dans le travail c’est important, et dans le sens qu’on met au travail, les enjeux écologiques comptent. La jeunesse est une solution pour travailler dans tous les secteurs concernés par la transition écologique. Sur la radicalité, j’émets une réserve : pour entraîner dans la danse la majorité de la population, il faut le mouvement le plus massif possible, et pas forcément le plus radical dans le mode d’action.

Annah Bikouloulou : J’ajoute que, s’il est vrai qu’il faut repenser le rapport au travail, il faut aussi repenser le rapport au temps libre. Si on veut entrer dans une logique de décroissance, il faut valoriser ce qui contribue à la société en dehors de l’emploi stricto sensu. Cela s’inscrit dans l’écologie populaire que nous défendons.

Il y a eu une série de victoires récentes de l’extrême droite en Europe et ailleurs, avec son cortège de violences. Ne trouvez-vous pas que vos formations aînées négligent ce combat ?

Emma Rafowicz : On doit mener la bataille culturelle de manière beaucoup plus forte, car l’extrême droite déroule son discours sans contradiction. Il faut par exemple limiter l’influence de CNews : la question de son droit d’émettre se pose, car elle ne respecte pas son contrat auprès de l’Arcom en matière de diversité d’opinions.

Il faut aussi faire le constat que l’extrême droite est soutenue par une partie grandissante de la droite. Face aux manifestations de l’ultradroite, qui n’est que le bras armé des partis d’extrême droite, après la mort de Thomas à Crépol (Drôme), il y a eu un laisser-faire coupable de la droite et même de Gérald Darmanin.

Illustration 5Agrandir l’image : Illustration 5 Emma Rafowicz, Assan Lakehoul, Annah Bikouloulou et Aurélien Le Coq à Mediapart, le 18 décembre 2023. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart Annah Bikouloulou : De notre côté, nous sommes vigilants vis-à-vis de l’écofascisme. Tout un tas de discours mettent en avant un retour à la nature tendancieux. Sous prétexte d’écologie, ils vont parler de surpopulation à contrôler – on sait ce que ça veut dire. En tant qu’organisation de gauche, on doit être intransigeant sur nos valeurs et nos discours. Enfin, il y a un gros travail à faire sur l’abstention, en particulier chez les jeunes : il y a des gens à aller chercher.

Assan Lakehoul : Il faut aussi se demander pourquoi l’extrême droite est forte. Au-delà de son discours populiste et de sa puissance médiatique, son essor est dû à la crise du capitalisme. Le fascisme a toujours tenté de faire croire qu’il était une alternative à celui-ci alors que c’est “le libéralisme plus le racisme”. Et puis, j’y reviens, sa croissance est aussi un effet de la faiblesse de la gauche – soit parce que la gauche a trahi comme sous le quinquennat de François Hollande, soit parce qu’elle est tombée dans le nombrilisme et l’entre-soi.

C’est pourquoi les JC cherchent à être l’organisation la plus large possible, qui arrive à parler à tout le monde, dans les petites villes et les villages. C’est là qu’on fait reculer l’extrême droite : en Corrèze, dans le Tarn, le Gers, les Vosges, la Sarthe… Dans ces endroits où les jeunes sont éloignés de la politique et votent plutôt Bardella que nous quatre réunis. Quand on se renforce là, on fait reculer concrètement l’extrême droite.

Aurélien Le Coq : Il faut combattre l’extrême droite partout, sur les plateaux de télévision comme à l’Assemblée nationale, comme dans la rue, comme là où elle s’enracine. À LFI on avait lancé une initiative de groupes de militants – les « développeurs » – qui doivent aller dans des endroits spécifiques, notamment ruraux, où le militantisme n’existe plus et où l’extrême droite progresse électoralement.

Le message qu’on doit envoyer à tout le monde, à commencer par la gauche au sens large, c’est : “n’ayons pas peur, relevons la tête”. Oui, on veut accueillir dignement les gens, ne pas les laisser crever dans la rue de faim ou de maladie parce qu’ils n’ont pas les bons papiers dans la poche.

D’autre part, on ne doit pas se vivre comme une citadelle assiégée. Notre objectif reste la victoire. L’extrême droite est utilisée par les plus riches de ce pays pour diviser les classes populaires. Nous devons faire l’exact inverse : l’union populaire. Fédérer le peuple, c’est faire prendre conscience à chacune et chacun que les responsables de leurs problèmes quotidiens, ce sont ceux qui se mettent tout l’argent dans leurs poches sans en redistribuer aucune partie. C’est une stratégie d’éducation populaire.

Mathieu Dejean et Fabien Escalona


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