Emmanuel Macron invente les vœux muets

jeudi 4 janvier 2024.
 

Parmi la petite dizaine de millions de personnes qui suivent encore les vœux annuels du président de la République, les plus anciens y trouvent peut-être le réconfort de l’habitude. Face aux bouleversements de l’époque, une espèce de bain de réminiscence, une madeleine de Proust politique, un quart d’heure d’immuable à l’ère où tout fout le camp. De ce point de vue, l’allocution d’Emmanuel Macron a pleinement joué son rôle.

Pour la septième fois depuis son élection, le chef de l’État a souhaité une bonne et heureuse année au pays. Il l’a fait, à peu de choses près, comme les années précédentes. Et comme ses prédécesseurs. En la matière, le « disrupteur » ne disrupte plus. En 1987, François Mitterrand appelait à « être unis » face aux « turbulences », promettait de « prémunir la France contre ses divisions ». En 2001, Jacques Chirac souhaitait « conforter la cohésion nationale » et « faire réussir la France » face aux « épreuves » et aux « incertitudes ».

Dimanche soir à la télévision, Emmanuel Macron a appelé à « une année d’espérance » et exhorté à ce que « le contexte de crise » fasse « naître le meilleur » du pays. Au rayon des figures imposées, le chef de l’État a dit son « affection » à « celles et ceux qui sont malades ou resteront seuls » et sa « gratitude » aux fonctionnaires qui assurent, le 31 décembre, la « continuité » de l’État.

Pour le reste, l’Élysée avait fait savoir que le discours présidentiel ne contiendrait pas d’annonces et l’Élysée n’a pas menti. Emmanuel Macron n’a rien dit du « rendez-vous avec la nation » qu’il a promis pour janvier, ni de l’agenda des mois à venir. Alors que les rumeurs de remaniement se font de plus en plus sonores et que l’absence de majorité absolue tétanise régulièrement l’Assemblée nationale, il n’a pas non plus donné d’indice sur les ajustements politiques qu’il sera amené à prendre.

Depuis la Guyane, où elle est en déplacement, Élisabeth Borne aura toutefois noté la petite phrase présidentielle à son égard. Listant les lois adoptées par le Parlement, Emmanuel Macron a souhaité « tout particulièrement en remercier la première ministre et son gouvernement ».

Est-ce le remerciement du patron à son intérimaire, comme pour mieux lui signifier la fin de sa mission, ou la marque de confiance ostensible d’un président de la République à sa première ministre ? Le 14 juin 2020, déjà lors d’une allocution télévisée, Emmanuel Macron remerciait Édouard Philippe, son premier ministre de l’époque, qui avait « travaillé d’arrache-pied »… avant de le remplacer deux semaines plus tard.

Peu importe l’identité du chef ou de la cheffe du gouvernement à la rentrée, le cap ne variera pas et c’est peut-être le seul enseignement de ces vœux présidentiels. « Libérer », « protéger », « unir » : « tel est le cap et nous le tenons », s’est félicité Emmanuel Macron. Une manière de continuer à inscrire son action dans un récit dont il paraît, aujourd’hui, bien seul à percevoir la cohérence.

La réforme des retraites et la loi immigration ? Assumées

Durant de longues minutes, le président de la République a détaillé les « grandes transformations » qu’il avait impulsées et les « lois historiques » qu’il avait fait adopter, « bien loin de l’impuissance qu’on nous prédisait ». Il a reparlé des textes de programmation militaire et sécuritaire, des « emplois créés », des « émissions de gaz à effet de serre » en baisse…

À trois ans de la fin de son mandat, Emmanuel Macron a dit vouloir laisser le pays avec « dix ans d’avance, là où en 2017 nous avions dix ans de retard » ; ce qui signifie, sur le plan mathématique, que ses deux quinquennats auront fait avancer le pays de trois décennies. Pas une mince affaire. Et pourtant, l’homme est exigeant avec lui-même. « Je sais les impatiences. Oserais-je dire que je les partage ? », a-t-il demandé à la caméra. L’année dernière, déjà, il avouait s’« impatiente[r], comme vous », en éternel insatisfait.

Pour ce qui est des réticences, des fractures, des oppositions, le chef de l’État a été moins bavard dimanche. Tout juste a-t-il reconnu que la réforme des retraites avait été « impopulaire » ; mais comme toujours, Emmanuel Macron « assume », au nom de ses engagements passés et de la prétendue nécessité du texte. Même la loi immigration, applaudie par l’extrême droite, a été saluée comme porteuse des « instruments nécessaires » pour « faire respecter les principes de la République ».

Alors que certains dans son camp espéraient que les vœux soient l’occasion de clins d’œil à ses soutiens venus de la gauche, ils en ont été pour leurs frais. Les clins d’œil ont été furtifs ; de brèves allusions à la lutte contre les discriminations, « l’écologie à la française » et l’égalité hommes-femmes. Non, Emmanuel Macron n’a pas dévié d’un iota dans sa stratégie politique.

La mission civilisatrice d’Emmanuel Macron

Le socle de son soutien électoral est à droite, son unique partenaire politique est à droite, incarné par le parti Les Républicains (LR). Alors, la suite de son quinquennat s’écrira encore à droite. Le chef de l’État a promis « d’accélérer encore » et adressé au camp conservateur plusieurs formules qu’il affectionne. Sur le plan économique, l’enjeu sera de « simplifier drastiquement la vie », et notamment celle des élus, des entrepreneurs ou des artisans ; une ode à la suppression des normes que LR revendique comme un mantra.

À l’école et dans la société, il s’agira pour le gouvernement d’opérer un « réarmement civique ». Reprenant les accents civilisateurs esquissés à l’été 2022, Emmanuel Macron n’a pas prononcé le mot de « décivilisation » mais il l’a pensé très fort. « Nous continuerons de rétablir l’autorité partout où elle manque », a-t-il promis, ouvrant la voie à des réformes en matière d’école, d’enfance et d’éducation.

À rebours de son propos de début 2017 que la droite et l’extrême droite lui reprochent encore aujourd’hui (« Il n’y a pas une culture française »), Emmanuel Macron a lancé : « La France, c’est une culture, une histoire, une langue, des valeurs universelles qui s’apprennent dès le plus jeune âge. » Autour de lui, plusieurs voix le pressent d’annoncer dans les semaines à venir la généralisation du service national universel (SNU).

En envoyant de tels signaux à son électorat, le président de la République a tenté de le mobiliser dans la perspective des élections européennes. Un scrutin dont il a dramatisé les enjeux, détaillant les « choix décisifs » à faire. « Continuer l’Europe ou la bloquer », « poursuivre la transition écologique ou revenir en arrière » : une manière, binaire sinon caricaturale, d’habituer ses soutiens à l’idée d’un face-à-face avec le Rassemblement national (RN). Une tentative, aussi, de se distancer d’un parti d’extrême droite qu’il a contribué à légitimer ces derniers mois et ces dernières années.

« Beaucoup de notre avenir se déterminera » en 2024, a lancé le chef de l’État. Et de faire de l’année à venir un « millésime français », citant l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques, la tenue d’un sommet de la francophonie ou la réouverture de Notre-Dame de Paris. « Nous sommes une nation de compagnons, de bâtisseurs », a-t-il assuré. Et puis, La Marseillaise a retenti, les grandes chaînes ont laissé place à leurs programmes habituels du réveillon et la sempiternelle parenthèse s’est refermée.

Ilyes Ramdani


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