Drogues : la réduction des risques contre le capitalisme

dimanche 3 mars 2024.
 

Le mois de janvier 2024 a offert un raccourci saisissant des contradictions des droites en matière d’usages de drogues (licites et illicites). D’un côté, le gouvernement refuse de soutenir, et même dénigre par la voix de certains de ses membres, la campagne Dry January qui propose de s’interroger sur sa consommation d’alcool en faisant une pause pendant un mois. Cela est dans la droite ligne du refus du gouvernement de soutenir la moindre politique de prévention à l’occasion de la coupe du monde de rugby ou d’autres manifestations sportives. De l’autre, ce même gouvernement bloque, au dernier moment, l’ouverture d’une salle de consommation à moindre risque (halte soins addiction) à Marseille alors que de nombreuses associations locales en collaboration avec la mairie de secteur avaient préparé de longue date cette initiative, y compris auprès des riverains. Exactement la même situation de blocage s’était produit dans l’agglomération lilloise en 2023. A la manœuvre, on retrouve toujours les mêmes : le ministre de l’intérieur G.Darmanin et ses sbires au sein de la macronie (notamment S.Agresti-Roubache pour le volet marseillais).

On connaît l’argumentation tautologique : l’alcool (licite) ce n’est pas de la « drogue » (illicite) et doit être traité différemment, à cela il est régulièrement ajouté que c’est une tradition française et « ce ne sont pas ces intellos de Paris qui vont dire au bon peuple ce qu’il doit faire, hein ? ». Or, le caractère licite ou illicite ne dépend que dune définition légale relevant de choix politiques et sociaux (stigmatisation de certaines populations) et donc forcément mouvante. En termes de santé publique, les données sont très claires . Mais nous savons que ce gouvernement ne suit aucun chemin rationnel si ce n’est ceux de la flatterie des préjugés irrationnels de son électorat bourgeois et vieillissant sur les drogues (tout en se considérant au-dessus des règles) et de l’obéissance servile au patronat agricole.

Le chemin de la raison : la réduction des risques

Face à cette situation, il existe un chemin rationnel et respectueux des libertés individuelles : la réduction des risques. Celui-ci repose sur un principe simple : toute consommation de toute drogue (illicites ou licites) comporte des risques pour la santé et c’est aux individus de déterminer leurs choix dans ce domaine en étant informés de ces risques. La prévention, le soin, la réduction des risques doivent permettre de prendre en compte les besoins de chaque personne, ce qui est peut-être une volonté d’abstinence, une réduction de sa consommation ou un maintien de celle-ci en consommant de manière sécurisée (matériel stérile, antidote aux overdoses distribuées gratuitement, espaces de consommation à moindre risque).

Si elle consiste à informer des risques liés à des consommations de drogues, la réduction des risques n’est pas la prohibition. Le Dry January n’est pas une campagne d’interdiction de l’alcool autant que les salles de consommation à moindre risque ne sont pas des lieux où tout serait permis. La réduction des risques est une démarche pragmatique reposant sur les besoins des consommateurs, où ils sont et où ils en sont de leur consommation.

Cela est valable pour toutes les drogues, il existe des consommateurs de toutes les drogues qui mènent leurs vies de manière heureuse (dans les limites du capitalisme). La focalisation sur certaines drogues illicites en particulier qui seraient nécessairement un passeport à court-terme vers la mort tient à de la propagande et non des données de santé publique. Le « crack » en est un exemple spectaculaire, le terme même relève d’une catégorie politique. Le « crack » n’est rien d’autre que de la cocaïne basée (c’est-à-dire coupée avec un autre produit, à distinguer de ce qui est désigné généralement par le terme générique de « cocaïne » snifée), consommé aussi par des cadres supérieurs dans leurs domiciles, contrairement aux représentations communément admises1, pour lesquels jamais le terme de « crack » est utilisé.

Les dégâts physiques constatés sur les consommateurs dans la rue tiennent essentiellement… au fait qu’ils vivent dans la rue. Tout mettre sur le produit « drogue » permet d’évacuer la question de la misère.

A nouveau, la réduction des risques, avec une consommation encadrée, régulée (et dans le cas de la cocaïne basée avec des lieux dédiés) ne permet pas seulement un soutien, une diminution plus facile de la consommation (jusqu’à l’arrêt pour celles-ceux qui le souhaitent ) mais, également, une plus grande tranquillité publique puisque les nuisances éventuelles (par exemple, les seringues usagées…) ne sont pas diffusées dans l’espace public. Pour ces produits, la dépénalisation et la légalisation sont à termes les seules options pour faire pleinement de la réduction des risques.

Cette même logique s’applique aussi à d’autres comportements addictifs tel que les jeux d’argent, en particulier les paris sportifs par rapport auxquels le pouvoir politique est particulièrement permissif alors qu’il est établi que les campagnes publicitaires de ce secteur visent prioritairement des publics fragiles.

Une voie de gauche au sein de la réduction de risque

Si l’approche en termes de réduction des risques est la voie de la raison face à l’irrationnel conservateur (négation des effets de l’alcool, répression des drogues illicites), il existe en son sein une voie libérale et une voie de gauche.

La voie libérale est celle du mono-sujet : considérer chaque terrain de réduction des risques comme un sujet à part (l’alcool, tel ou tel drogue illicite, le jeu, la consommation des drogues en milieu festif etc…) distinct des autres et, surtout, des conditions sociales. Cette voie libérale se concentre sur les dispositifs législatifs et opérationnels à déployer pour chaque cas en s’y limitant.

La voie de gauche comprend que nous vivons dans une société qui pousse aux addictions en général et que promouvoir la réduction des risques ne peut pas dispenser d’analyser les conditions sociales. Il est impossible de mener une politique holistique de réduction des risques en ignorant les difficultés sociales et/ou l’anxiété générée par le travail générant les comportements addictifs.

Alors que la macronie mène une attaque tous azimut en faveur d’une petite minorité (la bourgeoisie) contre le reste de la société, accélère la destruction des droits sociaux et s’attaque aux plus fragiles, les comportements addictifs ne peuvent qu’augmenter. Une gauche de combat doit se saisir de la réduction des risques comme un enjeu de classe en l’insérant dans le cadre globale de l’antagonisme avec le capital.

Bruno Dilegno-Marmé


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