Secteur 3, cliniques privées…Le séparatisme sanitaire en actes

samedi 9 mars 2024.
 

Être en bonne santé, prévenir les maladies, limiter les expositions aux facteurs de risques et aux polluants, se soigner... tout est affaire d’égalité. Ou plutôt d’inégalités. Ainsi, en France, selon qu’on est riche ou pauvre, on ne vivra pas le même rapport à sa santé physique et mentale. On n’aura pas les mêmes parcours de soin. En fin de vie, on ne bénéficiera pas du même accompagnement.

L’exemple le plus frappant reste les inégalités face à la mort. C’est simple : chez les hommes, à 35 ans, un ouvrier a une espérance de vie inférieure de sept ans à celle d’un cadre. La différence est de trois ans chez les femmes1. Là aussi, les statistiques nous apprennent comment, y compris sur le champ de la santé, les plus aisés ont organisé une performance qui bénéficie d’abord à leur classe, ce qui fragilise la santé des moins aisés, soit en leur compliquant l’accès à la prévention ou aux soins, en les décourageant ou en organisant des systèmes cloisonnés dont ils sont exclus.

Quand morbidité rime avec inégalité

Les enquêtes Santé de l’Insee permettent de photographier l’état de santé de la population. Les constats y sont accablants. Les individus sous le seuil de la pauvreté développent plus de pathologies : maladies de l’appareil digestif, troubles mentaux et du comportement, obésité. Sur ce dernier point, les données parlent dès l’enfance. Les chiffres du service de santé scolaire de la ville de Nantes montrent comment les quartiers défavorisés sont aussi ceux qui accueillent le plus d’enfants en surpoids et obèses. Parmi les enfants, on constate une inégalité supplémentaire, puisque les petites filles sont davantage touchées, car plus sédentaires, dès la prime enfance.

Depuis quarante ans, les données sur la question de l’obésité ont explosé. Cette morbidité est deux fois plus répandue au sein des foyers modestes (près de 20 % chez les ouvriers et employés) que chez les cadres (10 %)2. Les inégalités se sont accrues ces deux dernières décennies, puisque l’augmentation de l’obésité chez les cadres est limitée à + 2,5 points entre 2000 et 2020, contre + 9 points chez les ouvriers. En 2012, le taux d’obésité est de 25 % chez les personnes qui vivent avec moins de 900 euros par mois, 7 % pour celles qui disposent de 5 300 euros et plus. Si des facteurs génétiques existent, c’est la part sociale et environnementale qui est majeure : accès aux fruits et légumes frais ; pratique d’une activité physique régulière ; consommations et addictions ; accès à un médecin ; exposition au stress… Tout concourt à creuser les inégalités.

Les problèmes dentaires sont massivement observés chez les populations pauvres. Plus de 10 % en souffrent, contre 5 % en population générale. En 2022, un rapport de la DREES insistait sur la prévalence du diabète chez les personnes modestes. Ainsi, les personnes dont le niveau de vie est inférieur au premier décile développent 2,8 fois plus souvent un diabète que celles dont le niveau de vie est supérieur au dernier décile. Les maladies chroniques du foie ou du pancréas et les maladies psychiatriques sont les deux autres catégories les plus inégalitaires (avec des sur-risques de 2,4 pour les plus modestes contre 2 pour les plus aisés)3.

Inégalités dans le dépistage

Le recours aux pratiques de dépistage et de prévention est très discriminé socialement. les mammographies, les frottis, les recherches de sang dans les selles sont les moyens utiles de détection des cancers du sein, du col de l’utérus et du colon. Or, 34 % des femmes de plus de 40 ans appartenant à des foyers pauvres n’ont jamais effectué de mammographie. C’est seulement 20 % chez les autres femmes.

Les mêmes chiffres sont constatés quant au dépistage du VIH. Quand on vit sous le seuil de pauvreté, seul un individu sur quatre a déjà réalisé un test, contre plus d’un sur trois (36 %) dans la population totale.

Un accès aux soins différencié

Quand on appartient aux classes populaires, on consulte moins régulièrement. C’est en particulier le cas pour les rendez-vous auprès des médecins spécialistes. En 2003, la moitié des personnes sous le seuil de pauvreté n’avaient pas consulté de spécialistes. Ce chiffre tombe à près d’un tiers dans le reste de la population. Il existe aussi un risque d’incapacité à consulter le spécialiste quand celui-ci pratique des dépassements d’honoraires.

Les déserts médicaux existent en milieu rural comme en ville. Dans les zones urbaines, c’est dans les quartiers concernés par la politique de la ville (QPV), où vivent donc majoritairement les foyers populaires, que l’accès aux soins de proximité est le plus malaisé. Ainsi, à Nantes, il est deux fois plus difficile de trouver un médecin dans un QPV que dans le reste de la ville. En outre, les médecins, qui partent massivement en retraite, sont plus facilement remplacés dans les quartiers où il en reste encore un certain nombre. La première raison est la possibilité d’exercer à plusieurs, qui est la pratique aujourd’hui plébiscitée par les jeunes médecins, désireux de s’installer avec des confrères et des consœurs. La deuxième raison tient au mode de rémunération qui privilégie les consultations courtes, pus fréquentes dans les quartiers où les familles ont les revenus les plus élevés.

Et la qualité des soins ?

Les soins effectués ne sont pas les mêmes. D’abord, en raison même des coûts restant à charge s’agissant des pathologies très courantes, comme les soins dentaires, les lunettes ou les prothèses auditives. Ce sont ainsi des recours privilégiés aux prothèses dentaires amovibles ou aux dentiers quand on a des revenus faibles, là où les personnes aux revenus élevés choisissent des prothèses fixes ou des bridges. Évidemment, les prises en charge de mutuelles complémentaires sont liées à la souscription mensuelle, ce qui corrèle largement aux revenus disponibles dans la famille le niveau de prise en charge des soins non remboursés par l’assurance maladie, le reste à charge.

Il ne faut par ailleurs pas sous-estimer le manque d’informations dont souffre la patientèle la plus éloignée du système de santé. Les déterminants de la qualité des soins sont aussi distribués socialement. Les connaissances, les capacités à comprendre les professionnels de santé et à dialoguer avec eux facilite par exemple l’accès à des protocoles de soin nouveaux, voire expérimentaux. Et même si, depuis plus de vingt ans, la loi Kouchner vise à protéger les patients et a modifié le rapport entre professionnel et patient, cette capacité à comprendre un diagnostic et à exposer ses propres besoins reste malheureusement discriminante entre les différentes populations accueillies au sein des établissements médicaux.

Le « tourisme » médical

Au-delà d’une réalité française porteuse d’inégalités, il existe une nouvelle manne financière : le tourisme médical. Ce secteur permet à des patients très riches de se rendre dans un pays étranger afin de recevoir des soins sophistiqués, pour répondre à de graves problèmes de santé, comme les chirurgies cardiaques ou les transplantations rénales4. Ces interventions rapides sont autant de passe-droits et de contournements d’un système de soins national qui organise régulièrement la file d’interventions. En effet, l’ordonnancement des opérations, des transplantations et autres soins relève d’une réflexion qui prend en compte à la fois les questions éthiques, le caractère d’urgence d’une opération, les chances de sa réussite ainsi les bénéfices les plus probables pour les patients. Ces critères et cette méthode s’opposent à la démarche de tourisme médical international qui, lui, n’est plus une simple transaction financière et commerciale.

En Thaïlande, le tourisme médical représente plus d’1 % du PIB. L’extension des soins non remboursés en France ou l’allongement des délais avant une prise en charge pourraient être une aubaine pour les pays qui développent, depuis des années, ce type de « tourisme » reposant sur des soins toujours moins chers, et avec des temps d’attente réduits au minimum et privilégiant les outils de communication en ligne pour tous les rendez-vous préalables ! Bien sûr, dans les pays concernés, la coexistence du tourisme médical avec les besoins des populations locales est un vrai problème. En Inde, les cliniques privées concentrent leur exercice sur la réponse aux demandes des étrangers aisés, délaissant du même coup complètement les patient.es autochtones.

Hôpital public vs cliniques privées

En France, la question de l’accueil d’une riche patientèle étrangère aisée a été posée pendant le quinquennat Hollande. Des spécialistes interrogeaient la pertinence d’utiliser le fait que l’excellence de l’hôpital public français soit reconnue pour y réaliser des soins payés par des personnes qui en ont les moyens. Des voix s’élèvent régulièrement, dont celle d’André Grimaldi5, qui rappellent que « la santé doit échapper aux lois du marché ». Plutôt que de chercher à tirer quelques bénéfices en faisant venir une clientèle riche, nous avons besoin que le budget de la santé publique soit sanctuarisé, et que soit (re)créée une grande Sécurité sociale, laissant aux mutuelles un rôle de prévention, ainsi que la prise en charge d’éventuels soins relevant réellement d’une forme de « confort », voire des médecines dites « douces ». Rappelons au passage que le coût de gestion des mutuelles s’élève en moyenne à 25 % de leur budget, contre seulement 5 % à la Sécu, et que – concurrence oblige – les frais de fonctionnement de ces dernières ont bondi de 46 % entre 2009 et 2022.

L’urgence est aussi à la planification sanitaire, notamment dans les domaines de la recherche et de l’industrie, en créant un pôle socialisé du médicament. Il faut en finir avec la concurrence entre établissements publics et privés, en assurant la juste rémunération des professionnels, qu’ils travaillent à l’hôpital ou en clinique, et en contraignant les cliniques à assurer des actes moins rentables et à assurer l’accueil d’urgences, entre autres tâches. C’est d’ailleurs à une réforme de la tarification à l’acte (T2A) que la gauche devrait travailler afin de proposer un modèle stabilisé de rémunération avec une part forfaitaire prépondérante, et ce afin d’assurer une péréquation des moyens, enjambant les inégalités sociales et territoriales dans lesquels se trouvent les établissements de soins.

Marlène Collineau


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