"Les responsables du Mediator sont toujours là " (François Autain, ex-sénateur PG de Loire Atlantique)

mardi 4 octobre 2011.
 

Après trois mandats, le sénateur (PG) de Loire-Atlantique tire sa révérence. Alors 
que le projet de loi 
sur le médicament 
est examiné 
à l’Assemblée, cet ex-médecin, président de la mission d’information sur le Mediator, revient sur les collusions qui perdurent entre laboratoires, pouvoir politique et autorités sanitaires.

Le 13 septembre dernier, on apprenait que votre homologue UMP Marie-Thérèse Hermange, chargée de la rédaction du rapport de la mission sur le Mediator, avait fait appel à un émissaire de Servier pour relecture. Comment avez-vous réagi  ?

François Autain. J’ai été surpris, surpris par la bêtise d’une telle démarche. Je l’imaginais plus habile. D’ailleurs, sur ma demande, le président du Sénat a saisi notre comité de déontologie parlementaire. C’est vraiment dommage que notre rapport soit discrédité, parce qu’il était bien plus critique que le rapport des députés, il recelait des propositions plus poussées. Et malheureusement, sur le plan des conflits d’intérêts, le projet de loi du gouvernement n’apporte aucune garantie.

Ces conflits d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique sont-ils trop ancrés au sein de la classe politique pour être enrayés  ?

François Autain. Les liens les plus grossiers tendent à disparaître, le gouvernement n’est pas fou. Il en demeure néanmoins de plus subtils. La plupart du temps, les intérêts économiques des laboratoires sont tellement intégrés par les esprits que les décisions vont spontanément dans le bon sens. À titre d’exemple, le bulletin de l’Académie de médecine est, aujourd’hui encore, financé par le laboratoire Servier, et son président ne voit même pas où est le problème.

D’après le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales 
(Igas), cette servilité vis-à-vis de l’industrie était aussi prégnante à l’Afssaps, pourtant censée filtrer les médicaments mis sur le marché. Les pratiques ont-elles évolué 
depuis le scandale  ?

François Autain. Certaines initiatives du nouveau directeur, Dominique Maraninchi, sont plutôt positives. Les laboratoires qui, jusqu’ici, étaient, en toute illégalité, invités permanents des commissions consultatives et des groupes de travail de l’Afssaps, ont désormais interdiction d’y être représentés. Autre bonne mesure  : les réunions de la commission d’autorisation de mise sur le marché (AMM) sont dorénavant filmées et publiées sur Internet. Mais cela ne suffit pas, il faut une législation beaucoup plus rigoureuse concernant ces problèmes de mise sur le marché et de suspension.

C’était le point névralgique de l’affaire Mediator, et le projet de loi ne résout rien de ce point de vue  ?

François Autain. Absolument. Xavier Bertrand n’a pris aucune disposition sur l’indépendance des experts. De nombreux médicaments mis sur le marché sont encore examinés en présence d’experts liés à des laboratoires. Pourtant, une agence débarrassée de tout conflit d’intérêts n’est pas utopique, puisque 25 % des experts de l’Afssaps sont déjà dans ce cas. Mais encore faudrait-il créer un corps d’experts d’État, formés à l’université, et dont le travail serait rémunéré. Au lieu de ça, la grande nouveauté est que le Leem (le syndicat des laboratoires – NDLR) siège désormais au conseil d’administration de l’Afssaps…

Que sont devenus les responsables mis en cause au cours de l’affaire 
du Mediator  ?

François Autain. Parmi les experts mis en cause, il y a bien eu deux personnes qui travaillaient dans la section pharmacovigilance de l’Afssaps qui ont été licenciées (l’une a été reclassée depuis à l’agence régionale de santé d’Île-de-France, l’autre à l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé – NDLR), mais elles n’étaient que des sous-fifres. Les principaux responsables sont toujours en place, en particulier l’actuel conseiller scientifique du directeur général, caricature même de l’expert. Avant d’être recruté, il a longtemps surveillé le travail des commissions consultatives de l’Afssaps pour le compte de l’industrie pharmaceutique. Depuis, il n’a cessé de gravir les échelons, jusqu’à devenir président par intérim de l’Agence européenne du médicament (EMA). Lui retirer ses fonctions aurait pu donner un signal fort, d’autant qu’il a joué un rôle non négligeable dans le parcours du Mediator lorsqu’il était en charge de l’évaluation des médicaments…

Lequel  ?

François Autain. En 2000, il a contribué à transgresser l’avis négatif formulé par la commission d’AMM dès 1987. Sans ce «  compromis  », le Mediator n’aurait jamais été reconnu comme un adjuvant au régime du diabète et sans doute n’aurait pu être maintenu sur le marché par Servier. Résultat  : l’assurance maladie a continué à le rembourser pendant neuf ans.

Que pensez-vous de la liste des 76 médicaments sous surveillance renforcée, publiée par l’Afssaps 
dans la foulée du scandale  ?

François Autain. Cette liste est une arnaque. Sur ces 76 médicaments, au moins 20 sont parfaitement inutiles et ne devraient donc pas être commercialisés, comme 85 % des médicaments qui sortent chaque année. Cela fait près de trente ans que la recherche en laboratoire ne trouve plus rien. D’ailleurs elle ne cherche plus. Son seul objectif est d’inventer de vraies-fausses molécules pour les maladies chroniques des riches, et de les vendre en investissant des sommes folles dans le marketing.

D’où l’idée de sous-traiter aux petites start-up de biotechnologie, qui, elles, font encore des découvertes  ?

François Autain. Exactement, et ce avant de les racheter à des prix prohibitifs. C’est le cas avec Sanofi et le laboratoire américain Genzyme, repris pour 20,1 milliards de dollars. Pire, au nom du partenariat public-privé, les laboratoires sous-traitent aussi ces recherches à des organismes d’État, tels que l’Inserm.

En clair, une poudre de perlimpinpin pour maladie neurodégénérative rapporte plus qu’un vaccin tangible contre le paludisme, et les autorités sanitaires laissent faire  ?

François Autain. Dans notre langage, on classe ces médicaments inutiles « ASMR 5 » (amélioration du service médical rendu), ce qui signifie que leur plus-value thérapeutique est nulle et qu’ils ne devraient pas être remboursés par l’assurance maladie. Malheureusement, beaucoup le sont au mépris de la règle.

Et que se passe-t-il une fois 
qu’ils sont commercialisés  ?

François Autain. Les médecins, sous l’emprise des visiteurs médicaux, ne prescrivent plus que ces nouveaux médicaments, faisant sombrer les anciens dans l’oubli. Les patients, eux, sont ravis de bénéficier de ce qu’on leur vend comme les derniers progrès de la médecine… jusqu’à ce que se manifestent les premiers effets indésirables. Exemple  : le Multaq de Sanofi. Cet anti-arythmique cardiaque a récemment remplacé l’Amiodarone sous prétexte que certains patients étaient allergiques à l’iode. Or, ce médicament provoque des hépatites fulminantes. Il n’aurait jamais dû être autorisé. Non seulement, il l’a été, mais à un prix quatre fois plus élevé que son équivalent générique.

Ces subterfuges visent donc 
à contourner la générication  ?

François Autain. C’est un grand classique  : à chaque fois qu’un médicament qui se vend bien s’apprête à tomber dans le domaine public, on rajoute un gadget chimique à la molécule pour pouvoir commercialiser plein pot un nouveau produit. C’est une arnaque de première, qui plombe l’assurance maladie, et dont les autorités sanitaires sont scandaleusement complices.

Le Mediator ne risque-t-il pas de servir de prétexte à des déremboursements massifs  ?

François Autain. On a souvent condamné les déremboursements sans chercher à comprendre ce qui se jouait derrière. On ne va pas me faire croire que les 250 médicaments mis sur le marché chaque année justifient un remboursement  ! Il faut agir en amont, en refusant la mise sur le marché de produits sur lesquels on a un doute et dont on considère qu’ils n’apportent pas de réel progrès thérapeutique. Ce qui limiterait les nouveautés à 10 ou 15 par an.

Certains préconisent une évaluation de l’ensemble des médicaments, 
est-ce pertinent  ?

François Autain. Non, ça a déjà été tenté une fois en 1999  : sur un total de 4 000 médicaments, 835 ont été considérés comme inutiles, parmi lesquels le Mediator. Et qu’est-il advenu dix ans après  ? Rien, ou si peu. À chaque fois que le gouvernement a voulu procéder à un déremboursement, il y a eu une action conjointe des assurés et des laboratoires, qui pensaient que leur intérêt était mis en cause. Nul doute que recommencer aujourd’hui conduirait à la même impasse.

Pourquoi la France est-elle à ce point consommatrice de médicaments  ?

François Autain. Avec la tarification à l’acte, la consultation a tendance à raccourcir. Or, plus la consultation est courte, plus on prescrit. En Allemagne ou aux Pays-Bas où les consultations sont plus longues, seulement 40 % d’entre elles se terminent par une prescription médicamenteuse. En France, c’est quasi systématique. Pourtant, nombre de problèmes de santé n’appellent pas forcément de réponses pharmacologiques. Il n’y a pas que les médicaments pour soigner…

L’influence des laboratoires sur les médecins a été fortement pointée 
du doigt dans l’affaire du Mediator  : les visiteurs médicaux, accusés de faire de la publicité, sont-ils amenés à disparaître  ?

François Autain. Le projet de loi ne va pas dans ce sens. Seul changement  : les visites médicales à l’hôpital, qui sont devenues collectives. Mais il n’y a rien sur la visite médicale en libéral  ! Les laboratoires ont bien rebaptisé leurs visiteurs médicaux «  délégués promotionnels  », mais c’est juste un changement de nom. Après, peut-on réellement interdire à quelqu’un de rencontrer un médecin  ? Je crois qu’il faut être constructif et créer un corps de visiteurs indépendants, qui pourrait être financé par une ponction sur l’ensemble des laboratoires. Cela laisserait la possibilité aux autres de se recycler au sein de cette nouvelle institution. Mais là encore, la réforme ne touche à rien, et je ne vois pas comment, à ce rythme, on pourrait empêcher un nouveau Mediator.

Vous voici à l’orée de la retraite, ce combat pour une démocratie sanitaire, mené toutes ces années, vous semble-t-il avoir eu un impact  ?

François Autain. Disons que j’arrive à un âge où l’on considère, comme disait Marguerite Yourcenar dans les Mémoires d’Hadrien, que la vie est une défaite acceptée. Mais il n’est pas inutile d’espérer et de se comporter comme si notre action allait faire avancer les choses, ne serait-ce que pour la beauté du geste.

Entretien réalisé par Flora Beillouin et Alexandra Chaignon, L’Humanité


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