Remettre la propriété des médias au centre des débats

dimanche 21 juillet 2024.
 

Le RN n’a pas accédé au pouvoir ,mais son inquiétante progression rappelle le danger que fait courir la privatisation des médias sans réelle régulation. D’un coté des milliardaires sont porteurs d’un funeste projet de « civilisation », de l’autre l’Audiovisuel public est fragilisé et menacé dans son existence même. Nous sommes à la croisée des chemins, il est impératif de réagir.

Fernando Malverde

Le RN n’a pas accédé au pouvoir ,mais son inquiétante progression rappelle le danger que fait courir la privatisation des médias sans réelle régulation. D’un coté des milliardaires sont porteurs d’un funeste projet de « civilisation », de l’autre l’Audiovisuel public est fragilisé et menacé dans son existence même. Nous sommes à la croisée des chemins, il est impératif de réagir.

Au lendemain des législatives de nombreuses chaînes d’information en continu ont tendu leurs micros pour comprendre pourquoi certaines régions- le plus souvent les plus abandonnées- ont connu une telle vague brune dans les urnes. Même si le micro trottoir est le degré zéro du journalisme ou de la sociologie, les réponses étaient souvent éclairantes : « On ne s’en sort plus, Macron nous méprise, il y a trop d’étrangers et de délinquance ». Et si le journaliste poussait son questionnement en demandant des exemples sur des expériences vécues , il n’était pas rare d’avoir des réponses telles que : « On le voit tous les jours à la télé ».

La réalité statistique des chiffres locaux de la délinquance ou de la présence des immigrés n’a aucune importance. Il y a souvent un grand écart entre le vécu réel et son ressenti…puis sa traduction électorale. Il est, par exemple, très significatif que c’est dans les grandes villes que le RN a fait ses scores les plus faibles…alors que c’est là que se trouvent les plus grandes concentrations d’immigrés ou les plus gros problèmes de délinquance.

Pourquoi un tel décalage ? Pourquoi n’est-ce pas d’abord la question sociale qui est mise en avant par les habitants des zones péri-urbaines, désindustrialisées, sous équipées en services public, et confrontées au chômage ? Pourquoi est-ce la montée du racisme et des thèmes identitaires qui a permis ce carton plein du RN ? Pourquoi les « fâchés pas fachos » sont en passe de devenir d’abord fachos ?

Des sociologues ont rappelé que les habitants de cette « France oubliée » n’ont plus jamais accès à un récit de gauche. Quand il n’y a plus de sociabilité par l’usine ou le syndicat, quand l’habitat est dispersé, quand on ne lit plus de journaux, radios et télévisions restent omniprésents, au domicile ou au bistrot. Pour les classes populaires, le principal lien social passe par les médias audiovisuels, disponibles et gratuits. Sources d’information , d’évasion et de distraction… mais aussi outils de pure propagande qui instillent une vision du monde unilatérale. Pour la philosophe Cynthia Fleury « l’extrême droite ne gagne pas la bataille des idées, mais elle gagne la bataille des écrans ».

C News est devenu le principal parti d’extrême droite.

Le milliardaire breton Bolloré a bien compris l’enjeu. Se voyant comme un missionnaire dans un ultime combat au service de l’extrême droite, il a exigé pour les législatives une totale mobilisation de son empire médiatique. CNews, C8, Europe 1, Canal +, le JDD, ont fonctionné en synergie pour décupler la force de frappe du groupe. Dans ce combat sans règle, sans éthique ou tous les coups sont permis, l’ARCOM, le régulateur public, s’est ridiculisé en montrant sa totale impuissance.

La redoutable efficacité de cette machine de guerre a pu se constater lorsque des candidats du RN, totalement inconnus, ont été élus sans même avoir fait campagne. Le parti d’extrême droite le plus efficace, mobilisé en permanence et actif sur tout le territoire, s’appelle aujourd’hui C News.

Son influence est telle que la « Bollorisation » de tous les autres médias est en cours. Mêmes invités, mêmes éléments de langages, mêmes thèmes, il est désormais difficile de distinguer des chaînes comme C News, BFM, LCI, voire certains plateaux ou commentateurs de l’Audiovisuel public. Pour les téléspectateurs non avertis, si le même discours rebondit d’une chaîne à l’autre, sans contradiction… C’est qu’il s’agit de la vérité ! La preuve : les extraordinaires dégâts de certaines stigmatisations comme l’insulte « antisémite ». Une disqualification tellement martelée et répétée en boucle, qu’elle n’a plus besoin d’être prouvée ou argumentée. Une stratégie éculée-mais terriblement efficace - comparable à celle dont Corbyn en Grande Bretagne fit douloureusement les frais.

Dans le maelström médiatique et idéologique dans lequel nous sommes plongés rares sont les antennes qui remplissent leur mission d’éclairer les débats d’une façon équilibrée et responsable . Des émissions dans les chaînes régionales ont montré l’incroyable impréparation ou les profils inquiétants des candidats du RN mais seuls des médias indépendants comme Mediapart ou l’Humanité ont alerté sur les dangers que courrait le pays. Et sur les réseaux sociaux, ce sont des médias alternatifs à faibles moyens (Blast, Le Média, StreetPress etc…) qui se sont mobilisés d’une façon exemplaire.

Concentration des médias:danger pour la démocratie

La bataille culturelle en cours, qui met la démocratie en danger, a pollué l’ensemble du champ médiatique et, par capillarité, tous les discours venus de la droite ou du centre. Une bascule alors que continue le Monopoly permanent sur la propriété des médias. Bolloré a mis la main sur l’essentiel de l’édition, Le Figaro vire à l’extrême droite, Marianne est en cours de vente à Pierre-Edouard Stérin, un milliardaire lui aussi proche du RN, alors que BFM et RMC sont tombé dans l’escarcelle de Rodolphe Saadé, un armateur pro Macron qui a multiplié sa fortune grâce à une niche fiscale concoctée par l’Elysée. De son coté, l’Audiovisuel Public qui pourrait et devrait être un contre pouvoir essentiel n’a jamais été si menacé.

Il faut donc reposer la question de la propriété et de la régulation des médias comme des questions politiques centrales, essentielles. De même que la place et le financement du service audiovisuel public. C’est tout simplement la démocratie et le vivre ensemble qui sont en jeu.

Quelle place, quel financement pour l’Audiovisuel public ?

L’accès au pouvoir du RN étant pour l’instant écarté, son projet de privatisation rapide de l’Audiovisuel Public n’est plus à l’ordre du jour mais l’avenir de ce bien commun est loin d’être garanti. Partout dans le monde, l’extrême droite exècre la télévision publique. En Grande Bretagne la BBC est qualifiée de « gauchiste » par l’ultra conservateur Nigel Farage. Orban en Hongrie ou Méloni en Italie cherchent à strictement mettre au pas les antennes publiques, la RAI par exemple, n’a même pas donné les résultats des élections françaises parce que le RN n’était que 3eme !

Cette haine des télés publiques s’explique : elles s’adressent à tous , elles font le plus souvent un plus grand effort de qualité, de vérification des faits ou de pluralisme. Où pourrait-on trouver en France des enquêtes type Cash investigation ou des programmes comme ceux d’Arte ou de France Culture sans le service public ?

Avant la dissolution, Macron qui n’a jamais apprécié l’Audiovisuel Public, envisageait la mise en place d’une holding puis d’une fusion, sous prétexte d’aller vers une « BBC à la française » . Ce projet, qui ne visait que des économies , s’inscrivait dans une longue suite d’attaques. Avec Macron, France Télévisions a du faire 400 Millions € d’ économies, ses effectifs ont baissé de 20 % depuis 10 ans. Delphine Ernotte, sa présidente, a dit elle même dans un moment de franchise qu’elle fonctionnait en « plan social permanent ».

La fusion est désormais suspendue… mais rien n’est réglé. Depuis la suppression de la redevance en 2022 il n’y pas de financement dédié et garanti. Seules des solutions d’urgence ont été mises en place ou annoncées . Le financement de l’Audiovisuel Public sera d’ailleurs un des premiers débats brûlants de la nouvelle Assemblée Nationale. Dès ses premières sessions, les députés devront définir les grandes orientations du PLF 2025 (Projet de Loi de Finance) . Qu’en sera-t-il pour l’Audiovisuel Public ? Quel sera le montant de son financement, actuellement de 4 Milliards d’€ ? Avec quel système et quelle pérennité ? Le pire serait de ne rien décider ce qui conduirait à un financement par le budget, soumis en permanence à la conjoncture et aux choix d’un gouvernement qui sera peut-être instable.

Il est urgent de réagir

Alors que doit-on faire ? La première urgence est de mener immédiatement une campagne active pour empêcher le renouvellement des fréquences de médias qui abîment la démocratie, propagent le racisme et se moquent des sanctions ou des rappels à l’ordre du régulateur public. L’ARCOM qui vient de lancer les auditions pour le renouvellement de 15 fréquences de la TNT l’an prochain ne doit pas faiblir. Le Conseil d’Etat réclamait en février 2024 que les temps de parole des chroniqueurs soient comptabilisés pour vérifier le respect des obligations de pluralisme de C8 et CNews. Des chaînes qui ont été sanctionnées au total 45 fois et qui cumulent plus de 7,5 M d’€ de pénalités. Cela suffit ! Il est temps de retirer les autorisations d’émettre aux chaînes de Bolloré. Les fréquences sont des biens publics et ne peuvent être utilisées comme des machines de guerre. Il faudra, par ailleurs, revoir sans tarder les missions et le pouvoir de sanction de l’actuelle ARCOM comme garant du pluralisme.

Autre urgence immédiate : garantir dès cet été l’avenir de l’Audiovisuel Public avec le renouvellement de son financement. Il faudra, ensuite, très vite, déterminer un mode de financement pérenne dédié et dynamique, y compris avec le retour d’une redevance selon les revenus.

Enfin, à moyen terme, à partir du diagnostic de notre épisode historique récent il faut lancer un large débat public et démocratique et aller vers de profondes réformes de l’écosystème médiatique. Cela passe, par exemple, par une loi cadre anti-concentrations réellement efficace, l’inscription dans la Constitution du droit à l’information et à l’existence d’un Audiovisuel public comme faisant partie de l’intérêt général. Autres exemples : revoir les critères d’attributions des aides à la presse qui vont souvent aux journaux les mieux dotés et l’élargir aux médias indépendants. Son financement, actuellement de plus de 110 M d’€, pourrait être abondé par une taxation généralisée de l’ensemble du marché publicitaire, y compris sur Internet.

Ouvrons le débat, à partir des programmes des différents partis composantes du Nouveau Front Populaire, des syndicats, et des universitaires qui travaillent sur ces questions. L’idée étant de revenir à l’esprit du CNR (Conseil National de la Résistance) qui voulait libérer les médias des puissances d’argent.

Nous sommes clairement à la croisée des chemins. Un moment existentiel comme il en existe peu dans une nation démocratique.

Fernando Malverde

Journaliste

Ex élu CGT à Francetélévisions


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