L’urgence pour la gauche est d’engranger des victoires concrètes

lundi 22 juillet 2024.
 

Sur quoi peut déboucher la demi-victoire électorale du Nouveau Front Populaire ? Nous suggérons que le NFP, plutôt que de chercher à stabiliser une alliance au rabais avec la macronie, se porte candidat au pouvoir pour engranger rapidement quelques victoires significatives, qui redonneraient un horizon d’espoir pour la suite.

thomas coutrot

économiste et statisticien

Les difficultés du NFP à désigner un nom consensuel pour Matignon reflètent à l’évidence un désaccord entre ses composantes sur les suites à donner à sa demi-victoire électorale du 7 juillet.

D’un côté, la direction du Parti socialiste, en arguant du caractère minoritaire du NFP à l’Assemblée, et tout en prétendant défendre son programme, cherche à dessiner les contours d’une possible coalition avec les macronistes pour assurer la gouvernabilité du pays. De l’autre, la France Insoumise assume de gouverner sur la seule base parlementaire NFP afin de pouvoir proposer des mesures en rupture avec le néolibéralisme. Jean-Luc Mélenchon en a cité plusieurs au soir du 7 juillet, parmi lesquelles l’abrogation de la réforme des retraites, l’augmentation du Smic, la taxation des plus fortunés, l’arrêt des grands projets inutiles et écologiquement désastreux.

En filigrane sous ce débat, se profile bien sûr l’élection présidentielle. Pour la direction du Parti socialiste, il s’agit d’en finir avec l’hégémonie de LFI à gauche et, tout en assurant vouloir maintenir l’unité du NFP, de préparer une candidature allant des Verts et du PCF à l’aile gauche de la macronie : une candidature qui ne pourrait que s’inscrire dans la continuité du social-libéralisme. Au contraire, quitte à fracturer le NFP, LFI veut s’appuyer sur le supposé charisme de son leader et sur l’étiolement du macronisme pour arriver, enfin, au second tour face à Marine Le Pen. Mais avec peu de chances de l’emporter au vu du rejet que suscite l’autoritarisme du noyau dirigeant de LFI… Entre ces deux options les Verts et le PCF semblent indécis et/ou divisés.

Au-delà de ces enjeux tactiques, ce qui se joue tient aussi à la nature inaboutie du programme de la gauche. Celui du NFP, largement repris de la Nupes, est un programme social-démocrate de rupture avec le néolibéralisme. De rupture, parce qu’il entame une véritable redistribution des richesses ; mais social-démocrate, parce qu’il ne propose pas une démocratisation en profondeur de la société qui remette en cause les mécanismes de la domination du capital (à la différence, dans une certaine mesure, du programme commun de la gauche dans les années 1970).

Ainsi le programme du NFP ne comporte ni la socialisation démocratique des grands groupes bancaires, industriels et médiatiques, ni le contrôle des salariés sur l’organisation de leur travail, ni la définanciarisation de la dette publique (et celui de LFI n’inclut pas non plus les deux premiers éléments). Il est pourtant plus que probable que la mise en œuvre effective d’une redistribution des richesses déclencherait de violentes réactions du côté des possédants et des marchés financiers, rendant rapidement nécessaire ce type de mesures. Faute de quoi la déception populaire amènerait rapidement le bloc néo-fasciste au pouvoir.

Ainsi tracés très (trop !) succinctement, ces enjeux de la période amènent à une urgence absolue. Pour empêcher le NFP d’exploser, il faut lui donner un seul objectif : gouverner pour faire adopter quelques mesures emblématiques d’une politique de rupture. Puisque la demi-victoire du NFP est largement le fruit des mouvements sociaux, en particulier de ceux de 2019 et 2023 contre la réforme des retraites, échouer à engranger son abrogation – à laquelle le RN ne pourrait s’opposer qu’à ses dépens – serait une catastrophe pour la gauche dans son ensemble. Il faut aussi des victoires concrètes sur les bas salaires ainsi que pour les mouvements contre les projets destructeurs du vivant, contre les violences sexistes et le racisme systémique.

Si un gouvernement du NFP réussit à engranger des avancées significatives, nul doute qu’il ne sera renversé au bout de quelques semaines ou quelques mois par une coalition des macronistes et des droites plus ou moins extrêmes s’opposant à de nouvelles conquêtes sociales et écologiques. Mais la situation politique en sera transformée positivement. Il sera alors plus facile de poser les questions décisives, celles d’un véritable programme de transformation, et des pratiques et mobilisations sociales associées. Il s’agira de les fonder sur la démocratisation de toutes les sphères de vie, y compris et en commençant par celle de la politique – pour laquelle, euphémisme, il y a manifestement d’énormes progrès à faire à gauche.

Thomas Coutrot (économiste), Alexis Cukier (philosophe), Anne Eydoux (économiste), Olivier Frachon (syndicaliste CGT), Tony Fraquelli (cheminot CGT), Jean-Marie Harribey (économiste), Pierre Khalfa (économiste), Fabien Marcot (Rejoignons-nous), Gustave Massiah (économiste), Virginie Monvoisin (économiste), Dominique Plihon (économiste)


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