Le vote des ministres à l’Assemblée nationale a violé la Constitution

vendredi 9 août 2024.
 

Yaël Braun Pivet a été élue présidente de l’Assemblée nationale avec 13 voix d’avance sur le candidat du NFP grâce aux 17 suffrages de ministres. Une illégalité flagrante. Rappel des termes de la Constitution et de la loi organique sur le sujet.

La situation politique, de plus en plus indéchiffrable, se caractérise d’abord par des manipulations en tous genres de la constitution. Chacun fait dire à la norme suprême ce qu’il veut lui faire dire, et les analyses sont divergentes, souvent totalement contradictoires. Les compétences du gouvernement démissionnaire, et des ministres qui en sont membres, font l’objet d’interprétations qui conduisent à des situations absurdes. En termes simples, elles confèrent au gouvernement démissionnaire des prérogatives dont un gouvernement ordinaire ne dispose pas.

Le groupe parlementaire Renaissance, et ceux qui le soutiennent, affirment ainsi que les ministres, y compris le Premier ministre, élus tout récemment à l’Assemblée nationale, peuvent y voter en leur qualité de parlementaire.

Il n’a échappé à personne qu’il s’agit là d’une violation directe de l’article 23 de la constitution, qui affirme très clairement que "les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire (...)". Bien entendu, l’objet de l’interprétation est ici de faire dire à ces dispositions le contraire de ce qu’elles disent.

Pour cela, on va invoquer la loi organique du 17 novembre 1958 portant précisément interprétation de l’article 23. Bien entendu, on sait qu’une loi organique a une valeur juridique inférieure à la constitution. Son objet est d’assurer la mise en oeuvre des dispositions constitutionnelles, certainement pas de les violer. Quoi qu’il en soit, l’article LO 153 du code électoral, issu de cette loi organique, est rédigé en ces termes :

"L’incompatibilité établie par ledit article 23 entre le mandat de député et les fonctions de membre du Gouvernement prend effet à l’expiration d’un délai de un mois à compter de la nomination comme membre du Gouvernement. Pendant ce délai, le député membre du Gouvernement ne peut prendre part à aucun scrutin et ne peut percevoir aucune indemnité en tant que parlementaire. L’incompatibilité ne prend pas effet si le Gouvernement est démissionnaire avant l’expiration dudit délai".

Ces dispositions prévoient donc un délai d’un mois entre la nomination comme membre du gouvernement et le début du mandat parlementaire. Pendant ce délai, le ministre ne vote pas et ne reçoit aucune indemnité. Jusque là, tout le monde est d’accord. C’est la dernière phrase qui pose problème, celle qui affirme que l’incompatibilité ne prend pas effet si la démission du gouvernement est intervenue avant l’expiration du délai.

En l’espèce, il convient de ne pas confondre deux dates importantes. Le 8 juillet, au lendemain de la défaite de Renaissance aux élections législatives, Gabriel Attal a présenté au président de la République la démission de son gouvernement. Mais le président l’a refusée, décision qui a eu pour conséquence de maintenir un gouvernement de plein exercice, que l’on ne saurait qualifier de démissionnaire. En revanche, le 16 juillet, deux jours avant le vote pour l’élection du président de l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron a accepté la démission du gouvernement. Depuis cette date, le gouvernement est donc un gouvernement démissionnaire, chargé de gérer les affaires courantes. On ne peut donc contester que le gouvernement a été démissionnaire, avant la fin du délai d’un mois après les législatives.

Certains auteurs ont invoqué un lointain arrêt rendu par le Conseil d’État le 22 avril 1966 portant sur un décret du 9 octobre pris par le Premier ministre Georges Pompidou, dont la démission avait été refusée par le général de Gaulle le 5 octobre 1962, au lendemain d’une motion de censure qui avait renversé le gouvernement. A l’époque, le Conseil d’État avait affirmé que le décret portant sur des commissions administratives paritaires entrait bien dans le périmètre des affaires courantes. Mais ce précédent n’est pas réellement pertinent. Ceux qui l’invoquent oublient que, ce même 5 octobre 1962, le général avait prononcé la dissolution de l’Assemblée. Cette dissolution est donc intervenue après la démission du gouvernement Pompidou, schéma inverse de celui de juillet 2024.

Quoi qu’il en soit, la manipulation est ailleurs, dans une confusion soigneusement entretenue entre l’incompatibilité et le vote. Les dispositions de l’article 23 reposent sur un principe général d’interdiction du cumul des fonctions de ministre et de parlementaire. Le délai d’un mois n’est destiné qu’à laisser à l’intéressé un peu de temps pour faire son choix. Mais aucune disposition n’affirme, nulle part, que durant ce délai, il bénéficie du droit de vote à l’Assemblée. En décider autrement, comme le fait le camp présidentiel, revient à interpréter une loi organique dans un sens opposé à la disposition constitutionnelle qu’elle a pour objet de mettre en oeuvre.

On le sait, les membres du gouvernement ont finalement participé à l’élection de la présidente de l’Assemblée nationale et aux scrutins qui ont suivi. La constitution a donc été violée, et on constate que cette violation n’a finalement suscité qu’un émoi modeste.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message