Clémence Guetté : « Nous n’avons pas à subir les désirs d’un président isolé »

mercredi 28 août 2024.
 

Exit la trêve olympique. Les Amfis de La France insoumise (LFI) – son université d’été – s’ouvrent à Valence (Drôme), jeudi 22 août, dans un contexte politique chargé. Après une pause estivale opportune pour Emmanuel Macron, qui rechigne toujours à reconnaître la victoire du Nouveau Front populaire (NFP) aux législatives anticipées du 7 juillet, les dirigeant·es de la coalition doivent rencontrer le président de la République avec leur candidate au poste de première ministre, Lucie Castets, le 23 août – avant qu’il ne reçoive les autres groupes politiques

Mathieu Dejean

Clémence Guetté : « Nous n’avons pas à subir les désirs d’un président isolé » À la veille d’une rencontre entre le Nouveau Front populaire et Emmanuel Macron, la députée de La France insoumise, vice-présidente de l’Assemblée nationale, fustige un statu quo qui a trop duré et alerte sur les conséquences d’un « déni de démocratie ».

Clémence Guetté, députée LFI du Val-de-Marne, vice-présidente de l’Assemblée nationale et coprésidente de l’Institut La Boétie, appelle le chef de l’État à « descendre de sa tour d’ivoire » et à nommer la haute fonctionnaire à Matignon.

Mediapart : Depuis le 7 juillet, Emmanuel Macron refuse de se tourner vers le NFP pour diriger le gouvernement, et son gouvernement démissionnaire prépare désormais le budget pour 2025. Comment analysez-vous le moment politique ?

Clémence Guetté : Cette situation est totalement scandaleuse. Le gouvernement démissionnaire gère bien davantage que les affaires courantes. Avec le budget, les macronistes préparent une politique faite de coupes budgétaires, y compris en sacrifiant des postes dans les ministères, notamment en matière écologique, quitte à augmenter notre niveau d’impréparation face à la crise climatique et sociale qu’on est en train de vivre. Ils refusent donc de prendre acte du fait qu’ils ont perdu.

C’est le symptôme de la dangerosité de la Ve République : cette Constitution est en train d’institutionnaliser un déni de démocratie. On est dans une sorte de paroxysme de ce que la Ve République peut faire de pire : un homme seul qui décide de tout, y compris de ne pas reconnaître le résultat des élections. Cette situation a des conséquences sur le réel.

On vient de parler du budget. C’est très concret : moins de services publics, moins de santé et plus d’injustices. Même si les quelques jours qui viennent sont absolument décisifs pour réorienter cette politique, rétablir un peu d’égalité fiscale, faire d’autres choix d’investissement dans les services publics, augmenter les salaires et revenir sur la réforme des retraites.

Mais une partie du mal est déjà fait. L’élection de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a été rendue possible par les voix de 17 ministres démissionnaires, alors qu’André Chassaigne a perdu à 13 voix près. Le candidat du NFP aurait dû présider cette Assemblée nationale.

Comment en est-on arrivé à un tel déni de démocratie, selon vous ?

C’est une nouvelle étape, plus flagrante, d’une lente dérive autoritaire déjà à l’œuvre en matière de répression populaire depuis au moins les « gilets jaunes ». Le sort qui a été réservé aux étudiants qui se sont mobilisés pour la paix à Gaza s’inscrit dans cette continuité. De même que, dans un autre registre, le passage en force des macronistes sur la réforme des retraites – une réforme totalement impopulaire, injuste, qui va faire payer les femmes et les plus précaires. Comme parlementaires, nous avons mesuré cette dérive au nombre incalculable de 49.3 que nous avons pris sur la tête en deux ans.

La procédure de destitution a le mérite de cibler le responsable du chaos, et elle n’est pas contradictoire avec une censure.

On nous dit d’ailleurs que le NFP ne peut pas gouverner parce qu’il ne dispose pas d’une majorité absolue, mais, sous le mandat précédent, la taxation des superprofits et des superdividendes était portée par le président du groupe parlementaire du Modem, Jean-Paul Mattei. Une très large majorité de la commission des finances présidée par Éric Coquerel y était favorable, et il y a eu une majorité en sa faveur en hémicycle. Mais cette mesure a été rayée du tableau budgétaire par 49.3. C’est une démonstration du fait que cette Constitution doit impérativement être changée pour passer à une VIe République, et que la question démocratique est le chantier majeur que nous avons devant nous.

Vous menacez Emmanuel Macron de destitution s’il ne nomme pas Lucie Castets à Matignon, mais même si elle peut être plaisante sur le papier, c’est une procédure vouée à l’échec. N’allez-vous pas décevoir inutilement ?

La colère n’est pas dirigée vers le NFP qui, à chaque étape, a été à la hauteur de ce qui était attendu. Nous avons fait campagne sur un programme chiffré (contrairement à la Macronie et à l’extrême droite), avec des candidats uniques dans toutes les circonscriptions. Et nous avons gagné. Le responsable du chaos, c’est Macron. Dans ce contexte, la Constitution de la Ve République nous laisse très peu d’outils.

Si Emmanuel Macron s’obstine à refuser de nommer Lucie Castets, nous avons la possibilité de censurer le gouvernement – ce sur quoi tout le NFP s’accorde –, et nous pouvons aussi avoir recours à l’article 68 qui permet, en cas de manquement à ses devoirs par le président de la République, de le destituer.

Notre tribune à ce sujet est un avertissement solennel. On ne peut pas regarder passer le bulldozer antidémocratique de Macron sans rien faire. L’intérêt de la Macronie est évidemment le statu quo. Nous le refusons. L’article 68 est une procédure difficile – nous préférerions pouvoir recourir à un référendum révocatoire, que nous défendons –, mais c’est une possibilité. Elle a le mérite de cibler le responsable du chaos et elle n’est pas contradictoire avec une censure. Ce sont des temporalités différentes : l’article 68 peut être examiné à l’Assemblée nationale, en commission des lois, avant que le gouvernement ne soit mis en place.

Cette proposition a froissé vos partenaires du NFP. L’union de la gauche repart-elle sur de bonnes bases ?

Nous irons ensemble, avec Lucie Castets, au rendez-vous proposé par Emmanuel Macron le 23 août, avec un objectif clair et partagé : réaffirmer le fait qu’on a remporté ces élections, que nous avons désigné Lucie Castets comme notre candidate à la primature, qu’on est légitimes à gouverner et que nous entendons pouvoir appliquer notre programme. Chaque organisation politique du NFP ne partage pas l’idée qu’il est pertinent de s’emparer de l’article 68. C’est de l’ordre du débat et de la discussion. Je ne vois pas de problème fondamental. D’ailleurs, je nuancerais un peu vos propos : tous nos partenaires ne sont pas froissés, mais surtout une partie du PS.

La campagne menée par Lucie Castets cet été peut-elle faire pencher la balance en sa faveur ?

Lucie Castets a passé l’été à faire la démonstration qu’on est désormais aptes à gouverner. Sa proposition comme première ministre s’inscrit dans la continuité du travail que nous menons depuis de longues années pour faire la preuve du sérieux gouvernemental de notre programme de rupture. Son déplacement à Duralex est une excellente démonstration de ce qu’on pourrait faire en matière industrielle.

Elle a rencontré à cette occasion des organisations syndicales pour montrer qu’on agira évidemment différemment, dans le dialogue social, car nous avons des objectifs très ambitieux en matière de salaires, de droit du travail et de conditions de travail.

Sur de nombreux sujets, nous savons que nous sommes majoritaires à l’Assemblée nationale. [...] Nous pouvons appliquer notre programme.

Elle incarne de nombreux combats du NFP – la reconstruction des services publics, la lutte contre l’extrême droite, celle contre la réforme des retraites – et elle le fait avec brio. Maintenant, Macron doit descendre de sa tour d’ivoire, permettre de la nommer et qu’une équipe gouvernementale puisse appliquer ce dont le pays a urgemment besoin. Sur de nombreux sujets, nous savons que nous sommes majoritaires à l’Assemblée nationale. Contrairement à ce qui se raconte, nous pouvons appliquer notre programme ! Nous n’avons pas à subir les désirs d’un président isolé.

Raphaël Glucksmann vous reproche dans une interview de ne pas vous être tournés vers les autres forces ayant participé au front républicain pour constituer une majorité. Il annonce le retour de la social-démocratie. Que lui répondez-vous ?

J’ai trouvé que cette interview n’était pas très sérieuse et un peu incantatoire. Il a visiblement endossé il y a deux mois un programme dont il ne croit pas une ligne. Ce n’est pas mon cas. J’ai participé aux négociations sur le programme de façon à pouvoir, politiquement, être en accord avec ce que nous défendons. Il y a un débat stratégique à gauche, sur lequel on a déjà eu des discussions extrêmement longues.

Pour LFI, Hollande et Macron ont une part de responsabilité très forte dans la montée du Rassemblement national (RN). Les mesures d’accompagnement du néolibéralisme, l’aggravation de la banalisation d’une forme de racisme avec comme paroxysme la loi immigration, ont produit le résultat qu’on sait. Il faut y mettre un coup d’arrêt avec un programme de rupture. Quand des électeurs de gauche votent à gauche, ils attendent des résultats de gauche. Raphaël Glucksmann fait donc une erreur stratégique.

Par ailleurs, l’Assemblée nationale n’est pas le Parlement européen : on y a des débats publics en hémicycle, pas à huis clos. Je ne vois pas quels compromis il voudrait bâtir sur l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) avec Laurent Wauquiez, sur l’abrogation de la réforme de l’assurance-chômage ou de la réforme des retraites avec Gabriel Attal… C’est un rapport aux citoyens qui nous font confiance et qui nous placent en situation de gouverner que je ne partage pas.

Dans cette interview, Raphaël Glucksmann dit qu’il n’est pas prêt à gouverner le pays. Je pense en effet qu’il doit saisir le degré de colère et la volonté de rupture qui s’est exprimée dans les urnes à la dernière élection présidentielle, en plaçant Jean-Luc Mélenchon à 22 % et les autres candidats au score que vous savez. Raphaël Glucksmann devrait peut-être désormais se concentrer sur son mandat de député européen et laisser le NFP agir pour transformer le pays.

Quand bien même LFI s’approche d’être en situation de gouverner, il ne faut donc pas s’attendre à un apaisement de son discours, à des changements sur la forme, à une rupture avec la stratégie du coup d’éclat ?

C’est une façon simpliste de poser un débat important. Je ne crois pas que quand on soulève la question de la forme, on ne parle que de la forme. Mener à bien la bifurcation écologique et le partage des richesses ne sera pas une promenade de santé. Soit on y est favorable, et peu importe la manière dont on s’exprime, soit on n’y croit pas et on se focalise sur la forme. Par ailleurs, les « coups d’éclat » sont une façon de ramener à la politique des gens qui en sont extrêmement éloignés et qui ont le sentiment qu’un mur se dresse entre eux et ce qui se passe à l’Assemblée nationale.

Pour qu’un jour notre programme puisse être mis en œuvre – et j’espère que ce sera dès la semaine prochaine –, on a besoin que les gens participent, s’intéressent, s’engagent et forment un mouvement d’accompagnement et d’appui. On assume politiquement d’essayer de retisser ce lien, y compris avec des formes d’action différentes, visibles. Et je ne pense pas qu’elles soient antagoniques ou contradictoires avec un travail sérieux et des expressions politiques claires.

La lutte contre l’ascension de l’extrême droite n’est pas finie. Dans la postface d’un livre issu d’un colloque de l’Institut La Boétie (« Extrême droite : la résistible ascension », à paraître le 6 septembre), vous écrivez : « L’affrontement dur avec la Macronie et l’affrontement dur avec l’extrême droite procèdent aujourd’hui du combat contre un même phénomène. » Qu’entendez-vous par là ?

C’est un sujet qu’on doit affronter avec le plus de rigueur possible dans l’analyse, ce que malheureusement le temps médiatique ne permet pas. On ne combattra pas l’extrême droite à coup de petites phrases dans Le Journal du dimanche. Des universitaires en pointe dans les sciences sociales – Johann Chapoutot, Marlène Benquet, Didier Fassin, Stefano Palombarini, Fanny Gallot, Félicien Faury –, des politiques et des intervenants journalistiques ont participé à cet ouvrage pour nous éclairer en partant d’un postulat : la Macronie a intérêt à présenter comme absolument inéluctable la montée de l’extrême droite, car Emmanuel Macron fait le pari simpliste et extrêmement dangereux qu’il gagne à tous les coups contre Marine Le Pen au second tour.

Le phénomène dont je parle, c’est donc l’extrême droitisation de la société à laquelle participe le groupe Bolloré par exemple. La Macronie et l’extrême droite ont des intérêts convergents, d’où l’installation d’un racisme structurel avec la loi immigration, que Marine Le Pen a saluée comme une victoire idéologique. On comprend mieux, en creux, l’exclusion de la gauche de rupture du champ de « l’arc républicain » au profit du RN, qui se matérialise à l’Assemblée par le fait que les macronistes plaident pour leur assurer des postes de pouvoir.

La victoire du NFP est un moment politique réussi, qui n’empêche pas des dynamiques de fond d’être toujours à l’œuvre. Nous les prenons à bras-le-corps dans ce livre.

Même s’il a vidé son programme de sa substance sociale aux législatives anticipées, le RN a encore progressé. Pensez-vous vraiment que la mise en lumière de cette contradiction entre sa façade populaire et son contenu bourgeois soit suffisante ?

Mettre au jour la réalité idéologique du RN est absolument nécessaire mais pas suffisant. Il faut aussi lutter contre lui par l’action. La campagne d’achat de locaux de La France insoumise dans les départements où le RN est très fort s’inscrit dans cette logique. Dans ces départements, les militants font face à une adversité politique beaucoup plus intense qu’à d’autres endroits, ils ont besoin d’un accompagnement particulier, y compris matériel, pour s’implanter. Ces deux registres sont complémentaires avec la réflexion que nous menons sur les propositions et les mots d’ordre.

Mais ce livre permet surtout de montrer la puissance médiatique qui s’est organisée autour de la candidature d’Éric Zemmour pour la présidentielle et de Jordan Bardella pour les européennes. C’est une œuvre de dédiabolisation médiatique qui a pu compter sur le rôle central de la Macronie dans la crédibilisation du RN – les macronistes louant la « stratégie de la cravate » à l’Assemblée nationale en l’opposant aux Insoumis « dépenaillés » et « irresponsables »… Il faut avoir conscience de cette adversité de façon à ne pas uniquement se flageller.

Vos universités d’été sont un moment de formation militante. Un aspect du travail des partis de gauche qui a été largement abandonné et auquel vous vous attaquez avec l’Institut La Boétie. Comptez-vous renforcer ce travail ?

Oui. En un an, on aura formé 500 personnes grâce au cursus renforcé de l’Institut La Boétie. C’est une formation extrêmement solide au matérialisme, à la planification écologique, mais aussi aux pratiques militantes. On va continuer et on va augmenter la cadence.

Ce sont des centaines et des centaines de personnes qui sont formées avec une attention de notre part dans la sélection des gens, pour tordre des biais politiques qui sont évidents, de genre, de niveau de diplôme… Cela doit permettre un renouvellement militant, et aussi que le plus grand nombre puisse avoir une action politique, en combattant le sentiment d’illégitimité ou de fermeture du milieu politique. C’est une œuvre discrète et de long terme.

Le NFP annonçait être une coalition des appareils politiques avec les mouvements sociaux. Mais il n’y a pour l’instant pas d’instance pour les associer, ni d’adhésion possible au NFP. Est-ce que ça reste à l’ordre du jour ?

Oui, c’est une ambition intacte pour la rentrée. Les contacts n’ont pas cessé. Lucie Castets a rencontré les organisations syndicales, chaque organisation politique a ses propres liens avec les mouvements sociaux. La mobilisation va reprendre avec la rentrée et la disponibilité accrue des gens. Je vous ai parlé des forces adverses, des vents contraires auxquels nous faisons face. Il n’y a pas d’évidence à ce que notre programme puisse être appliqué, nous le savons. On a donc besoin d’une mobilisation populaire qui doit être organisée avec les syndicats, les associations, les collectifs dans les quartiers populaires… Sur toutes sortes de sujets d’engagement, il y a une place au NFP.

Mathieu Dejean


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