Emmanuel Macron se trompe : une loi de finances n’est pas une « affaire courante » !

jeudi 5 septembre 2024.
 

Le Nouveau Front Populaire vient de dénoncer dans une lettre ouverte « l’inaction grave et délétère » d’Emmanuel Macron. Mais la tentative presque réussie de verrouiller le processus d’élaboration du budget de l’État, traitée comme une simple affaire courante, n’a-t-elle pas la nature, non d’une inaction, mais d’une « action grave et délétère » ?

L’élaboration par le gouvernement du projet de loi de finances doit en effet respecter des règles de fond et de procédure de nature constitutionnelle dont la mise en œuvre peut difficilement être considérée comme relevant de la simple gestion d’ « affaires courantes ».

Sur le site officiel des services du Premier ministre (info.gouv.fr), l’on peut lire ainsi que « Les « affaires courantes » se réfèrent aux « affaires ordinaires » qui relèvent de l’activité quotidienne et continue de l’administration et aux « affaires urgentes ». La notion « d’affaires courantes » est jurisprudentielle ».

Or, élaborer et adresser les « lettres plafonds » fixant les contours budgétaires et les limites financières du projet de loi de finances pour l’année suivante est un acte à la fois politique et technique qui n’a certainement pas la nature d’une affaire ordinaire relevant de l’activité quotidienne de l’administration. Cet acte trouve d’ailleurs son fondement juridique dans un texte d’un niveau élevé de la hiérarchie des normes, à savoir dans une loi organique, c’est-à-dire une loi qui détaille spécialement une disposition constitutionnelle.

En l’espèce, il s’agit de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, prise en application de l’article 47 de la Constitution, loi organique dont l’article 48 dispose expressément qu’ « En vue de l’examen et du vote du projet de loi de finances de l’année suivante par le Parlement, le Gouvernement présente, avant le 15 juillet, un rapport indiquant les plafonds de crédits envisagés pour l’année à venir pour chaque mission du budget général, l’état de la prévision de l’objectif, exprimé en volume, d’évolution de la dépense des administrations publiques et de la prévision, exprimée en milliards d’euros courants, de cette dépense en valeur, chacun décliné par sous-secteur d’administration publique, ainsi que les montants prévus des concours aux collectivités territoriales. Ce rapport indique également la liste des missions, des programmes et des indicateurs de performance associés à chacune de ces missions et à chacun de ces programmes, envisagés pour le projet de loi de finances de l’année suivante ». L’exercice consiste par conséquent à définir et à chiffrer avec précision les objectifs, les programmes ou encore les missions qui devront être mises en oeuvre par l’État au cours de l’année à venir.

Une fois ces « lettres plafonds » établies, il reste encore à accomplir dans les ministères et à Bercy un travail considérable et d’une technicité qui n’a rien d’ordinaire (ceux qui, comme moi, ont un jour participé à ce genre d’exercice pourront en témoigner), ceci pour parfaire et finaliser les budgets de chaque administration publique, de sorte que ces documents soient prêts début septembre, mois au cours duquel le Haut Conseil des finances publiques (Cour des comptes), puis le Conseil d’État élaborent leur avis avant qu’il en soit délibéré fin septembre en conseil des ministres : fin septembre, c’est dans un mois !

Le calendrier est en effet très serré, car l’article 39 de la loi organique précitée dispose que « Le projet de loi de finances de l’année … est déposé et distribué au plus tard le premier mardi d’octobre de l’année qui précède celle de l’exécution du budget. Il est immédiatement renvoyé à l’examen de la commission chargée des finances ».

Or, nous sommes à une semaine du mois de septembre, et même si un nouveau gouvernement devait être nommé dans les jours qui viennent, il faut qu’il se mette en place, que les cabinets soient constitués et que l’administration assimile un nouvel ordre de marche, ce qui ne se fait pas d’un claquement de doigts : il est donc matériellement impossible que ce gouvernement soit en mesure de refaire la copie budgétaire élaborée par Gabriel Attal en respectant la procédure nécessitant une nouvelle finalisation par les différents ministères et un nouveau recueil des avis requis, ceci en se conformant au calendrier imposé.

Si l’on ajoute à cela qu’il existe une autre loi qui doit être promulguée avant la fin de l’année, à savoir la loi de financement de la sécurité sociale (et toutes ses branches, y compris - on n’en parle déjà presque plus - sa branche « retraites »), loi dont l’élaboration (elle aussi d’une extrême complexité) doit répondre à des règles de procédures et de fond respectant un calendrier tout aussi serré, l’on mesure à quel point la décision d’Emmanuel Macron de « trainer » pour nommer un nouveau gouvernement est catastrophique pour le fonctionnement de l’État … sauf évidemment s’il nomme un Premier ministre compatible avec les orientations futures qu’il a déjà fixées auprès de son actuel « Premier ministre des affaires courantes », Gabriel Attal, qui a, comme à l’accoutumée, été chargé de simplement mettre en forme ses volontés.

En particulier, il s’agit pour Emmanuel Macron de ne surtout pas taxer les plus aisés et les actionnaires, ne pas augmenter le coût salarial des entreprises par une quelconque augmentation du SMIC, ne pas toucher à la réforme des retraites ni davantage à la loi sur l’immigration. Or, toutes ces mesures défendues par le Nouveau Front Populaire auraient nécessairement un impact sur les finances de l’État et devraient alors forcément trouver leur traduction dans les lois de finances et de financement de la sécurité sociale. D’où sans doute l’intérêt, pour le Président de la République, de faire en sorte que la procédure budgétaire soit dès à présent verrouillée !

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Les invraisemblables fautes de pilotage commises depuis 2017 par Emmanuel Macron ont mené la France en zone de très graves turbulences. Le résultat est que le risque d’une implosion de la République telle qu’elle est encadrée par la Constitution en vigueur, n’est plus à exclure : mais le drame pour la France est que cette Constitution lui permet de demeurer malgré tout le maître du jeu périlleux qu’il a choisi pour continuer d’imposer ses volontés et d’exister par lui-même sur la scène politique.

Je crains que l’on s’achemine vers une situation de crise majeure, d’autant qu’il est impossible de lancer de nouvelles élections législatives avant juin prochain, et je suis de plus en plus convaincu qu’Emmanuel Macron souhaite effectivement, comme le titrait un récent article de Mediapart, une « cohabitation avec lui-même »[1] … ce que, d’une certaine manière, n’interdit pas la Constitution !

Paul Report

Retraité. Ancien magistrat administratif.


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