Le vaudeville interminable qui a précédé sa nomination ne lui confère pas une solide légitimité, c’est peu de le dire. Son nom, finalement retenu, est le dernier d’une litanie (un peu pathétique à la longue) égrenée depuis le 23 août et le début des « consultations » présidentielles.
Ce n’est donc pas Lucie Castets, ni Bernard Cazeneuve, ni Xavier Bertrand, ni Thierry Beaudet, mais Michel Barnier qui occupera la délicate fonction de Premier ministre, responsable devant un Parlement moins gouvernable que jamais. Et ce n’est sans doute pas un hasard si la personnalité la moins abrasive qui soit, tant idéologiquement qu’en termes de caractère, ait été considérée comme la seule à même d’éviter la censure à l’Assemblée.
Ses détracteurs aiment à qualifier cruellement ce Savoyard de « crétin des Alpes » ; ça campe le crédit accordé au personnage jusqu’au sein de sa propre famille politique. Michel Barnier, 74 ans en janvier prochain, traîne depuis quarante ans qu’il a pénétré sur la scène politique française une réputation de débonnaire certes, mais un peu inoffensif. Gaulliste revendiqué – il fut membre de l’UDR, puis du RPR, de l’UMP et dernièrement de LR – son corpus idéologique se ramasse globalement dans un européisme convaincu.
À partir de 2016, après plusieurs postes de commissaire européen, c’est lui qui fut nommé négociateur en chef du Brexit au nom de l’Union européenne, à la suite de quoi, une fois la mission accomplie, il se piqua de concourir à l’élection présidentielle de 2022. Hélas pour lui, il n’obtint pas mieux qu’une troisième place à la primaire des LR organisée en 2021, derrière Valérie Pécresse et Éric Ciotti. Son ambition finalement vaine lui avait d’ailleurs valuquelques moqueries au sein de la classe politique. « Quand on a du mal à s’imposer face à Ciotti, Juvin, Pécresse et Bertrand, comment résister à Macron, Le Pen, Zemmour et Mélenchon ? », avait raillé dans Les Échos un cadre de son propre parti…
Passer de troisième choix pour un parti qui culmina à 5 % avec Valérie Pécresse à premier choix en vue de conduire la politique de la nation : une prouesse qui ne dit pas grand-chose des qualités de l’homme, mais sans doute beaucoup de l’état de blocage où se trouve la France.
Paradoxe suprême, c’est au moment où la gauche possède le plus grand bloc dans l’hémicycle (193 députés) et le RN un contingent historique (142) qu’est nommé un vieux briscard de centre droit à la ligne politique visiblement peu ou pas en phase avec les aspirations populaires du moment. Car les Français ont à maintes occasions exprimé leur rejet de l’Europe telle qu’elle se construit depuis trente ans ainsi que leur désir d’alternance au macronisme. Michel Barnier, à l’évidence, représente une frange de la droite amplement compatible avec le président élu en 2017 alors même que le clivage droite-gauche accomplit un retour en force.
Encore que les choses soient peut-être plus compliquées, car bien malin qui peut cerner la colonne vertébrale de Michel Barnier, si tant est qu’il en ait une. Un temps proche de Philippe Séguin, aux côtés duquel il siégea lors de sa première législature (1988-1993), il se prononça allègrement pour le traité de Maastricht, quand son ancien acolyte s’engagea résolument pour le « non » au référendum de 1992. D’aucuns auront décelé, en 2021, un tour de vis droitier chez ce centriste libéral et bon teint lorsque, lorgnant l’Élysée, il proposa un moratoire sur l’immigration, pour « ne plus être soumis aux arrêts de la CJUE [Cour de Justice de l’UE] ou de la CEDH [Cour européenne des droits de l’homme] ». Un Premier ministre capable, disons, de souplesse, voire de contradictions, pour diriger cahin-caha les affaires d’une France elle-même désorientée. C’est ce qu’on appelle la grosse cote.
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