Pouponnière de plusieurs personnalités d’extrême droite et d’élus locaux, critiqué pour son penchant de droite conservatrice, l’Institut catholique d’études supérieures (Ices) de La-Roche-sur-Yon est pourtant largement financé par les collectivités locales vendéennes.
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Tout ce qui compose le gratin politique vendéen est rassemblé entre quelques murs de béton fraîchement érigés. Le 12 avril, Bruno Retailleau, le président du groupe Les Républicains (LR) au Sénat, Alain Lebœuf, le président du conseil départemental de Vendée, et plusieurs représentants de l’agglomération se sont donné rendez-vous dans le futur bâtiment de l’Institut catholique d’études supérieures (Ices) – toujours en chantier – pour inaugurer et assister à la bénédiction de ces 5 000 nouveaux mètres carrés d’extension du campus de l’école catholique de La Roche-sur-Yon (Vendée), baptisée « Saint Jean-Paul II ».
Les fanions aux couleurs du conseil régional des Pays de la Loire et du conseil départemental de la Vendée en bonne place derrière le pupitre laisseraient presque penser qu’il s’agit de l’inauguration d’un nouveau bâtiment public. Il n’en est rien. Pourtant, pour ce dernier agrandissement de six étages, 1,5 million d’euros ont été versés par le conseil régional et 2 millions par le conseil départemental, sur un total de 23 millions d’euros, selon les délibérations et documents administratifs, consultés par Mediapart.
Pour la première phase de ces mêmes travaux, dont la note totale s’élève à un peu plus de 9 millions d’euros, le conseil régional avait déjà participé à hauteur de 1,914 million d’euros, tandis que le département met à disposition un ancien bâtiment public qu’il a pris le soin de racheter.
Les chèques ont immédiatement fait bondir les élu·es de gauche de tous les conseils cités, car « l’Ices n’est pas une école comme les autres », déplore Franck Nicolon, conseiller régional écologiste des Pays de la Loire. Créé par l’évêque de Luçon (Vendée) en 1990, sous l’impulsion de Philippe de Villiers alors président du conseil départemental de Vendée (1988-2010), l’institut « s’est démarqué par son positionnement politique réactionnaire assumé », selon François Poupet, secrétaire de la CGT des établissements supérieurs et de recherche de Nantes (Loire-Atlantique), qui suit ce dossier de près.
L’objectif, pour la majorité de droite au conseil régional, est de « contribuer à l’élévation du taux de poursuite dans l’enseignement supérieur des bacheliers vendéens », explique quant à lui Franck Louvrier, conseiller régional LR. Le conseil régional des Pays de la Loire fait partie des plus généreux vis-à-vis des lycées relevant de l’enseignement catholique, comme le révèle le décompte de Mediapart. « Nous ne faisons pas de différence entre les deux universités [l’Ices, privée, et l’antenne de l’université de Nantes, publique – ndlr] de La Roche-sur-Yon », assure de son côté Alain Lebœuf, président du conseil départemental de Vendée.
Dans le même temps, pourtant, les syndicats dénoncent la situation du campus public de la même ville. Lutte ouvrière pointait en 2020 la difficulté de « l’université de Nantes à doter correctement le campus de La Roche-sur-Yon : locaux trop étroits, personnels réduits, projets pédagogiques insuffisamment dotés… » En 2015, par exemple, le conseil départemental aidait à hauteur de 580 000 euros le campus public, tandis que la dotation de fonctionnement de l’Ices était fixée à 2 millions d’euros.
Les sommes débloquées par les pouvoirs publics pour soutenir les projets immobiliers de l’établissement sont presque anecdotiques comparées au soutien public annuel accordé à l’Ices au titre de son fonctionnement.
Selon le décompte de Mediapart, près de 3 millions d’euros sont alloués annuellement à l’institut. En 2023, par exemple, le conseil départemental a versé – comme il fait depuis au moins dix ans – 2,3 millions d’euros de subventions de fonctionnement, 180 000 euros de la part de l’agglomération de La Roche-sur-Yon, et l’établissement déclare toucher 700 000 euros par an depuis 2017 de la part de l’État.
« Nous souhaitons ramener ce taux [de financements publics dans le budget de l’établissement] entre 20 et 25 %, ce qui se pratique actuellement pour le privé », expliquait en 2019 le directeur de l’Ices à Ouest-France, comme un aveu du traitement généreux dont l’établissement bénéficie. L’Ices défend tout de même ce coup de pouce non négligeable sur fonds publics, arguant qu’il s’explique par « la participation de l’établissement au service public de l’enseignement supérieur ».
Dans un rapport publié en 2015, le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) faisait le même décompte. La part de l’État dans le fonctionnement de l’établissement se portait à hauteur de 300 000 euros cette année-là.
Un rapport plus récent du Haut Conseil donnait aussi des indices sur un chiffre clé : le budget global de l’Ices, que l’établissement a refusé de nous communiquer. En 2020, le Hcéres évaluait les recettes de l’établissement à près de 10 millions d’euros, pour un soutien de fonctionnement similaire. L’établissement privé était donc à cette époque subventionné à hauteur de 30 %.
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Le juteux business de la famille Villiers au Puy du Fou 31 août 2018 Le soutien à l’institut sous forme de subventions publiques est historique. En 1998, l’État lui donnait déjà l’équivalent de 300 000 euros, soit 2 millions de francs, tous les ans. Le département lui donnait cette année-là l’équivalent de 900 000 euros, soit près de 6 millions de francs, selon le détail d’un sénateur de l’époque, qui réclamait encore plus de subventions.
Et depuis, donc, justifiée par l’augmentation du nombre d’étudiant·es, l’aide des collectivités territoriales a été augmentée. « C’est un cercle vicieux, puisque les collectivités financent désormais l’augmentation de la capacité de l’institut et seront menées à aider encore davantage financièrement cette augmentation d’effectif dans les années à venir », critique Stéphane Ibarra, conseiller régional PS des Pays de la Loire.
Un soutien public qui gêne d’autant plus l’élu que l’institut serait « connu comme un bastion de la droite réactionnaire et parfois même de l’extrême droite ». La direction s’en défend, par exemple lors des 25 ans de l’établissement, lorsqu’elle expliquait à la presse locale son souhait « de combattre [cette image], d’expliquer surtout sans gommer [son] identité catholique » : « On dit notre foi mais on ne l’impose pas. » Mais la réputation de l’Ices lui colle à la peau et les faits sont têtus.
Théories royalistes et Action française « C’est une fac relativement tranquille niveau antifas et gauche. On se sentait particulièrement tranquilles », confirme Stanislas Rigault lors d’une interview accordée à un média étudiant de l’Ices. Le « on » fait référence aux militants de sa famille politique, l’extrême droite, puisque Stanislas Rigault est aujourd’hui porte-parole de Génération Z, la branche jeunesse du parti d’Éric Zemmour. Ambroise Savatier, un autre proche de l’ancien polémiste, est aussi passé par l’Ices, de 2010 à 2013, avant de rejoindre l’équipe du centre de formation politique créé par Marion Maréchal-Le Pen.
En mars 2024, au moment des débats sur la constitutionnalisation du recours à l’IVG, la statue de Simone Veil, trônant dans le centre-ville de La Roche-sur-Yon, a été souillée à la peinture. Au pied du buste, les militants de l’Action française – qui ont revendiqué l’acte – avaient laissé une mare de sang, des poupées étalées sur le sol, et une annotation : « La Constitution tue nos enfants. » Pour cette affaire, huit militants du groupe royaliste devaient être jugés le 29 août, parmi lesquels quatre étudiant·es de l’Ices, comme a pu l’identifier Mediapart. Ils sont tous présumés innocents, le procès ayant été renvoyé en décembre.
À ce sujet, Philippe-Henri Forget, directeur de la communication de l’établissement, justifie auprès de Mediapart que « l’affaire mentionnée est une affaire de droit commun qui n’implique pas l’Ices », ajoutant que l’institut « se réserve le droit d’engager des poursuites judiciaires contre toute personne ou organisation tentant d’associer [son] établissement à cet incident ». En 2019, la direction avait pourtant pris des sanctions disciplinaires contre plusieurs étudiant·es qui avaient été impliqué·es dans une action homophobe contre un stand LGBT, en dehors de l’enceinte de l’établissement.
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Agression anti-LGBT de La Roche-sur-Yon : la « fac de Villiers » face à sa « drôle » de réputation 22 mai 2019 Quand Philippe de Villiers lui-même refait le film de la création de cet institut, dans une interview diffusée il y a trois ans, l’ancien président du département de la Vendée, grand défenseur de la Manif pour tous et actuel adepte des plateaux de la chaîne CNews, évoque « une école de civilisation », que les étudiant·es auraient pour mission de « sauver ». Un institut en opposition à « l’effondrement intellectuel de l’université française » représenté, selon lui, par « le militantisme décolonial, l’intersectionnalité et le féminisme ».
Dans les arcanes de cette école vendéenne, Guillaume Bernard est chez lui depuis bientôt quinze ans. Son combat principal, le professeur d’histoire du droit le partage avec l’ancien président du département de la Vendée : la théorie du génocide vendéen. Mantra des de Villiers, répété dès qu’ils le peuvent sur les plateaux de télévision – et à l’honneur dans la scénographie de leur parc à thèmes, le Puy du Fou –, cette théorie soutient que le peuple vendéen aurait subi un génocide entre 1793 et 1796.
Qu’importe si elle n’est validée par aucun historien sérieux – dont aucun ne remet non plus en cause les massacres perpétrés par les troupes républicaines lors de la guerre de Vendée –, la théorie si chère à la mouvance royaliste est surtout un moyen de dénigrer et de dénoncer la République. Guillaume Bernard n’est pas le seul promoteur de cette théorie dans l’établissement vendéen. Le 13 septembre 2023, le professeur d’histoire du droit partage le « vibrant hommage rendu à Reynald Sécher et à ses travaux novateurs sur le #GénocideVendéen » lors d’une conférence à l’Ices. Habitué des lieux, l’auteur de huit livres sur cette théorie fut invité en 2018, deux fois en 2020, puis en 2022 et 2023.
Autres promoteurs de cette théorie, dénonçant « l’histoire officielle encore tenue par les universitaires », Olivier de Boucheron et son association Souvenir vendéen font partie des invités religieusement écoutés dans l’amphithéâtre de l’établissement. Le 13 septembre 2023, l’Ices « dédie la soirée » aux victimes vendéennes de cette guerre, énumérant quelques noms au passage, avant de laisser la parole à Jacques Villemain, autre très grand promoteur de la même théorie.
Le professeur de droit n’est d’ailleurs pas le seul sympathisant du groupement royaliste à arpenter les couloirs de l’institut. À tel point qu’« en fonction des années et des profils recrutés dans les promotions de l’Ices, la branche vendéenne de l’Action française est plus ou moins active. Mais quand elle est particulièrement active, c’est l’Ices qui remplit ses rangs », témoigne un observateur de longue date du milieu militant royaliste de son département.
C’est un peu notre Stanislas à nous.
Sylvie Chartier, ancienne élue socialiste au conseil départemental Baudoin Haulaf fait partie des militant·es les plus motivé·es et exposé·es qui étudient dans l’établissement. Celui qui agit sous pseudo aux côtés d’autres camarades de l’Ices, habitué des cortèges de l’Action française où la foule a pour coutume de crier à l’unisson « Tout le monde déteste la République ! » dans les rues de Paris, est présenté sur les réseaux sociaux de l’Action Française comme le chef de section en Vendée. Baudoin Haulaf a étudié à l’Ices au moins jusqu’en 2022. Il s’est aussi affiché aux côtés de Philippe de Villiers et d’Éric Zemmour lors d’une manifestation aux Sables-d’Olonne (Vendée), la même année, pour défendre une statue, dont la justice avait demandé le déplacement, en vertu de la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905.
Interrogés sur la présence de ces profils en surnombre, par comparaison avec le reste des universités françaises, Philippe-Henri Forget défend l’établissement, précisant qu’« il est une chose de se présenter comme étudiant d’un établissement, il en est une autre de revendiquer des actions au titre d’engagements personnels extrascolaires. Ces engagements ne concernent pas l’établissement ».
C’est pourtant bien ces militant·es proches de l’extrême droite, étudiant·es à l’Ices, qui ont convaincu Marie* de quitter l’établissement prématurément. L’ancienne étudiante dit ne pas avoir pu supporter « cette ambiance presque hégémonique de l’extrême droite dans les discours des étudiants ». « J’en suis arrivée à un point où l’école m’a dégoûtée de ma foi, à force d’être utilisée par des étudiants pour marginaliser et critiquer les minorités », se rappelle-t-elle.
Car si l’Ices est devenu une pouponnière de personnalités de la droite réactionnaire et de l’extrême droite, « cela ne représente pas l’ensemble des étudiants », tient à rappeler Marie. « Pour beaucoup de Vendéens, la seule solution pour étudier dans le département dans des domaines comme le droit, par exemple, c’est cette école privée. Le plus proche, version publique, c’est Nantes. Et le coût du logement là-bas rend le paiement des frais de scolarité de l’Ices moins onéreux », analyse Marie.
« C’est un peu notre Stanislas à nous », ironise Sylvie Chartier, ancienne élue socialiste au conseil départemental de Vendée, en référence au nom du lycée privé du chic VIe arrondissement parisien, très largement financé par l’argent public, et par lequel nombre d’élu·es et d’enfants d’élu·es sont passé·es. Car au même titre que le lycée rendu célèbre par l’affaire Oudéa-Castéra, nombre de politiques vendéen·nes, qui sont d’ailleurs amené·es à voter les subventions, en sont issu·es.
Yannick Moreau, maire des Sables-d’Olonne, son adjoint Nicolas Chénéchaud, Valentin Josse, 5e vice-président du conseil départemental, Anne-Sophie Fagot, conseillère régionale des Pays de la Loire, ont pour point commun d’avoir étudié à l’Ices. Christophe Hogard, maire des Herbiers, cinquième plus grande commune du département, ou encore Yannick David, 1er vice-président de l’agglomération de La Roche-sur-Yon, y ont enseigné.
À ces nombreux élu·es locaux, auxquels commencent à se greffer des anciens étudiant·es au rôle plus national – à l’image de Stanislas Rigault –, il faut aussi ajouter une grosse poignée de lobbyistes proches de la Manif pour tous du temps de son apogée, comme l’avait recensé Mediacités. Contactée par Mediapart, la direction rappelle que « l’Ices ne revendique aucune visée militante, le projet de l’établissement est clairement apolitique ». À Médiacités, pourtant, Philippe‐Henri Forget, chargé des relations publiques de l’Ices, avait fini par assumer à demi-mot un rôle bien intégré par l’établissement : « J’espère que je n’en dis pas trop, mais oui, l’Ices est un acteur qui forme une jeunesse catholique engagée dans la société. »
Manuel Magrez
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