« On a des pics de 80 heures par semaine ! » – Au CHU de Nantes, le témoignage accablant de cet interne

lundi 30 septembre 2024.
 

« Cures d’austérité », « fermeture de lits et de postes », « tragiques décès de cet été aux urgences »… La situation du CHU de Nantes est accablante. Début juillet 2024, on apprend que le CHU se dote d’un nouveau logo à 185 000 euros… tout en fermant 100 lits. Un comble. Début août, des syndicats du CHU signalent quatre tués dans la file d’attente des urgences. Le CHU n’en reconnaît qu’une sur quatre. Dans les colonnes de L’insoumission, un interne du CHU témoigne. Son nom a été changé. Entretien.

« Les tragiques décès de cet été aux urgences sont le point culminant en horreur de ces années de dégradation du CHU de Nantes »

L’insoumission : quelle est la situation à l’hôpital de Nantes ?

Damien François : Préoccupante et alarmante. Soumis à des cures d’austerité régulière depuis plusieurs dizaines années, une tendance accentuée avec la loi de financement de l’hôpital public de tarification à l’activité (dite T2A) de 2004, les hôpitaux publics voient leurs capacités d’accueil et de soin constamment se dégrader. Concernant le CHU de Nantes, alors qu’en 2007 le CHU comptait 1483 lits, nous allons vers 1417 lits après le transfert du CHU de Nantes (projet de déménagement du CHU de Nantes vivement contesté localement par les syndicats et associations pour son installation en zones inondables et son cout risquant d’entrainé de nombreuses fermetures de lits et de postes notamment, ndlr).

Face à une population nantaise en constante augmentation, les soignantes et soignants alertent que d’un lit pour 865 en 2007, nous n’en aurons plus qu’un pour 1070 en 2026. On peut même estimer ce chiffre à 1 lit pour 1200 en 2050. Les conditions de soin de nos patientes et patients ne peuvent que se dégrader. Les tragiques décès de cet été aux urgences sont le point culminant en horreur de ces années de dégradation du CHU de Nantes.

L’insoumission : Comment se sont passés tes premiers pas à l’hôpital comme interne en médecine ?

Damien François : Découvrir le monde hospitalier comme acteur ou actrice de ce dernier est une expérience paradoxale : à la fois fier de servir le bien commun et de prendre soin, de contribuer à faire fonctionner cet emblème d’humanisme qu’est le service public de la santé, on découvre aussi l’ampleur de décalage avec la réalité. Le manque de temps pour prendre le temps de soigner face à un manque chronique de soignants et soignantes. Les angoisses de nos malades et de leurs proches que nous n’avons pas le temps de calmer.

« Trop sont à bout de souffle de voir leur métier se transformer en cauchemar faute de moyens humains et matériels »

Les délais de prise en charge qui s’allongent sans fin. Les souffrances de mes collègues, tristes de ne pouvoir soigner comme ils et elles le voudraient. Le manque de matériel fonctionnel nous obligeant à bricoler en permanence. Les accidents du travail et maladies professionnels qui s’accumulent. Les Burn Out…

Tous les soignants et soignantes de tous les pays aiment prendre soin. C’est notre tâche et nous en sommes fières et fiers. Mais en France, trop sont à bout de souffle de voir leur métier se transformer en cauchemar faute de moyens humains et matériels.

L’insoumission : Comment en arrive-t-on à des situations comme des délais d’attente de 70 heures pour un patient ? Peux-tu nous décrire les drames de cet été ?

Damien François : Les coupes budgétaires et les restructurations austéritaires de nos services ont considérablement dégradé nos conditions de travail. Pour financer toujours plus de baisses d’impôt pour les plus riches, nos gouvernements ont installé une gestion actionnariale, d’entreprise privée à l’hôpital publique. Mais imposer une gestion d’entreprise privée à un service publique est une aberration évidente. Nous soignons l’humain, nous devons être hors de toute logique de rentabilité ou d’austérité. Cette vision capitaliste de la santé de nos gouvernements a causé d’immenses ravages.

Conséquences : face à des conditions de travail dégradées et de suppressions de lits à répétition, le temps de travail et la pénibilité des soignants et soignantes explosent. Au CHU de Nantes, les heures supplémentaires ont explosé pour s’établir à 22 424 jours, et 48 482 jours de congés se sont retrouvés bloqués à défaut de n’avoir pu être pris malgré le besoin criant de repos.

« Nous soignons l’humain, nous devons être hors de toute logique de rentabilité ou d’austérité. Cette vision capitaliste de la santé de nos gouvernements a causé d’immenses ravages. »

On comprend ainsi la désaffection massive de la population pour des métiers du soin dont l’exercice est devenu épuisant. Phénomène qui ne fait qu’accentuer la dégradation des conditions d’exercice et l’augmentation du temps de travail, entrainant l’hôpital public dans un cercle vicieux destructeur.

On comprend ainsi que, pour nos gouvernements, les 9 heures moyennes d’attente avant d’être pris en charge aux urgences et les 70 heures d’attente étaient malheureusement prévisibles. Rien est fait pour sortir le service public de la santé de ce bourbier. Les tragiques décès de cet été sont la conséquence de ce dépeçage public

L’insoumission : Quel est ton quotidien ? Quelles sont tes conditions de travail ?

Damien François : Le temps de travail moyen des internes de médecine en France est connu : 58,4 heures par semaine en moyenne avec des pics jusqu’à 80 heures. Je ne fais pas exception à la règle… mais mon cas individuel n’a aucune importance : c’est la totalité des soignants et soignantes, tout métier confondu, de l’hôpital public qui est soumis à des conditions de travail aliénantes et écrasantes. La logique capitaliste qui broie l’hôpital n’épargne personne. Ainsi, les burn out s’accumulent chez mes collègues et le record d’arrêt de travail et d’accident du travail sont sans arrêt battu. Les dos cassent. Les cernes se creusent. Les morales s’effondrent de partout.

Comment peut-on soigner convenablement nos patientes et patients quand nous sommes nous-mêmes dans la douleur morale et physique ? Il serait tant que nos gouvernements le comprennent et agissent…

« La logique capitaliste qui broie l’hôpital n’épargne personne. Ainsi, les burn out s’accumulent chez mes collègues et le record d’arrêt de travail et d’accident du travail sont sans arrêt battu. Les dos cassent. Les Cernes se creusent. Les morals s’effondrent de partout. »

L’insoumission : Comment se sentent les étudiants et jeunes diplômés qui débutent dans le métier, que ce soit d’infirmier ou de médecin ?

Beaucoup arrivent avec l’envie de faire et l’enthousiasme de participer à la grande aventure du soin humain. Puis arrive la désillusion de ce que nos gouvernements ont fait de l’hôpital public et des métiers du soin. L’amour du soin et le sens du bien commun font tenir beaucoup alors qu’en parallèle le système les épuise… Jusqu’à ce que le corps ou le mental n’en puisent plus.

Nous aimons notre métier. Nous voulons prendre soin de nos patientes et patients. Mais l’austérité matérielle et humaine nous en empêche. Je ne compte plus malheureusement les collègues et camarades qui ont abandonné l’hôpital public au bord de l’épuisement. Moi, je continue et continuerai jusqu’au bout, car nos patientes et patients ont besoin de nous. Mais je ne peux que comprendre les collègues qui jettent l’éponge…

L’insoumission : Quelles sont les solutions pour répondre à la crise globale de l’hôpital ?

Damien François : Elles exigent une rupture radicale avec la logique de nos précédents gouvernements. Il faut dégager le service public de la santé de toute logique de rentabilité : augmenter drastiquement les moyens financiers, rouvrir des postes et des lits, augmenter les salaires, baisser le temps de travail des soignants et soignantes, couvrir tout le territoire sans exception d’une offre de soin publique accessible à toutes et tous, instaurer le 100 % de prise en charge par la Sécurité sociale, former plus de soignant.e.s, produire des médicaments par la puissance publique pour les rendre accessibles, en finir avec les déserts médicaux…

Bref, il faut assumer une plus grande socialisation de la santé et un rôle d’acteur majeur et central de l’état dans la planification et l’offre de soin. Passer d’une logique capitaliste centrée sur la rentabilité à une logique humaniste centrée sur les besoins.

Espérons que nous ferions mieux à l’avenir pour l’hôpital public.


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