Il y a 232 ans naissait la Première république. Tout au moins est-elle la première pour nous qui en avons usé cinq – la cinquième l’étant jusqu’à la corde, surtout depuis que le Président s’assoit sur une bonne partie des usages républicains, en volant le résultat des dernières élections législatives. Avant de devenir président, E. Macron avait d’ailleurs théorisé sur le fait que l’on ait renvoyé le roi avant de l’exécuter, comme le rappelait Fabrice d’Almeida sur France Info en janvier 2023.
Selon E. Macron, l’exécution du roi aurait laissé une place vide au sommet de l’État qui placerait les Français dans la contradiction de rechercher à la fois (on n’ose dire « en même temps ») le rejet de l’autorité et une autorité forte dans la verticalité : cela interroge bien entendu sur la conception macronienne de la République – et sur la nôtre. Cela interrogeait déjà les divers acteurs politiques au temps de la Révolution.
En effet, la République est alors une idée dont la réalité reste à inventer en grande partie, et dont la définition ne saurait se limiter à l’absence d’un roi. Dans cette construction républicaine de la vie politique, le peuple est un artisan important, plus essentiel encore qu’en 1789. Il porte une définition plus sociale de la république, quand la bourgeoisie, aux affaires depuis 1789, la voit conservatrice : il s’agit pour elle d’arrêter la révolution à la préservation du droit de propriété. Quant au roi et à ses partisans, ils aspirent à un retour à une monarchie de droit divin qui nous semble illusoire vu de notre époque, mais qui pouvait passer comme parfaitement réalisable encore en 1792. Notre article.
Le 10 août 1792, le peuple de Paris (les sans-culottes) et les soldats fédérés de Bretagne et de Provence prennent le palais des Tuileries. Le roi et sa famille se réfugient à l’Assemblée législative pour échapper au lynchage. Les gardes suisses fidèles au roi massacrent et se font massacrer : près de mille morts en quelques heures – certains bilans évoquent 3000 morts sur la journée. Les députés suspendent la monarchie.
Le 20 septembre, après cinq mois de guerre, l’armée prussienne est tenue en échec par les troupes françaises commandées par Kellermann, au cri de « Vive la nation ! » : la canonnade et les assauts incertains de Valmy, aux portes de la Champagne, lèvent la menace immédiate que l’ennemi faisait peser sur Paris. Il faut y ajouter d’autres succès militaires français en Savoie, à Nice puis en Belgique où Dumouriez contraint les Autrichiens à lever le siège de Lille.
Le 21 septembre, la nouvelle assemblée appelée Convention se réunit et vote par acclamation l’abolition de la monarchie. Le lendemain, Billaud-Varenne, un proche de Danton et de Robespierre, propose que l’on date les décrets de l’an I de la République : adopté ! Voilà. Pas de proclamation solennelle. En moins de temps qu’il faut au président Macron pour nommer un gouvernement, la France de 1792 est passée de la monarchie à la République.
Contrairement à une idée reçue, Louis XVI n’est pas un roi faible, débonnaire, pâle copie de ses prédécesseurs Louis XV et surtout Louis XIV et Henri IV. Passée la stupeur de l’été 1789 où il perd l’origine divine de son pouvoir et la limitation de ses pouvoirs par la promesse de la rédaction d’une Constitution, il demeure un roi agissant contre la Révolution. Dès 1789, selon Jean-Marc Schiappa, « il ne renonce à ses tentatives de coups de force que devant leurs échecs ».
Il use de tous les moyens que lui donne la Constitution par laquelle ses pouvoirs sont certes encadrés mais restent importants. Ainsi, il pose son veto (refus) sur la constitution civile du clergé à deux reprises, mais aussi pour défendre les émigrés qui avaient fui la France après le 14 juillet 1789, ou pour refuser la présence de troupes pour défendre Paris en juillet 1792, alors que la France est en guerre depuis le mois d’avril et que les troupes ennemies ont pénétré sur le territoire national.
Quand il tente de s’enfuir le 21 juin 1791, ce n’est pas pour finir sa vie dans une retraite paisible mais pour se placer à la tête de l’armée des nobles émigrés en Allemagne et reprendre le pouvoir, tout son pouvoir perdu. Son arrestation à Varennes, en Meuse, l’empêche de rallier la place forte de Montmédy où ses partisans l’attendaient.
Après le retour forcé du roi à Paris, le camp des républicains grandit au point d’organiser une manifestation au cours de laquelle une pétition doit être signée, sur le Champ de Mars – où se trouve aujourd’hui la tour Eiffel – pour demander la destitution du roi. Sur l’ordre de La Fayette, la garde nationale tire sur la foule, marquant une rupture abrupte parmi les révolutionnaires.
Le 20 juin 1792, lorsque le Palais des Tuileries est envahi par les sans-culottes qui veulent contraindre le roi à lever ses vetos, Louis XVI fait face, non sans courage. Il accepte de se coiffer d’un bonnet phrygien et de boire une rasade de vin à la santé de la nation. Mais sur le fond il ne cède rien et refuse de se séparer de ses ministres jugés trop modérés.
Il refuse également de revenir sur ses vetos. De même, lorsque, face à la menace d’invasion par les armées prussienne et autrichienne, l’Assemblée déclare « la Patrie en danger », le 11 juillet 1792, le roi s’y oppose. Quand il s’agit de rassembler les fédérés à Paris le 14 juillet 1792, le roi rejette la mesure.
C’est lui qui demande aux souverains étrangers qu’ils « parlent fortement » en sa faveur : cela motive le « manifeste de Brunswick » par lequel le général de l’armée prussienne menace le peuple de Paris en cas d’insurrection contre le roi. Ce texte est connu des Parisiens le 3 août 1792 mais, loin de modérer les ardeurs antimonarchiques des sans-culottes, il provoque la demande de déchéance du roi par les sections révolutionnaires de la capitale. Une Commune insurrectionnelle est mise en place à Paris. Le roi a perdu le peu qu’il lui restait de crédit auprès du peuple.
Toutefois, la rigidité du roi et de ses partisans ne suffit pas à elle seule à expliquer la chute de la monarchie au cours de l’été 1792. La France est, depuis la fin de l’année 1791, parcourue de mouvements sociaux qui font aussi place à des revendications plus politiques.
La Révolution de 1789 avait été celle de la fin des privilèges, de l’égalité en droit des citoyens, des libertés et du droit de propriété. Si elle s’était appuyée sur le petit peuple, lors de la prise de la Bastille le 14 juillet, pendant la Grande peur dans les campagnes (été 1789), ou lorsque le peuple de Paris mené par les femmes est allé chercher à Versailles le roi et sa famille (« le boulanger, la boulangère et le petit mitron ») le 5 octobre 1789, les parlementaires, auteurs de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, avaient pris note des inégalités sociales mais n’entendaient pas les effacer.
Or, en 1791, motivées par la faim mais aussi la colère après la tentative de fuite du roi, des émeutes éclatent dans le pays à partir de la fin de l’année : les émeutiers s’en prennent aux châteaux qu’ils incendient, comme dans le Cantal, ou pillent, comme dans le sud-ouest. A Dunkerque, des combats ont lieu autour d’un convoi de blé. Luttes de classes ? En partie car l’Assemblée législative, érigée en grande défenseuse du droit de propriété, envoie les gardes nationaux pour ramener les émeutiers à la raison – mais parfois, comme à Dunkerque justement, ils se rallient à la foule.
À Paris, les « enragés » menés par Jacques Roux pillent les épiceries face à l’augmentation du prix du sucre : on commence à les appeler les sans-culottes car, trop pauvres pour porter, comme les nobles et les bourgeois, des culottes courtes avec des bas de soie, ils sont vêtus de simples pantalons de toile ; beaucoup arborent une veste, souvent rouge : la carmagnole, des sabots et une coiffe rouge qui imite celle des esclaves affranchis de l’Antiquité romaine : le bonnet phrygien. Les organisateurs des Jeux olympiques de Paris 2024 ont-ils eu conscience d’avoir choisi comme mascotte le bonnet des « enragés » de 1792 ?
Autour de Paris, les émeutiers réclament des « taxes », en réalité la fixation d’un prix maximum pour le blé. A Etampes, les gardes nationaux laissent se perpétrer le lynchage du maire Simoneau, qui refusait de plafonner les prix au nom du droit à la propriété. Robespierre ouvre les colonnes de son journal, Le Défenseur de la Constitution, à une pétition qui revendique le droit à l’existence et des prix abordables pour les produits de première nécessité.
Ces mouvements sociaux puissants créent un clivage en partie nouveau à l’Assemblée où la contradiction entre le droit de propriété, essentiel à la bourgeoisie, et le droit à l’existence, nécessaire pour un peuple qui a faim, semblent devoir s’opposer. C’est le moment où Robespierre prend la défense du petit peuple. Le révolutionnaire « enragé » Varlet réclame à l’Assemblée que l’on reconnaisse les droits « sacrés » des travailleurs – mais la majorité des députés méprise la demande.
Début août 1792, Danton, à la tête d’une section de la commune insurrectionnelle de Paris, proclame la fin des distinctions entre citoyens actifs (les plus riches qui seuls pouvaient voter) et passifs, ouvrant la voie au suffrage universel masculin. Les revendications strictement politiques (la république) et sociales (assurer à tous une alimentation suffisante) se rejoignent donc et provoquent la fin de la monarchie.
La journée du 10 août 1792 peut donc se voir comme un aboutissement des mouvements populaires qui se sont politisés par le rejet du roi. D’un côté, on note que les émeutes reprennent les codes terribles des soulèvements d’ancien régime : pillages, incendies, massacres et même, dans certains cas, actes de cannibalisme. D’un autre côté ces actions sont de plus en plus soutenues par les revendications d’un peuple en train d’acquérir une conscience politique.
La grande nouveauté est le soutien que ce mouvement trouve parmi le personnel politique : Marat, Danton, Robespierre par exemple, considèrent légitimes les revendications sociales de ce peuple désemparé : la gauche devient sociale. Ils affrontent à l’Assemblée devenue Convention les tenants de la légalité parlementaire et de l’ordre bourgeois. Le « bloc » monarchiste écarté, les « montagnards » autour de Robespierre et les « girondins » autour de Brissot se retrouvent face à face. Dès les débuts incertains de la République, comme le note Jean-Clément Martin, « l’opposition entre démocratie représentative et démocratie directe est clairement posée ».
Enfin, cela permet de poser l’hypothèse que la division du paysage politique en trois « blocs », théorisée aujourd’hui par exemple par Stefano Palombarini, et qui marque notre actualité, n’est peut-être pas si nouvelle mais peut se retrouver à plusieurs moments de notre histoire, peut-être souvent dans les moments de crise comme ces années 1791-1792.
Par Sébastien Poyard Professeur d’histoire-géographie, Vesoul
Pour approfondir :
Vovelle (Michel), La chute de la monarchie, 1787-1792, Seuil « Points », 1972.
Dupuy (Roger), La république jacobine. Terreur, guerre et gouvernement révolutionnaire,
1792-1794, Seuil « Points », 2005.
Biard (Michel), Bourdin (Philippe), Marzagalli (Sylvia), Révolution, Consulat, Empire, 1789- 1815, Belin, 2009.
Martin (Jean-Clément), Nouvelle histoire de la Révolution française, Perrin « Tempus », 2019.
Schiappa (Jean-Marc), La Révolution française, 1789-1799, Librio, 2019.
Schiappa (Jean-Marc), La Révolution expliquée à Marianne, Ed François Bourin, 2019.
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