Le parti d’extrême droite profite de sa position centrale pour applaudir les propositions sécuritaires et anti-immigration du ministre de l’intérieur, tout en menaçant de censure le gouvernement à la moindre contrariété. Michel Barnier, lui, semble s’en accommoder.
Voilà donc à quoi peut ressembler un gouvernement sous « surveillance permanente » du Rassemblement national (RN). Le parti présidé par Jordan Bardella, qui entretient depuis la nomination de Michel Barnier le plus grand flou sur ses supposées « lignes rouges » – ses conditions et ses exigences en échange de la non-censure –, donc de la survie du gouvernement, distribue depuis l’annonce de celui-ci ses bons points et ses remontrances.
Dès ce week-end, le président du RN a réagi aux différentes nominations de ministres en fustigeant « le retour par une porte dérobée du macronisme », assurant que ce gouvernement « n’a aucun avenir ». Les jours suivants, sur les plateaux médiatiques, les deux présidents délégués du groupe RN à l’Assemblée nationale, Jean-Philippe Tanguy et Sébastien Chenu, ont entrepris d’accentuer la pression sur l’équipe de Michel Barnier. « Nous exercerons une pression maximum pour que les promesses de M. Retailleau soient tenues », a réagi le premier sur LCI, questionné sur le discours sécuritaire et anti-immigration du nouveau ministre de l’intérieur.
Sébastien Chenu a de son côté revendiqué la capacité du RN à changer d’avis quand bon lui semble concernant le sursis accordé à Michel Barnier, pour mieux souligner que le parti d’extrême droite a les cartes en main et peut exiger des concessions : « Le gouvernement n’aura jamais rien d’acquis avec nous, a-t-il affirmé sur BFMTV. Rien ne nous empêchera de changer notre position. »
Dès la nomination du premier ministre, les cadres du parti d’extrême droite ont œuvré pour entretenir le flou sur les modalités qui leur permettraient de laisser sa chance au gouvernement. Tout juste ont-ils répété la nécessité de « prendre en compte les urgences majeures des Français, le pouvoir d’achat, la sécurité et l’immigration », sans plus de précisions, tandis que certains suggéraient tout simplement à Michel Barnier de reprendre telles quelles les « mesures d’urgence » présentées par Jordan Bardella pendant la campagne législative. Un élément de langage a été martelé par tous les responsables du RN : la nécessité pour le gouvernement de « respecter » le parti et ses 11 millions d’électeurs et électrices au premier tour du scrutin anticipé.
La journée de mardi est venue éclaircir quelque peu les exigences de Marine Le Pen sur ce dernier point. Après avoir mis son veto sur la présence de certains adversaires politiques au gouvernement en raison de leur attitude vis-à-vis du RN – Éric Dupond-Moretti et Xavier Bertrand en tête –, la cheffe de file des député·es RN est allée plus loin, faisant comprendre que toute prise de parole excluant son parti de l’arc républicain était susceptible de provoquer une censure.
La déclaration du nouveau ministre de l’économie, Antoine Armand, sur France Inter, assurant qu’il souhaitait collaborer avec tous les partis pour l’élaboration du budget « pour peu qu’ils soient dans l’arc républicain » – ce qui, a-t-il expliqué, n’est pas le cas du RN –, a provoqué l’ire des caciques du parti de Jordan Bardella et donné une nouvelle illustration de la prévenance de Michel Barnier à l’égard de l’extrême droite.
« Ce petit bonhomme prétentieux chercherait la censure immédiate qu’il ne s’y prendrait pas autrement », a cinglé Philippe Olivier, proche conseiller de Marine Le Pen, au sujet d’Antoine Armand, vite rejoint par le ban et l’arrière-ban du groupe RN qui a brandi les menaces. « Il semble avoir oublié les lignes rouges, dont celle qui implique le respect. Si sa porte reste fermée, c’est lui qui risque de la prendre assez rapidement avec tout son gouvernement », a prévenu le porte-parole du groupe, Thomas Ménagé, tandis que Marine Le Pen demandait explicitement au premier ministre de recadrer l’impétrant.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Michel Barnier a non seulement tancé Antoine Armand, le conduisant à publier un communiqué pour rectifier le tir et assurer qu’il recevrait « toutes les forces politiques représentées au Parlement », mais il a également téléphoné à Marine Le Pen pour « la rassurer ». De quoi ravir les élu·es du RN, qui n’ont eu qu’à attendre trois jours pour avoir l’illustration de la position centrale que leur offre ce gouvernement fragile. « On a le pouvoir de faire recadrer un ministre qui dit n’importe quoi », savourait ainsi la députée Alexandra Masson.
Il va falloir qu’on obtienne des choses, pour pouvoir expliquer à nos électeurs que c’est pour cela qu’on ne censure pas.
Un cadre du RN
Les cadres du parti d’extrême droite ont bien l’intention de continuer de jouer sur les deux tableaux, entre menaces de censure et applaudissements de certaines propositions du gouvernement. Les annonces martiales de Bruno Retailleau, qui a promis « un seul mot d’ordre, rétablir l’ordre » et a déjà répété sa volonté de « prendre tous les moyens » pour « faire baisser l’immigration en France », ont été accueillies chaleureusement au sein du RN. « S’il arrive à faire passer des mesures que le RN a toujours soutenues, tant mieux pour la France », s’est réjoui Jean-Philippe Tanguy sur LCI.
Très médiatique député européen, l’ancien syndicaliste policier Matthieu Valet a, lui, officiellement demandé au ministre de l’intérieur de porter plainte contre l’élu La France insoumise (LFI) Raphaël Arnault, qui a évoqué dans un message sur le réseau social X des « assassinats de Kanak par les forces policières envoyées spécialement à 17 000 km ». Dès le lendemain, Bruno Retailleau a effectivement annoncé porter plainte, dénonçant « une violence inacceptable » de la part du député insoumis, pour le plus grand plaisir de Matthieu Valet, qui s’est félicité auprès de Pascal Praud de cette « décision courageuse ».
Les cadres du RN comptent bien réitérer, autant que possible, l’expérience de la loi immigration, finalement votée par le groupe de Marine Le Pen en décembre 2023, après plusieurs mois à répéter son opposition farouche au texte. L’ancienne candidate à la présidentielle avait fini par le soutenir, ravie de constater la reprise de plusieurs propositions phares de son parti, au premier rang desquelles l’instauration d’une forme de préférence nationale.
« La question, c’est qu’est-ce qu’on exige, et si on n’obtient pas ce qu’on exige, est-ce qu’on censure ?, explique à Mediapart un cadre du RN, qui anticipe la nécessité de faire un peu de pédagogie. Il va falloir qu’on obtienne des choses, pour pouvoir expliquer à nos électeurs que c’est pour cela qu’on ne censure pas. Et à l’inverse, si on n’obtient pas ce qu’on demande, notre censure sera très facilement comprise. »
Pour mettre à l’épreuve sa nouvelle position de force dans l’hémicycle, le parti d’extrême droite a annoncé mercredi les propositions de loi qu’il défendra lors de sa journée de niche parlementaire, prévue le 31 octobre et déjà qualifiée par le président délégué du groupe de « troisième épreuve du feu » pour le gouvernement Barnier, après sa déclaration de politique générale et l’examen du budget.
Comme à son habitude depuis 2022, le RN a mis à l’agenda des propositions « consensuelles » qu’il estime « susceptibles de rassembler une large majorité de parlementaires ». Jusqu’ici, aucune des propositions portées par le parti lors de ses niches n’a été adoptée, pas même son texte sur l’endométriose l’an passé. Mais le groupe de Marine Le Pen peut désormais compter sur ses alliés ciottistes pour atteindre 143 député·es, et partage avec le nouveau gouvernement un certain nombre d’obsessions sur les questions de sécurité et d’immigration.
Son premier texte – une proposition d’abrogation de la réforme des retraites – a été conçu pour semer la zizanie dans les rangs de la gauche, où certaines voix se sont élevées pour soutenir un vote favorable, pour le plus grand plaisir de Jean-Philippe Tanguy, qui s’en est réjoui en conférence de presse : « Le grand changement, c’est que la gauche sort de sa position sectaire historique de ne voter aucun texte du RN quel qu’il soit. Là, le débat existe au sein des groupes, les positions ne sont plus aussi claires qu’avant. »
Pour le rapporteur du texte, Thomas Ménagé, « si chacun est cohérent avec ses engagements de campagne, le texte, qui est consensuel, passera le 31 octobre ». Mardi, le groupe du Parti socialiste (PS) a officiellement annoncé qu’il ne voterait pas cette proposition de loi du RN, dénonçant un « triple mensonge politique, institutionnel et social », tandis que les Insoumis prévoient, eux aussi, de mettre l’abrogation à l’agenda de leur journée d’initiative, fin novembre.
Le RN espère toutefois profiter de cette journée pour insister davantage sur certaines convergences de vues avec le gouvernement de Michel Barnier, avec une proposition de loi visant au retour des peines plancher, promesse portée par le parti Les Républicains (LR) depuis longtemps et proposée en mars 2023 par la députée Horizons Naïma Moutchou.
L’élue RN Edwige Diaz portera quant à elle un texte visant à assouplir les conditions d’expulsion des délinquants étrangers, une proposition déjà avancée en 2021 par Michel Barnier lui-même, pendant la primaire du parti LR. « Je ne comprendrais pas ce qui pourrait pousser le gouvernement à s’opposer à ces textes, sauf à renier immédiatement les engagements de M. Barnier de prendre les bonnes idées d’où qu’elles viennent », a répété Jean-Philippe Tanguy en conférence de presse, comme un nouveau coup de pression sur ce gouvernement plus que jamais dans la main de l’extrême droite.
Youmni Kezzouf
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