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Une déclaration assez floue pour ne se fâcher avec personne et suffisamment soporifique pour anesthésier l’Assemblée nationale. Michel Barnier aura, sur ce plan du moins, réussi son coup lors de sa déclaration de politique générale. Au point que même les Insoumis, après un bref coup d’éclat en début de discours – toutes et tous ont brandi leur carte électorale, comme un rappel du résultat des législatives –, se sont finalement laissé bercer par le ronronnement du nouveau premier ministre.
Alors qu’un petit suspense régnait sur la manière dont le camp présidentiel, échaudé par les récents propos du ministre de l’intérieur Bruno Retailleau, réagirait à l’allocution du chef du gouvernement, celui-ci est parvenu à s’éviter les levées de boucliers.
Son profil de vieux routier de la politique, certes un peu désuet, a calmé tout ce petit monde, même si son prédécesseur, Gabriel Attal, devenu patron du groupe Ensemble pour la République (EPR), a raillé en privé l’écriture « Chat GPT » du discours.
« C’était un discours calme, ça fait du bien », indiquait ainsi le député macroniste Ludovic Mendes à la sortie de l’hémicycle, estimant que Michel Barnier n’avait « pas dit grand-chose », mais que c’était « bien joué » de sa part. Malgré « pas mal d’appréhensions », sa collègue Éléonore Caroit concédait également ressentir un « soulagement timide » : « Après les propos de Retailleau, qu’il a publiquement recadré devant nous en rappelant son attachement à l’État de droit, Michel Barnier a réussi l’exercice compliqué d’avoir un discours assez modéré, donc je lui accorde le bénéfice du doute », affirmait l’élue, sans pour autant exclure de voter la censure par la suite.
Peu friand de l’alliage avec le parti Les Républicains (LR), l’ancien ministre de l’industrie Roland Lescure s’inquiétait pour sa part des possibles hausses d’impôts sur les grandes entreprises « qu’il faut, selon lui, accompagner et protéger pour qu’elles continuent à faire prospérer la France ». « Je suis rassuré, mais a minima », glissait quant à lui le député MoDem Erwan Balanant, très critique sur ce gouvernement trop à droite.
Alors qu’à la veille de la déclaration de politique générale de Michel Barnier, certains macronistes n’excluaient plus de voter la motion de censure que le Parti socialiste (PS) défendra la semaine prochaine, le discours de mardi a refroidi quelques ardeurs. Pour beaucoup, demeure cependant un goût d’inachevé, voire de dissonance cognitive, après une semaine durant laquelle le chef du gouvernement a pris soin de désavouer son ministre de l’économie en téléphonant à Marine Le Pen, tout en laissant son ministre de l’intérieur occuper l’espace médiatique sous les applaudissements de l’extrême droite.
« Le discours du premier ministre ne colle absolument pas avec les incarnations qu’il a choisies pour son gouvernement, notait à son issue la députée Sophie Errante, qui a récemment claqué la porte du groupe macroniste, en désaccord avec la pente prise par le nouvel exécutif. D’un côté, il reparle de la loi sur la fin de vie, mais il a nommé une ministre qui est contre... Et tout est comme ça. Ça ne me donne pas du tout confiance, plutôt le mal de mer. »
[Michel Barnier] est essentiellement sur notre terrain et c’est tant mieux.
Jean-Philippe Tanguy, député RN
Assis à ses côtés sur le banc des non-inscrits, l’ancien président de la commission des lois de l’Assemblée, Sacha Houlié, n’a pas attendu la déclaration de politique générale pour se faire un avis. « Barnier aura beau dire tout ce qu’il veut, il pense la même chose que Retailleau », expliquait-il quelques heures plus tôt, persuadé que ses anciens collègues seraient obligés se rendre à l’évidence au moment du vote du budget, qui dévoilera les orientations financières (et austéritaires) du nouveau gouvernement. « De toute façon, ajoutait-il, il ne prendra jamais le risque de déjuger son ministre de l’intérieur, auquel cas il s’expose à la censure du Rassemblement national. »
Une option, pour l’heure, rejetée par le Rassemblement national (RN). Les bancs occupés par le groupe de Marine Le Pen sont restés particulièrement calmes pendant le discours du premier ministre, qu’ils disent avoir placé « sous surveillance ».
Profitant de sa position de premier groupe de l’hémicycle en nombre de parlementaires, la triple candidate à la présidentielle s’est exprimée la première après Michel Barnier. Continuant de souffler le chaud et le froid sur son gouvernement, elle a distribué ses bons points et ses lignes rouges, avant de dresser la liste de ses exigences.
Marine Le Pen a commencé par saluer le supposé « respect inné » que le nouveau premier ministre porterait à ses adversaires – « une qualité qui [l’]honore » –, avant d’assurer que le groupe RN ne censurera pas a priori son gouvernement, pour « ne pas entraîner le pays vers le chaos ». Les député·es d’extrême droite n’apporteront donc pas leur voix à la motion de censure qui sera discutée la semaine prochaine. La cheffe de file du RN à l’Assemblée a ensuite égrené la liste de ses « lignes rouges sur lesquelles le groupe pourrait fonder une censure ».
« Toute hausse d’impôts sur les plus fortunés devra être compensée par du pouvoir d’achat supplémentaire pour les plus modestes », a martelé celle que La France insoumise (LFI) a renommée « présidente du conseil de surveillance » du gouvernement, accentuant ainsi la pression sur le futur budget. Face aux journalistes, le député RN Jean-Philippe Tanguy a d’ailleurs évoqué son « inquiétude » sur la question des impôts, tout en réaffirmant la menace d’une censure : « Si les propositions de Michel Barnier n’allaient pas dans le sens du programme du RN, on le censurerait. Il est essentiellement sur notre terrain et c’est tant mieux », a-t-il savouré.
L’élu d’extrême droite a également revendiqué le flou artistique des menaces de son groupe : « On a répondu de manière assez large, parce que si vous êtes trop précis, les lignes rouges deviennent écarlates. » Marine Le Pen a toutefois évoqué à la tribune deux autres de ces fameuses lignes rouges, dont la mise en place d’un scrutin proportionnel et « un sursaut migratoire, sécuritaire et pénal ». Le RN réclame au premier ministre, outre le retour des peines planchers et de la double peine qu’il proposera dans sa niche parlementaire le 31 octobre, une nouvelle loi « restrictive » sur l’immigration, « dès le premier trimestre 2025 », laquelle devra reprendre « a minima les dispositions censurées par le Conseil constitutionnel en janvier dernier ».
Autrement dit les mesures de préférence nationale que l’institution de la rue de Montpensier avait jugées anticonstitutionnelles. « C’est pour cela qu’on demande un référendum », a balayé Jean-Philippe Tanguy, oubliant que cette consultation est elle aussi anticonstitutionnelle. Preuve que le parti d’extrême droite peine à renouveler ses éléments de langage, Laure Lavalette, porte-parole du groupe RN, ressassait encore, à la sortie de l’hémicycle, les effets du front républicain : « S’il n’y avait pas eu les magouilles d’entre-deux-tours et les alliances contre-nature, ça aurait été à Jordan Bardella de prononcer une déclaration de politique générale. »
Pauline Graulle et Youmni Kezzouf
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