Etats-Unis. Les causes du renforcement de l’extrême-droite et comment l’affronter

lundi 14 avril 2025.
 

Article publié début novembre 2024 dans le média étasunien Left Voice (voix de gauche) avant l’élection présidentielle qui a vu la victoire de Donald Trump. Nous le remettons en page d’accueil comme complément d’analyse du trumpisme.

Aux États-Unis, l’élection présidentielle montre combien l’extrême-droite s’est renforcée durant la présidence de Biden. Quelle que soit l’issue des élections de ce mardi, elle restera un acteur majeur du paysage politique. Pour l’arrêter il faudra construire un front uni.

Le paysage politique étasunien est en train de virer à droite, comme nous l’avions déjà écrit.

Un exemple récent et évident : le meeting de Trump au Madison Square Garden, qui a montré combien le trumpisme et l’extrême-droite ont augmenté en nombre et en influence. Il est d’autant plus remarquable que cette démonstration de force ait eu lieu à New-York, un bastion du soutien au Parti démocrate. Dans l’État de New-York, Trump est donné à environ 40% dans les sondages, soit plus de dix points de plus qu’en 2020 contre Biden. Dans l’État voisin du New-Jersey, d’où un certain nombre de ses partisans ont fait le déplacement pour assister au meeting, Trump monte à plus de 40% dans les intentions de vote et surpasse même sa performance de 2020. Ce meeting a été un sommet de racisme, de xénophobie, de misogynie et de transphobie de la part de Trump et de tous ses soutiens présents sur scène. Qu’il ait pu attirer un si grand nombre de personnes dans une des villes du pays les plus culturellement et politiquement progressistes démontre la force de la droite dans la période actuelle.

Comment en est-on arrivé là ?

En théorie, la droite trumpiste a perdu lors des élections de 2020. En théorie seulement, car elle n’est que devenue plus forte depuis. Plusieurs facteurs combinés entrent en compte – certains que nous aborderons dans le présent article – et dont l’un des plus importants est qu’en 2020, après la pandémie et Black Lives Matter, la plus grande révolte de l’histoire des États-Unis, les Démocrates ont voulu se présenter comme une réponse à la polarisation de la période afin de rétablir le status quo. Biden est arrivé au pouvoir avec la tâche de retrouver une certaine stabilité à l’intérieur et à l’international, dans le contexte d’une crise majeure du capitalisme mondial et de l’hégémonie étasunienne.

Depuis 2008, la mondialisation et l’ordre néolibéral sont en effet en crise. Le personnel politique traditionnel du néolibéralisme se trouve souvent remplacé par des figures d’extrême-droite. Malgré les espoirs que Biden puisse réunir le pays sous sa présidence, l’expérience des masses n’en a pas été positive. L’inflation grandissante a rendu plus difficile pour les classes ouvrières et moyennes d’acheter les biens de consommation les plus nécessaires. Les États-Unis ont déversé énormément d’argent dans la guerre par procuration enUkraine, alors que les services publics sont toujours sous-financés. Depuis l’année dernière, Biden et les Démocrates arment et supervisent un génocide en Palestine et les agressions de plus en plus fréquentes d’Israël contre le reste de la région. Que les Démocrates, et même les plus progressistes d’entre eux, n’aient fait que défendre le status quo, a laissé la place à la droite pour dénoncer à large échelle l’inflation et la guerre en Ukraine, et à Trump pour se présenter comme le candidat « contre la guerre ».

Dans ce contexte il semblait, comme en 2016, que Trump et l’extrême-droite donnaient voix au ressentiment qui traverse le pays. Leur argumentaire semblait plus proche des préoccupations de l’Étasunien moyen, et la rhétorique anti-immigration a gagné en popularité. De plus, les Démocrates ont considéré qu’ils auraient plus de chance de gagner l’élection contre l’extrême-droite que contre un secteur plus traditionnel des Républicains : pour l’aider à consolider sa position à l’intérieur du Parti républicain, ils ont même réorienté des dons destinés à leur parti en faveur de représentants d’extrême-droite. En réponse à la vague anti-immigration, nourrie par les difficultés économiques et par la réaction « culturelle » aux mobilisations de 2020, les Démocrates ont adapté leurs positions à ce virage à droite et se sont mis à abandonner de leur programme toutes sortes de promesses progressistes. L’échec et l’adaptation des Démocrates et de Biden ont pavé la voie à la résurgence et au renforcement de l’extrême-droite.

L’échec des directions des mouvements sociaux est un autre aspect central qui explique ce renforcement. Il était déjà clair depuis longtemps que la bureaucratie des mouvements sociaux – largement concentrée dans les ONG progressistes – travaille main dans la main avec les Démocrates et se sert de leur influence pour canaliser la légitime colère contre la droite et à l’utiliser comme carburant pour nourrir la machine politique démocrate, plutôt que de bâtir un mouvement et une riposte contre les attaques sur nos droits.

Un exemple très parlant de ce genre de détournement est la réponse à la décision rendue en 2022 par la Cour suprême fédérale de ne pas constitutionnaliser le droit à l’avortement et d’en laisser la législature aux États – c’est-à-dire de nous priver en pratique de notre droit à l’avortement. La Planned Parenthood (planification familiale) a collecté des millions en dons, et employé cet argent pour financer les campagnes du Parti démocrate. Ils ont abandonné leur campagne dans les États où les restrictions à l’avortement avaient de grandes chances d’être votées. Pas de mouvement de masse organisé en défense de l’avortement – comme en Amérique latine ou en Irlande. Pas non plus de mouvement de masse pour les droits trans, malgré des attaques historiques contre les personnes trans. Cette absence de mouvement de masse pour lutter contre ces attaques a en quelque sorte facilité le terrain pour ce virage à droite dont nous mesurons aujourd’hui les résultats.

En plus de l’échec des ONG, nous avons aussi assisté à la capitulation des bureaucraties syndicales. Secoués par la polarisation du pays, certains syndicats se sont parfois tournés vers la droite, comme Sean O’Brien, le président du syndicat des chauffeurs routiers (Teamsters), qui a assisté au Comité national des Républicains, la direction politique élargie du parti ; ou comme le montre un chauvinisme ouvrier croissant dans certains secteurs. À gauche en revanche, on a vu émerger un nouveau phénomène de syndicalisation dans le mouvement ouvrier, plus militant et plus préoccupé par la question des oppressions, en grande partie au sein d’une génération marquée par la pandémie et influencée par le mouvement Black Lives Matter et par Bernie Sanders. Cette nouvelle génération a rapproché le mouvement ouvrier et les mouvements sociaux, grâce à ses alliances avec le mouvement pour la Palestine, et a conduit à multiplier les tentatives de syndicalisation et de grève. Nous avons récemment été témoins de luttes ouvrières combatives, comme la grève de l’UAW (United Auto Workers), les grèves d’Hollywood, la grève de l’Université de Californie contre la répression du mouvement pour la Palestine, et la toute récente grève chez Boeing, où la base a tenu tête aux dirigeants syndicaux, a voté contre une négociation insuffisante et a continué la grève jusqu’en début de semaine.

Cependant, il manque à ce phénomène une représentation politique indépendante. Ses dirigeants – en premier lieu la figure de Shawn Fain, président de l’UAW – sont adaptés au Parti démocrate et donnent pour consigne aux militants syndicaux de soutenir sa campagne. La logique de ces bureaucrates syndicaux de gauche est la même que les dirigeants des ONG : s’aligner avec les Démocrates pour aider à tenir la lutte des classes sous contrôle. Ils sont très loin d’employer tout le pouvoir qu’ils ont en tant que dirigeants du mouvement ouvrier pour lutter contre la droite grâce aux méthodes de la lutte des classes.

Il est possible qu’une victoire de Trump – ou même s’il refuse la défaite et tente de contourner le résultats des urnes – déclenche une nouvelle explosion de résistance. Cela serait très progressiste. Mais les personnes qui se mobiliseront devront refuser leurs directions traditionnelles et celle des Démocrates, qui ne nous ont rien donné sinon une extrême-droite renforcée. Au contraire, nous devons organiser notre résistance largement, par en bas, par l’auto-organisation de la base.

Comment le Parti républicain s’est refait une jeunesse en tant que Parti « anti-wokisme » et comment les Démocrates ont battu en retraite

Bien que beaucoup aient voté Biden en se bouchant le nez dans l’espoir de battre le trumpisme, l’extrême-droite a quand même réussi à mener le jeu depuis 2020. Elle a gagné des positions à l’échelle des États dans tout le pays. L’extrême-droite a même réussi à reprendre la feuille de route du nouveau Parti républicain – en bonne partie consolidée par la campagne pour le poste de gouverneur de Glenn Youngkin en 2021 en Virginie – centrée sur les attaques contre les « problèmes wokes » - un terme pour s’attaquer aux demandes droits démocratiques fondamentaux, et plus particulièrement ceux des Noirs et LGBTQ+.

Le mouvement « anti-woke » a été en partie une réponse au mouvement Black Lives Matter qui s’est soulevé et s’est affronté à la brutalité policière contre les personnes noires, avec une intensité nouvelle. Les chants de manifestation « abolissons la police » et « définançons la police » ont fini par devenir de véritables mots d’ordre à large échelle. Bien que Derek Chauvin, l’assassin de Floyd, ait été jugé et condamné, les revendications du mouvement ne se sont que très peu concrétisées, si ce n’est dans des concessions très partielles et limitées, comme par exemple des entreprises qui ont mis en place de nouvelles mesures de diversité, d’équité et d’inclusion (trois principes regroupés sous le nom de DEI), ou des écoles qui ont voulu former des travailleurs de l’éducation plus attentifs à la culture et qui ont essayé d’actualiser des programmes plus inclusifs.

Les mobilisations de 2020 ont finalement eu pour conséquences une plus forte polarisation politique, et le fait que les Républicains ont pu utiliser ce retour de bâton pour se frayer un nouveau chemin après la défaite de Trump. Ils ont mobilisé contre Black Lives Matter, contre les progrès du mouvement de visibilité trans et contre la modernisation des programmes scolaires – autant de mobilisations progressistes qu’ils ont dépeint comme provenant des élites et des universités « libérales », des idées qu’ils estimes consciemment mises au point afin subvertir les modes de vie « normaux » des Étasuniens moyens et retirer le pouvoir des parents sur leurs enfants. C’est cette ferveur qui a par exemple conduit à l’invasion de conseils d’établissements, que l’extrême-droite a utilisée pour gagner de nouvelles positions dans les gouvernements locaux, d’États et nationalement.

Depuis ces positions, et notamment après que la Cour suprême a retiré le droit à l’avortement, ces politiciens ont pu faire passer des lois terriblement draconiennes visant le droit à l’autonomie corporelle, le droit à une éducation publique de qualité, et le droit de manifester. L’aile d’extrême-droite des Républicains s’est ainsi largement servie des idées « anti-woke » pour remodeler le parti à son image. Après que les élections législatives de mi-mandat de 2022 n’ont donné qu’une très fine majorité aux Républicains à la Chambre des représentants, le groupe parlementaire d’extrême-droite soit-disant « de la liberté » a justement pu accumuler un certain pouvoir politique, et ce même en tant que minorité au sein des députés du Parti républicain. Défiant jusqu’à Trump, ce Freedom Caucus a endossé un rôle très important au sein du parti, et a employé ce pouvoir, entres autres, pour sa « guerre contre les wokes » au niveau national. Bien que le député principal de cette aile « anti-woke » du parti, Ron DeSantis, ait été vaincu par Trump lors des primaires, l’extrême-droite s’est trouvé une nouvelle figure en la personne de JD Vance, le colistier de Trump. JD Vance représente une aile toutefois légèrement différente de l’extrême-droite, qui accorde plus d’importance à l’ « identité nationale » et au populisme de droite qu’aux questions « woke » ; cependant, cette aile est bien aussi une ferme ennemie du « wokisme » et n’hésitera pas à passer à l’offensive quand elle le pourra. Quelques jours seulement avant les élections, Vance déclarait au micro du podcasteur Joe Rogan : « Dans ce pays la seule façon [pour les classes moyenne et supérieures blanches] d’avoir son mot à dire dans la bureaucratie du diversité-équité-inclusion, c’est d’être trans, et il y a une dynamique en ce moment selon laquelle, si tu deviens trans, c’est un moyen de rejeter ton privilège blanc... !? »

Le sénateur du Missouri Josh Hawley, issu de la même aile du parti que Vance, a développé l’idée dans un essai populiste de droite que le Parti républicain peut fusionner avec les syndicats blancs. Il écrit : « Les cadres supérieurs ont depuis longtemps vendu les États-Unis, fermé des usines dans le pays et supprimé des emplois étasuniens, tout en employant les bénéfices pour promouvoir la diversité, l’équité, l’inclusion et la religion du drapeau trans. » Cette seule affirmation montre bien comme la nouvelle droite sait lier la rhétorique populiste avec les offensives contre les « wokes ».

Cette « guerre contre les wokes » a mis les Démocrates dans une position plutôt difficile à tenir. En 2020, ils avaient opéré un certain tournant à gauche, et avaient essayé de se montrer comme le parti qui puisse porter la voix du mouvement Black Lives Matter, et plus généralement de ce sentiment généralisé d’un soutien étendu aux identités opprimées, qui s’était développé au cours de la présidence de Trump.

Mais tandis que l’extrême-droite multipliait ses attaques, les Démocrates se sont trouvé dans une position où ils pouvaient être accusés d’être le « parti du wokisme ». La décision de la Cour suprême sur le droit à l’avortement leur a donné la sortie parfaite : ils ont pu défendre la revendication très populaire d’un avortement légal, tout en abandonnant des combats moins rentable politiquement pour d’autres droits sans perdre leur façade progressiste. Ainsi les Démocrates ont-ils essentiellement répondu à la « guerre contre le wokisme » par la fuite et l’abandon des mots d’ordre les plus progressistes qu’ils avaient assumés en 2020. Tandis que l’oligarchie du parti le tirait à droite, son aile progressiste s’est trouvée happée et entraînée dans la même direction. En 2022, le programme des Démocrates était bien plus à droite qu’en 2020. Obama avait en ce sens averti qu’il ne fallait pas se montrer « rabat-joie et [donner l’impression aux gens] qu’ils marchent sur des œufs » – autrement dit un appel du pied pour abandonner les « problèmes wokes » qui pourraient mettre mal à l’aise certains secteurs. Ainsi, la décision de la Cour suprême sur l’avortement a représenté rien de plus qu’une occasion de faire campagne pour leurs propres objectifs. Malgré les promesses de protéger le droit à l’avortement, des lois contre l’autonomie corporelle et d’autres droits démocratiques sont quand même passées sous un président démocrate. Et aujourd’hui, en 2024, Harris ne daigne même pas soutenir publiquement les droits trans – et se borne à déclarer qu’elle « respectera la loi » dans le cas de la prise en charge d’affirmation de genre pour mineurs, ce qui est une grande concession au fait que la loi restreint les droits trans dans plus de la moitié du pays. En fait, le film d’horreur, que l’on dépeint si souvent des attaques contre nos droits au cas où Trump arriverait au pouvoir, est déjà une réalité dans un bon nombre d’États. En témoigne par exemple le cas récent de Josseli Barnica, décédée au Texas après n’avoir pas reçu de soin lors d’une fausse-couche.

Une tendance croissante à l’autoritarisme

En raison de la crise du néolibéralisme et de la crise du régime qu’elle a entraînée, la population étasunienne perd confiance dans les institutions gouvernementales, qui offrent de moins en moins de ressources au régime pour diriger le pays. Les institutions du régime bipartisan sont en effet anachroniques dans cette période de polarisation, qui peut mener à des réponses autoritaire, et conférer plus de pouvoir à l’exécutif. Or situation ne comporte pas de solution simple pour le régime, car elle répond à l’échec d’un grand projet de la bourgeoisie, le néolibéralisme, sans claire alternative. La journaliste Ezra Klein le formule ainsi : « Je me demande si beaucoup de ce qui nous semble étrange, perturbant, actuellement dans la politique ne serait pas les signes d’un moment transitoire entre deux périodes d’ordre, un moment où l’on commence seulement à apercevoir la silhouette hésitante et floue d’une chose neuve prenant forme ; où les deux partis sont en proie à des bouleversements internes et tâchent de se reformer, d’appréhender cette chose neuve et d’y répondre. » De notre point de vue, la résolution de cette crise organique – le terme gramscien pour ce que Klein décrit en partie – dépend en grande partie de la lutte des classes et des grandes confrontations entre les classes. Face à une lutte des classes de plus en plus menaçante, et avec les deux partis majeurs en crise, le régime acquiert de plus en plus de caractéristiques autoritaires. Trump et la droite entendent avancer plus loin encore dans l’autoritarisme, et concentrer plus de pouvoirs dans les mains du président grâce au Project 2025. Ce projet contient des mesures qui permettraient de licencier des fonctionnaires et de les remplacer par des alliés politiques, ainsi que de mettre une grande partie du gouvernement, comme le Ministère de la Justice, sous le contrôle direct du président.

La classe dirigeante sait que la lutte des classes redoublera sûrement d’intensité bientôt, et se prépare à la réprimer. Les attaques contre le mouvement pour la Palestine en général, et le mouvement étudiant en particulier, sont les signes que le régime et l’État intégral se préparent aux batailles à venir. Nous ne devons pas sous-estimer la menace du trumpisme et de la nouvelle droite, et jusqu’à quel point une présidence de Trump peut accélérer réellement la tendance autoritaire. Mais en même temps, il est important de comprendre que ces tendances sont inscrites dans l’ADN de la situation politique, et impactent les deux partis. C’est pourquoi c’est bien le Parti démocrate qui a eu a responsabilité de réprimer le mouvement pour la Palestine, notamment à New-York, en Californie et dans le Michigan. Nous devons nous défendre contre les tendances autoritaires, ce qui veut dire protéger nos droits démocratiques dès qu’ils sont attaqués. Centralement, de tels droits impliquent le droit de manifester, qui est actuellement la cible de fortes attaques tant de la part du Sénat que des directions des Universités. Nous devons dénoncer et rejeter en bloc toute répression du mouvement pour la Palestine, et en être solidaire en s’opposant au terrible génocide en cours.

La guerre contre les « étrangers »

Le meeting du Madison Square Garden a encore une fois montré au grand jour que les attaques de Trump et son parti ont une cible claire : les immigrants, et notamment les personnes noires et racisées, comme on l’a vu récemment avec les attaques contre des migrants haïtiens dans l’Ohio. Tant lors des débats présidentiels que lors de ce meeting, on a vu Trump accuser les migrants de tous les maux et appeler à des déportations de masse – tandis que les Démocrates répondent qu’ils veulent aussi se montrer fermes contre l’immigration.

La soi-disant « crise migratoire » est en tête de leur programme électoral, dans un contexte où des centaines de milliers d’êtres humains traversent la frontière sud depuis l’Amérique latine, les Caraïbes, l’Amérique centrale, le Mexique et d’autres pays. En réalité, ils fuient l’intense ingérence impérialiste, la militarisation provoquée par la guerre contre la drogue, le changement climatique ou encore la pauvreté exacerbée par les plans d’austérité imposés par le FMI dans beaucoup de pays du continent.

Alors que Biden a été élu président en partie en disant qu’il faciliterait la légalisation de millions de travailleurs sans papiers, une fois élu, il a pris en charge la construction d’une partie du mur frontalier que Trump avait fait adopter par les deux chambres. Il a continué ou mis en place de nouvelles politiques visant à accélérer les déportations et détourner les demandeurs d’asile de la frontière. Il a renforcé considérablement la présence militaire à la frontière, et a relayé des affirmations mensongères selon lesquelles les migrants auraient apporté avec eux une vague de crimes dans les villes étasuniennes.

En même temps, au lieu d’organiser la lutte pour les droits des migrants, les ONG dédiées à cette question ne sont en aucune manière entrées en confrontation contre Biden, et Make the Road en est même arrivé à soutenir Harris, malgré ses politiques terriblement répressives et sa rhétorique contre les migrants. Cela démontre le niveau d’adaptation de ces ONG et combien elles peuvent être cooptées. Le mouvement en faveur de l’immigration qui s’est battu contre Trump ne s’est pas mobilisé contre toutes ces nouvelles attaques.

Que la situation politique post-élections donne ou non à Donald Trump la capacité de mettre en place une déportation de masse, il semble déjà clair qu’en cas de victoire le Parti républicain renforcera les politiques anti-immigrants et encouragera les milices dans les États où elles ont du poids. Cela représenterait le changement le plus important dans la politique migratoire depuis l’Immigration Act de 1965, soit mettre un coup d’arrêt final à la politique migratoire étasunienne telle qu’elle avait été mise en place après la Seconde Guerre mondiale. Et même si Harris l’emporte, les attaques contre les migrants vont se perpétuer. Nous avons besoin d’un mouvement organisé par en bas qui puisse riposter. Cette tâche est celle de toute la classe ouvrière, et les travailleurs nés aux États-Unis ont le devoir de se tenir aux côtés des travailleurs immigrés.

La cause palestinienne et l’anti-impérialisme

On sait bien que si Démocrates et Républicains s’accordent sur une chose, c’est bien l’alliance inconditionnelle avec Israël. Cette alliance et l’idéologie sioniste qui la soutient ont participé à modeler les institutions de l’État étasunien depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et la création de l’État d’Israël. Ce qui était présenté comme une politique de réparation envers le peuple juif en compensation de la brutale extermination des Juifs perpétrée par les Nazis, alors même que les entreprises militaires étasuniennes ont bénéficié de la montée du nazisme a servi de justification pour les États-Unis pour imposer un État artificiel, bâti sur un nettoyage ethnique et le déplacement forcé de toute une population, et qui constitue une enclave de ses intérêts dans un Moyen Orient complexe et hostile. Une enclave armée jusqu’aux dents.

Les Juifs, jeunes ou moins, qui se mobilisent aux États-Unis en solidarité avec la Palestine ont rompu avec le sionisme. Et cette rupture, qui se prépare depuis des années sur les campus des universités notamment grâce à l’action du mouvement BDS, est profonde. Cette génération comprend – et en est profondément perturbée – qu’Israël est un État d’apartheid qui vise à s’établir et s’étendre avec des colonies de peuplement.

Ces Juifs se montrent unis dans la rue avec les jeunes Palestiniens, des quartiers arabes des grandes villes comme New-York ou Detroit, qui sont à l’initiative des mobilisations. Beaucoup d’entre eux se côtoient dans les écoles et les universités, qui sont devenus des laboratoires politiques pour cette nouvelle génération marquée par un profond sentiment anti-impérialiste. Ces jeunes gens assistent depuis un an à un génocide en direct sur leur téléphone portable, et se sont mobilisés chaque jour depuis le 8 octobre de l’année dernière. Ces jeunes gens considèrent qu’il est de leur devoir moral de ne voter ni pour Donald Trump, ni pour Kamala Harris, qui ont leur mains baignées du sang des Palestiniens. C’est un mouvement anti-impérialiste au cœur de l’empire et du principal allié d’Israël.

Pour cette raison il est devenu absolument central pour l’État étasunien de persécuter par la calomnie, en brandissant le prétexte de l’antisémitisme, face à une rupture historique au sein de la diaspora juive. Pour beaucoup, Gaza devient le nouveau Vietnam de la jeunesse étasunienne. Peu importe qui remporte l’élection, le génocide continuera. Ni les Républicains ni les Démocrates n’arrêteront Israël.

Le mouvement pour la Palestine aux États-Unis, pays dans lequel les armes utilisées dans le génocide sont produites (70% selon la dernière recherche), a un potentiel gigantesque pour toucher de plus en plus de secteurs du mouvement ouvrier avec la revendication d’un « embargo sur les armes à destination d’Israël ». Il pose la possibilité que la lutte des classes qui se développera dans le futur ait un caractère anti-impérialiste.

Défendre notre droit de vote

Depuis quatre ans le trumpisme se prépare au jour de l’élection. Des millions de dollars ont été investis pour ce jour-là, et des centaines de milliers d’activistes sont prêts à être déployés aux abords des bureaux de vote et à placer leurs partisans dans les commissions électorales. Cette tentative de reproduire un soi-disant « Stop the Steal 2.0’ » en est en réalité l’exact opposé ; il s’agit d’une tentative de voler l’élection en excluant et en intimidant des électeurs et en recherchant des irrégularités dans le scrutin sans aucune base légale – les théories du complot qui fantasment de toutes pièces une menace de fraude électorale sont partie intégrante du mouvement MAGA (Make Americain Great Again).

Dans plusieurs États, des lois pour exclure des électeurs ont été passées, qui font feu de tout bois. Elles prévoient par exemple de limiter le vote par correspondance ou requérir une carte d’identité pour voter. Il s’agit de tentatives de supprimer le vote des pauvres, des minorités raciales et de la classe ouvrière. Nous voyons déjà combien ce pays est anti-démocratique, même au-delà du système des grands électeurs.

Si Trump essaie de voler l’élection, il s’agira d’une claire violation de notre droit démocratique de vote, et bien que nous ne donnions aucun soutien politique aux Démocrates, nous devrions défendre ce droit démocratique de base, dans la rue, dans nos universités et dans nos lieux de travail, contre toute tentative de vol par Trump.

Pour un front uni contre la droite

L’avancée de l’extrême-droite et l’extension de la base électorale du trumpisme ne devraient pas être confondus avec la fin de la polarisation sociale et politique que connait la société étasunienne. De même, il n’est pas dit que Trump gagnera l’élection. Si la course est si serrée c’est qu’une bonne part de la population a encore des illusions pour Harris et votera pour elle dans l’espoir d’éviter un second mandat de Trump, même sans logique du « moindre mal ».

La gauche en général et le nouveau mouvement étudiant en particulier remettent fortement en question le Parti démocrate, et refusent de voter pour Harris en raison de sa complicité avec le génocide à Gaza. Cette remise en question touche aussi des travailleurs qui tâchent d’organiser des syndicats sur leurs lieux de travail contre de puissants patrons qui donnent des millions aux Démocrates et aux Républicains comme Jeff Bezos, les centaines de milliers de personnes qui votent sans s’engager, et les milliers de militants syndicaux de base qui imposent à leurs dirigeants de soutenir la Palestine. Nous devons renforcer et prolonger cette dynamique et y inclure les militants anti-racistes qui luttent depuis des années contre les violences policières, et comprennent que Harris est bien une représentante de la brutalité policière, de l’ordre et de la loi qui la rende possible. Nous devons y inclure les femmes qui ne veulent pas abandonner leur autonomie corporelle, et les personnes trans et queer qui ne veulent pas que leurs revendications finissent au cimetière des programmes du Parti démocrate ou écrasées par l’extrême-droite. Tous ces secteurs doivent s’unir et exiger que leurs syndicats et les organisations de leurs mouvements sociaux se rejoignent en un front uni et déterminé contre l’extrême-droite.

Cette unité doit se faire à partir du groupe qui détient le plus de force pour mettre un coup d’arrêt à l’extrême-droite, la classe ouvrière. Une classe diverse en genres, mutli-raciale, fragmentée socialement, des enseignantes et infirmières aux travailleurs industriels, et qui comprend tous celles et ceux qui peuvent réellement mettre à l’arrêt l’économie capitaliste en défense de nos droits et de nos frères et sœurs de classe en Palestine et ailleurs.


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