En direct de Caracas : Notes de Nicolas Voisin (Maire adjoint socialiste à Montreuil) "observateur international" du référendum au Vénézuéla

lundi 3 décembre 2007.
 

Note 1 Vendredi 30 novembre - 10h00 Aéroport de Porto, en transit...

Lorsque Raquel Garrido, responsable du secteur international de PRS, m’a contacté la semaine dernière pour participer à la mission d’observation des opérations de vote du referendum constitutionnel au Venezuela, il ne m’a pas fallu longtemps pour répondre que j’étais volontaire. Politiquement, l’intérêt de cette mission n’était pas discutable...

C’est donc vendredi 30 novembre à l’aube que j’ai pu enfin prendre place dans l’avion qui s’est envolé d’Orly vers Caracas, à l’invitation de la Commission Nationale Electorale de la République Bolivarienne du Venezuela, pour prendre place dans la mission internationale d’observation de la phase finale du processus démocratique entamé en août dernier pour une profonde réforme de la Constitution.

La mission sollicite la participation de plusieurs dizaines d’observateurs venus du monde entier, pris en charge par la Commission Nationale Electorale, émanation de l’institution d’Etat que l’on nomme là-bas le Pouvoir Electoral. Ces observateurs sont pour l’essentiel des élus et représentants d’organisations démocratiques, et leur mission sera de veiller objectivement au bon déroulement des opérations de vote. La CNE leur demande de relever, si nécessaire, les éventuelles irrégularités.

Invité en ma qualité d’élu de la République Française, je prend donc mon rôle très au sérieux... et je me suis documenté sur les procédures de vote au venezuela. Cela fait six ans que dans le cadre de mon mandat d’élu local à Montreuil, je préside un bureau de vote à l’occasion de chaque élection en France. Je crois donc être devenu assez expert sur la complexité du Code Electoral, pour avoir lu et relu - surtout les jours de vote où l’abstention est importante ! - le « Dalloz » rouge de plus de 1000 pages, bien connu des présidents, assesseurs et autres scrutateurs des jours d’élection...

Le caractère objectif et impartial de cette mission que je vais tâcher d’honorer avec zèle le jour du referendum, ne saurait m empêcher d’observer cet événement politique avec mes yeux de militant républicain et socialiste. Au fil des notes qui vont suivre, je passerai donc d’un point de vue à l’autre pour faire vivre à mes lecteurs toute l’intensité d’un grand événement démocratique dans ce chaudron révolutionnaire qu’est le Venezuela.

Note 2 Vendredi 30 novembre - 12h00 (GMT) Dans l’avion, quelque part entre les Açores et les Antilles

Que n’a-t-on pas lu et entendu en France depuis quelques semaines à propos de ce referendum, de Chavez, et du régime en place dans ce pays ? Un torrent de reportages, d’éditoriaux et de tribunes présentant - à de rares exceptions près - toutes un peuple Vénézuélien infantilisé et exagérément exalté par une dictature rampante, exotique et fantaisiste, et s’apprêtant à voter dans l’ignorance et sous la contrainte pour une réforme constitutionnelle réduite à un seul aspect : la possibilité d’une « réélection indéfinie du Président » comme on a pu le lire dans Libération la semaine dernière sous la plume d’éminents intellectuels. Les médias français sont quasiment unanimes sur cette caractérisation négative et dénigrante de ce qui se passe au Venezuela.

A Orly, je croyais bien faire en achetant le Courrier International, espérant lire pendant le voyage quelques articles plus instructifs que la reproduction docile des notes de l’ambassade américaine sur le Venezuela que l’on trouve dans notre pauvre presse nationale. Las ! Bien mal m’en a pris ! On retrouve dans le choix d’articles de la presse internationale le même parti pris, amplifié encore par le caractère prétendu plus expert de rédacteurs étrangers réputés spécialistes de l’Amérique latine, voire, issus du régime vénézuélien. J’aurais du être alerté par la Une du Courier qui présente une caricature de Chavez hilare, Kalachnikov à la main, bras dessus bras dessous avec Poutine, sous le titre « les coups d’Etat du 2 décembre ». Très content de lui, l’éditorialiste du Courrier se lance en effet à une mise en relation imbécile de la date du 2 décembre 1851 (date du coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte) et du 2 décembre 2007 (date du referendum vénézuélien, et de la modification constitutionnelle en Russie). Bien sûr, rien à voir entre ces trois événements, ni sur la forme, ni sur le fond, et d’ailleurs la démonstration de l’éditorial est poussive pour développer le douteux parallèle. Mais qu’importe ! Le mal est fait et le but atteint : rien dans le dossier sur le fond de la réforme en cours au Venezuela sinon quelques commentaire fielleux d’un degré navrant de généralités... tout y est mis au contraire pour instiller le doute et la suspicion.

Vivement l’arrivée sur place pour me permettre enfin de me faire une idée...

Note 3 Vendredi 30 novembre - 16h30 (heure locale) Caracas - Coincé dans un embouteillage, l’ordinateur sur les genoux

Chaque fois, c’est pareil. En Afrique, en Asie ou ici, l’atmosphère tropicale, ça vous prend dès la sortie de l’aéroport et ça ne vous lâche plus. A fortiori lorsque vous avez laissé à Paris l’air vif et sec de l’hiver. Après une journée d’avion climatisé, me voilà donc enveloppé de cet air humide et chaud que la brise océane pousse mollement vers les terres, je suis brûlé vif par le soleil, retrouvant comme à chacune de mes étapes sous ces latitudes les mêmes impressions : l’asphyxie des gaz d’échappement, le vacarme des klaxons et des moteurs de mobylettes, le désordre du trafic, le paysage invariable des immeubles inachevés, les contrastes saisissant de ces buildings de verre au style tape-à-l’œil s’élevant au dessus des quartiers misérables (ici à Caracas, ce serait plutôt en dessous, car la ville s’organise au fond des vallées parallèles qui descendent vers la mer, et la misère croît au fur et à mesure que l’on monte les collines abruptes) et, là haut, toujours, le vol éternel des gros vautours trapus aux ailes larges que j’ai vu tourner à Nairobi, à Hanoï, à Porto Alegre, à Bamako, à Changchun...

Les jeunes volontaires de ma Commission Nationale Electorale ne m’ont pas laissé le temps de contempler tout cela. Dès les bagages récupérés, me voilà enfermé à nouveau dans une bulle climatisée pendant les 3 heures qu’il a fallu à mon minibus pour faire la dizaine de kilomètres de l’aéroport jusqu’à l’hôtel au centre de la capitale (il est vrai que je suis arrivé au moment même où la ville était entièrement paralysée par le meeting de fin de campagne du Oui).

Cette traversée épique de Caracas m’a néanmoins permis d’observer une première réalité évidente de cette réforme constitutionnelle : celle d’une mobilisation populaire exceptionnelle, d’une politisation extrême de tout un peuple. Une chose est sûre, les vénézuéliens s’apprêtent à voter dimanche dans une ferveur démocratique palpable dès l’aéroport et dont j’ai bien mesuré l’ampleur au nombre incalculable des affiches, des graffitis sur les murs, des militants dans la rue distribuant des millions de tracts qui jonchent le sol de toute la ville.

Dans la campagne qui atteint son paroxysme au moment où j’arrive, il faut savoir que le Oui a choisi le rouge comme étendard, alors que le Non a choisi le bleu. Bon, si on en juge à la place qu’occupe chaque couleur dans Caracas aujourd’hui, il n’y a pas de doute sur le résultat, face à cette marée rouge que les caraquenos porte sur eux dans toutes les rues, sur les tee-shirts, les casquettes, les drapeaux. Cependant, un observateur Chilien, député de Valparaiso, qui est assis à côté de moi, m’assure que le vote sera serré. Cela m’étonne, mais au fond, d’un point de vue démocratique, ce serait une belle démonstration du caractère infondé de la propagande européenne. Je le dis à mon ami chilien, en ajoutant toutefois ma certitude que si le score est serré, les médias occidentaux hurleront à la fraude, et s’il est trop largement en faveur du Oui, les mêmes médias dénonceront un score soviétique. Le député sourit. Il connaît bien cette musique. Nous apercevons à ce moment là quelques calicots bleus du Non flottant accrochés à des lampadaires ou à des balcons, mais le rouge revient en force dès le prochain pâté de maison. Incontestablement, il y a un déséquilibre dans la mobilisation militante en faveur du Oui, mais de toute évidence, il n’est absolument pas interdit d’afficher ici sa préférence pour l’opinion contraire.

Note n°4 Vendredi 30 novembre - 22h00 (heure locale) Caracas - L’hôtel... le lit bientôt !

Cela fait plus de 24h00 que je suis debout (ou plutôt assis). Ca commence à être dur. J’ai cependant été faire le tour du quartier - malgré la désapprobation des volontaires de la CNE qui ont des consignes strictes pour assurer la sécurité des hôtes étrangers - pour sentir l’atmosphère. J’ai poussé jusqu’à la place où s’est tenu le grand meeting de Chavez, quelques heures auparavant. Vous me croirez si je dis que ça sentait le soufre ?!! C’est une tradition ici : les manifestations donnent toujours lieu à des feux d’artifice d’enfer. Et ce soir, ça a pété fort !

Il me reste quelque énergie pour écrire ce que j’ai appris sur la réalité de la Réforme Constitutionnelle, essentiellement pendant le voyage pendant lequel j’ai pu me plonger dans les excellentes analyses, presque exhaustives, réalisées par ATTAC, Christophe Ventura, et du Belge Alexandre Govaerts.

Ce ne sont pas moins de 33 articles, sur les 350 que compte la Constitution en vigueur depuis 1999, que l’on propose de modifier à l’occasion de ce referendum, ainsi que l’ajout de 25 nouveaux articles constitutionnels, et 11 dispositions transitoires. Au total, 69 modifications. Les médias occidentaux ne les ont sans doute pas lues, puisqu’ils se sont concentrés sur deux ou trois seulement...

Sans les analyser tous, il faut relever ce qui apparaît comme les principaux changements :

Sur le fonctionnement des institutions politiques

Commençons d’emblée par ce qui fait couler tant d’encre chez nous : l’article 230 concernant l’élection du Président. Alors que la Constitution de 1999 prévoit que le mandat est de 6 ans et renouvelable une seule fois, la nouvelle constitution propose « la période du mandat présidentiel est de 7 ans. Le président ou la présidente peut être réélu ou réélue ». C’est-à-dire en somme que le Venezuela s’aligne sur le modèle d’une vingtaine de pays de l’Union Européenne, comme la France par exemple, qui ne limite par le nombre de mandats. Le Venezuela n adopte certes pas le quinquennat (c’est vrai que c’est un immense progrès !) mais prévoit par l’article 72 la possibilité de révoquer le président à mi-mandat.

Par ailleurs, et de cela, notre presse européenne ne dit pas un mot, une profonde reforme de l’Etat est engagée, avec un processus de modernisation et de profonde décentralisation politique et administrative qui contredit fondamentalement l’interprétation fallacieuse du referendum du 2 décembre comme un coup de force autoritaire et hyper centralisateur. Ainsi, l’article 16 modifié définit la Commune comme la « cellule géo-humaine du territoire » dont le centre est la municipalité dotée de pouvoirs et de compétences renforcés, intégrant une forme de démocratie participative (le Pouvoir Populaire reconnu par l’article 184) et reconnaissant les « missions » bolivariennes comme des entités administratives.

Sur la démocratie

L’article 67 modifié reconnait constitutionnellement le droit d’association politique et affirme le financement public des partis. Dans un pays où la corruption a été élevée en système pendant une cinquantaine d’année, c’est une avancée démocratique décisive, qui contredit radicalement les prétendues menaces qui pèseraient sur le multipartisme.

L’article 184 définit le « pouvoir public » comme un pouvoir composé par « le pouvoir populaire, le pouvoir municipal, le pouvoir d’Etat (des Etats), le pouvoir national (l’Etat central) » et l’organise en pouvoirs séparés : « législatif, exécutif, judiciaire, citoyen et électoral ».

L’article 64 abaisse l’âge minimum du droit de vote à 16 ans, élargissant considérablement le corps électoral dans un pays dont la démographie est très jeune.

Sur l’économie et le social

C’est sans doute ce volet de la réforme qui fait le plus tousser les belles personnes qui font l’opinion à leur image en Europe.

Cette Constitution affirme un modèle économique. L’article 112 le définit comme « diversifié et indépendant, fondé sur les valeurs humanistes de la coopération et de la prépondérance des intérêts communs sur les intérêts individuels (...). Dans ce cadre, [l’Etat] développera diverses formes d’entreprises et d’unités économiques de propriété sociale, tant directes ou communales, qu’indirectes ou étatiques (...) créant les meilleures conditions pour la construction collective et coopérative d’une économie socialiste. » Pour autant, l’article 115 précise que plusieurs formes de propriétés sont reconnues : propriété publique (à l’Etat), propriété sociale (au peuple, et gérée par l’Etat ou les conseils communaux), propriété collective (aux entreprises de production privées ou coopératives), propriété mixte, et propriété privée.

Loin d’être une caricature de collectivisation forcée, le Venezuela s’engage dans une transition maîtrisée, tournant sans doute le dos au règne sans partage de la concurrence libre et non faussée, mais tirant tous les enseignements de l’histoire du communisme d’Etat et des expériences échouées d’Amérique Latine.

Une réforme agraire, décisive au Venezuela dont l’économie est encore très majoritairement agricole, est définie par les articles 305 et 307 qui fixent l’objectif de la « sécurité alimentaire de la population » et abolit la structure latifundiaire, une véritable révolution dans un pays encore profondément marqué économiquement, mais aussi socialement, par l’accaparement des richesses foncières d’une minorité de grands propriétaires.

Le secteur pétrolier est définitivement intégré dans la sphère publique par les articles 302 et 303.

Enfin, les articles 87 et 90 garantissent constitutionnellement une sécurité sociale pour les travailleurs indépendants (dans un pays ou le secteur « informel » des petits métiers concerne des millions d’individus), fixent la journée de travail à 6 heures, la semaine à 36 heures, et interdisent le recours aux heures supplémentaires.

J’arrête là, car il faut aller dormir ! Mais on mesure à quel point les opinions publiques européennes (pour ne parler que d’elles) sont tenues dans une parfaite ignorance sur le processus en cours dans cette réforme constitutionnelle.

Note n°5 Samedi 1er décembre - 18h00 Caracas - Dans ma chambre d’hôtel

Où avais-je la tête en quittant Montreuil jeudi matin ? Oubliant le câble d’alimentation de mon ordinateur, je me retrouve dépendant d’un délégué argentin qui possède le même type de PC que moi, pour recharger quand je le croise les accus le temps de nos conversations que j’essaie de faire durer le plus longtemps possible dans mon espagnol approximatif ! Oubliant aussi le câble de l’appareil photo, je suis dans l’impossibilité de mettre en ligne ces belles images de Caracas en ébullition. C’est bien pratique, mais fort compliqué, cette technologie...

Permettez-moi de rester quelques lignes encore dans mon costume « rouge » de supporter avoué de la révision constitutionnelle... Après ca, c’est promis, je me bornerai à rendre compte de ma mission d’observation.

Relisant ma dernière note, j’ai en effet découvert deux oublis (encore des oublis, décidément !) de taille que je m’empresse de corriger.

D’abord, j’ai omis de dire que la nouvelle constitution prévoit d’exclure toute évolution vers une autonomie de la banque centrale vénézuélienne. L’article 318 stipule en effet que « la banque centrale du Venezuela ne dispose pas de l’autonomie de formulation et de mise en œuvre des politiques monétaire et son rôle se limitera à la politique économique générale et au Plan de Développement Intégral de la Nation ». Vous reconnaîtrez qu’il ne s’agit pas d’un détail, et que je me devais de préciser cet aspect majeur de la réforme à l’heure où, en Europe, l’autonomie de la Banque Centrale est élevée au rang de dogme dans le projet de traité constitutionnel.

Deuxième oubli : la controverse sur les articles 337, 338 et 339 portant sur la mise en place - en cas de nécessité - de l’état d’exception, d’alarme et de choc intérieur ou extérieur. Les médias occidentaux ont voulu y voir la preuve du durcissement du régime, en oubliant qu’il s’agit de dispositions constitutionnelle assez ordinaires qui ont cours dans des démocraties tout a fait irréprochables comme en France, par exemple, où entre le 9 novembre 2005 et le 4 janvier 2006 l’état d’exception a été mis en place par le Président Chirac, à l’initiative du ministre de l’intérieur de l’époque suite à la vague de violences dans les banlieues...

Ces précisions faites, voici mes impressions de la journée d`observation.

Un processus constitutionnel fonde sur une large consultation

Il faut en effet dire trois mots sur ce qui a précédé le referendum du 2 décembre, qui clôt un processus qui aura finalement dure quatre mois. Je connaissais assez vaguement cette phase de préparation en arrivant à Caracas, j’ai pu en apprendre plus avec mes interlocuteurs de la journée.

Ainsi, il faut d’abord rappeler que l’essentiel des modifications de la Constitution proposées aujourd’hui par le président de la République faisait partie des engagements électoraux de Hugo Chavez lors de la campagne présidentielle, à l’issue de laquelle il a été élu avec 63% des voix en décembre 2006.

C’est le 15 aout 2007 que le président a ouvert le processus de consultation vers la réforme en formulant ses propositions. A partir de cette date jusqu’au 15 octobre, des milliers de réunions publiques ont été organisées dans le pays, plusieurs responsables vénézuéliens rencontres ici m’ont avancé le nombre de 9000, et si l’opposition a effectivement appelé au boycott au début de cette consultation, il s’avère qu’un débat contradictoire s’est peu a peu formalisé.

Tous le vénézuéliens interrogés m’ont décrit cette mise en place progressive du débat démocratique : ca a été d’abord la participation de responsables locaux de l’opposition au régime dans les débats populaire initiaux. Puis, les porte-parole des principales forces d’opposition (les sociaux démocrates de Acciòn Democratica et de Movimiento al socialismo, et la droite de Primero Justicia) ont pris part au débat parlementaire.

Aujourd’hui, il ne fait nul doute que la réforme est discutée point par point au niveau national, puisque le “bloc du Non” est officiellement constitué, on peut lire ses tracts et ses affiches, et l’on peut lire dans la presse nationale les ténors de l’opposition développant leurs arguments non plus pour appeler au boycott ou à l’abstention, mais pour s’opposer sur une base politique à cette reforme.

Deux “blocs” de modifications soumis au vote

Résultant de ce processus de consultations préparatoires, ce sont en fait deux votes que les vénézuéliens vont devoir émettre demain : un premier vote Oui ou Non sur le “bloc” des 33 propositions de modifications faites par la présidence de la République, et un deuxième Oui ou Non sur le “bloc” de 25 article résultant du travail de la Commission Mixte (consultation populaire puis débat parlementaire).

Conformément à la procédure établie par la Constitution en vigueur au Venezuela, l’Assemblée Nationale a validé ces deux blocs de propositions, ouvrant la voie à la dernière phase : la soumission des articles au referendum populaire du 2 décembre.

Un vote électronique éprouvé et convaincant

J’ai passé l’essentiel de la journée de samedi à suivre la formation dispensée par les représentants du pouvoir électoral, et à observer la simulation du vote électronique, tel qu’il sera mis en place demain matin dans la majorité des bureau de vote du pays.

Je ne cacherai pas que je partais avec un a priori plutôt - disons - circonspect sur cette procédure technologique, attaché comme de très nombreux français à notre bonne vieille méthode tant éprouvée... attaché peut être aussi, il faut bien le reconnaitre, au bon vieux rituel tellement rassurant de cette espèce de liturgie laïque qui amène nos concitoyens, les dimanche d’élection, à présenter leurs papiers d’identité, a prendre l’enveloppe et les bulletins, puis à passer dans l’isoloir, puis devant l’urne en plexiglas (modernité suprême depuis la fin des urnes en bois il y a quelques années !), à signer le registre en entendant le maire proclamer le triomphal “a vote” de notre République.

Circonspect étais-je donc. Ma journée d’observation m’a convaincu de la solidité du système mis en place ici, au Venezuela.

Si la démocratie a un coût, manifestement, la République Vénézuélienne a mis le paquet sur l’équipement utilisé. La dessus, il n y a pas de doute. Décrire en détail le système me prendrait trop de temps. Cependant, on m’a démontré pendant près de 5 heures la pertinence de la technique, garantissant une gestion très efficace et précise de la liste d’émargement, une simplicité assez déconcertante - presque ludique - de la procédure pour une population où l’analphabétisme n’a pas disparu, une totale confidentialité du vote, une grande maîtrise des éventuelles erreurs de manipulation par des votants maladroits ou mal intentionnés, une double sécurité du dépouillement avec la conservation en parallèle du vote électronique d’une trace écrite “sur papier” permettant un contrôle a posteriori.

La centaine d’observateurs internationaux s’en sont donnés à cœur joie pour éprouver toutes les situations possibles, passer au crible le système, multiplier les questions ultra techniques (il y avait parmi nous des juristes experts des questions électorales). Assez peu qualifié sur la technologie, je me suis vite accoquiné avec quelques élus Européens et Latino américains, de vieux routiers des élections connaissant comme moi par cœur les combines et autres incongruités décrites dans les jurisprudences de nos codes électoraux respectifs, pour tenter de déstabiliser nos interlocuteurs du Conseil National Electoral. Restant de marbre, sans se rendre compte, je crois, que nous exagérions de temps en temps dans l’irrationalité de nos questions, ils ont répondu à tout avec application, et ont finis par nous décourager.

Une volonté évidente de transparence

La réunion de synthèse réalisée en présence de la presse a permis de conclure a la rigueur du système, que du reste presque plus personne ne conteste dans le pays. Epreuve réussie, donc, et à confirmer demain, en grandeur nature, comme je l’ai dit lors de cette réunion à la Présidente du CNE, Mme Tibisay Lucena, puisque pas moins de 10 équipes d’observateurs seront composées pour sillonner la région de Caracas, disposant de tous les pouvoirs d’investigation pour visiter plusieurs dizaines de bureaux de vote.

Une réunion de synthèse aura lieu au terme de cette mission d’observation internationale, mais une chose est d’ores et déjà acquise pour moi comme pour la plupart de mes collègues, la certitude de la volonté évidente de transparence de la part du Pouvoir Electoral du Venezuela.

Note n°6 Dimanche 2 décembre - 7h00 Caracas - Petit déjeuner à l’hôtel

J’ai assez mal dormi... non que les rues du centre de Caracas aient etparticulièrement agitées (j’avais lu avant de partir des descriptions assez effrayantes des nuit caraquenas !). Non, au contraire, elles étaient parfaitement calmes et pour cause : la vente d’alcool est rigoureusement interdite dans ce pays la veille des dimanches d’élection, jusqu’aux lundis suivants ! Très calme la capitale, donc, jusqu’à 3h30 exactement, où le ciel de Caracas s’est embrasé d’un feu d’artifice digne d’un 14 juillet sous la Tour Eiffel, tiré simultanément dans tous les quartiers de la ville. Je l’ai déjà dit dans une précédente note, la politique ici se vit au rythme des pétards. Et les Chavistes sont devenus, de l’avis de tous, les artilleurs en chef de ce sympathique, mais bruyant, rituel. Un demi heure plus tard, alors que les dernières fusées partent, ce sont des clairons - oui des clairons - qui entonnent un réveil pittoresque en sillonnant les rues de la ville. Ca, c’est une spécialité du PSUV (le Parti Socialiste Unifié du Venezuela - celui de Chavez) m’a-t-on expliqué plus tard, pour encourager les partisans à aller voter tôt ! A quatre heures, plus un bruit. Trop tard pour se recoucher. La journée électorale peut commencer.

Note n°7 Dimanche 2 décembre - 17h00 Caracas - Hall de l’hôtel

Malgré ce réveil intempestif, nous avons fière allure, à 9h00 du matin, en nous retrouvant tous dans le hall de l’Hôtel Alba qui fait office de quartier général de la mission d’observation internationale du Conseil National Electoral. Par-dessus la tenue « confortable » recommandée par les organisateurs (!) la centaine d’observateurs a endossé l’uniforme de la mission, composé du gilet gris - genre photographe de guerre - frappé sur le cœur du sigle du CNE et des couleurs jaune - bleu - rouge du Venezuela et dans le dos de la large inscription brodée « PODER ELECTORAL », et de la casquette grise, portant elle aussi logo et couleurs, évoquant celle dont se coiffent les observateurs de l’ONU. Notre petite équipe internationale qui a eu le temps de tisser des liens fraternels depuis la veille, s’exclame joyeusement à l’arrivée de chaque nouveau « soldat ». Mais rapidement, nous retrouvons le sérieux qui s’impose dans la besogne qui nous attend dans cette journée décisive.

Le vote a commencé depuis l’aube. Dès 5 heures, dans tout le pays, plus de 30.000 bureaux ont été installés, le matériel informatique, les divers instruments et les panneaux informatifs sur la procédure de vote ont été sortis des cartons scellés et déployées, comme on nous l’avait montré la veille lors des simulations exécutées devant nous. A 6 heures, ils ont été déclarés ouverts par les Présidents de bureau, qui sont de simples citoyens choisis par tirage au sort et formés avec exigence pour assumer cette responsabilité. Ce sont 16 millions de vénézuéliens qui sont appelés aux urnes.

En mission d’observation

Je me retrouve dans l’équipe n° 6, composée d’une douzaine d’observateurs, d’agents du CNE et de traducteurs. Je suis le seul élu de la République Française, et mon équipe se compose d’une États-Unienne membre de l’association nationale des avocat, d’un magistrat Paraguayen du Tribunal supérieur de Justice électorale, d’un Italien représentant l’association des juristes internationaux, d’un député Chilien de Patagonie, d’un membre Nicaraguayen du Conseil Suprême Electoral, d’un Argentin dirigeant d’une association d’étudiants en Droit.

10 équipes sont ainsi constituées, s’éparpillant dans toute la région avec une feuille de route impressionnante. Mon équipe n° 6 prend la route du sud-ouest, à une trentaine de kilomètres du centre de Caracas, pour visiter les bureaux des quartiers de Charallave et de Cua, de la municipalité Rojas Urdaneta de la lointaine banlieue.

Nous visitons 5 bureaux différents, comprenant en tout une trentaine de tables de vote. Nous observons tout, notons tout, interrogeons qui nous voulons à l’intérieur comme à l’extérieur des locaux. Notre liberté est totale.

Nous vérifions ainsi l’affichage de toutes les informations sur la procédure et sur l’objet de la consultation prévues par le règlement très strict. Nous faisons le recensement des différents agents nécessaires au bon fonctionnement des bureaux. Nous interrogeons ces derniers librement pour mesurer leur compétence, connaître d’éventuels problèmes, notamment les « testigos » (littéralement « témoins ») représentant les deux blocs du Oui et du Non. Nous pouvons aussi discuter avec les citoyens pour évaluer leur connaissance des enjeux (près de 15 millions d’exemplaires du projet constitutionnel ont été diffusés pendant la campagne) et de la procédure de vote.

Cette procédure - que j’observe une quinzaine de fois dans la journée en suivant des citoyens du début à la fin de leur vote - peut être résumée ainsi :

* file d’attente dans la rue (parfois assez longue, sous le soleil) ;

* premier filtrage sans contrôle d’indentité à la grille du bâtiment effectué par un militaire placé sous les ordres des représentants du CNE (le Poder electoral est un pouvoir à part entière, comme on l’a vu dans une précédente note) ;

* vérification de l’identité à partir de la carte et du contrôle biométrique des empreintes digitales des deux pouces (ça nous fait tousser, nous les français, mais cet enregistrement biométrique a été mis en place il y a déjà plusieurs années, et - m’a-t-on expliqué - se trouve sous la seule responsabilité du Pouvoir Electoral et ne donne pas lieu à un fichier centralisé...) ; affectation des votants à l’une des tables de vote du bureau (s’il n’y a qu’une table dans un bureau, cette étape saute...) ;

* à l’arrivée à la table de vote, vérification de l’identité à partir de la carte, émargement sur la liste électorale imprimée (signature et empreinte d’un pouce) ;

* vote sur la machine à votre (écran tactile), placée à l’abris des regards derrière un écran en carton, le votant exécutant les gestes nécessaires (vote Oui ou Non, puis validation) lorsque le président placé à quelques mètres l’invite oralement à le faire ;

* une fois validé, le votant obtient de la machine un récépissé portant la mention de ses votes, qu’il vérifie et place plié en deux dans une urne en carton ;

* l’assistant du président tamponne alors le registre de la mention « a votado » ;

* avant de quitter le bureau, le votant place son auriculaire droit dans un premier récipient contenant un solvant garantissant une propreté parfaite du doigt, puis dans un deuxième contenant de l’encre indélébile.

On me pardonnera le caractère un peu laborieux de cette description, mais elle permet de réaliser la totale liberté que nous avons pour nous instruire et observer durant cette journée. Je pourrai raconter des dizaines d’anecdotes tirées de mes discussions courtes mais souvent émouvantes avec les personnes croisées aujourd’hui, de cette petite vieille que je dois aller aider à lire l’écran (le règlement autorisait bien sûr cela à la demande de l’intéressée, et avec l’accord de la présidente de ce bureau) ; de cette « testiga » du Oui, professeur de Français dans l’école qui accueille le bureau de vote, qui ne veut plus me lâcher tellement elle est heureuse de voir un élu de la République ; de ce militaire à la mâchoire carrée qui finit par décrocher un sourire lorsque je lui demande si quelqu’un le relèverai pour lui permettre d’aller faire pipi... Mais l’essentiel n’est pas là.

Un vote libre et démocratique

L’essentiel est que de cette tournée de près de 4 heures, aucune irrégularité grave n’est relevée. Certes, on aura pu observer quelques approximations dans la mise en place des bureaux de vote : ici, le président se trouve à plus de quatre mètres de la machine à voter ; là, un votant impatient passe derrière son prédécesseur avant que celui-ci termine son vote (il se fait d’ailleurs vertement rabrouer sous nos yeux !)... Mais rien de plus grave que ces petits accidents mineurs que j’ai eu à gérer cent fois depuis que je préside moi-même, en France, des bureaux de vote.

Demain matin, les dix équipes d’observateurs feront la synthèse de leur travail, mais déjà, les échange informels que j’ai eus avec les collègues montrent que les opérations de vote sont généralement dignes de confiance.

Seul événement vraiment remarquable constaté - à mon grand regret - par une autre équipe, et qui a déjà fait le tour du hall de l’hôtel où je me trouve : celui survenu au bureau de vote du Président de la République lui-même. Au moment où les observateurs étaient à l’œuvre, Hugo Chavez est arrivé pour voter ! La rencontre a donné lieu à une scène comme on l’imagine, avec cette bête de scène se lançant dans des « abrazos » démonstratifs et sonores avec ces témoins internationaux du processus démocratique à l’œuvre. Le vote en a été perturbé quelques minutes. Mais sortant irrésistiblement du devoir de réserve qu’ils s’imposent sous leur uniforme gris du PODER ELECTORAL, les membres de toutes les autres équipes crient rageusement leur jalousie ! Et moi donc !

Le vote est maintenant clos. Dans quelques dizaines de minutes les résultats seront connus. Je file avec les autres observateurs à la salle de presse du CNE. L’histoire est en train de se faire sous mes yeux au Venezuela.


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