Le génocide à Gaza et l’invasion du Liban, autorisés et armés par la complicité des pays liées aux USA, ont aussi provoqué un effet d’alerte. Bien des consciences se sont éveillées à la nécessité de comprendre les aléas de la géopolitique. Aux États-Unis le sort de Kamala Harris est lié au prix qu’elle devra payer pour son attitude passive face au génocide à Gaza. Dans le village monde, l’international trouve un chemin vers la conscience de chacun de nous. Beaucoup ont capté ce qu’est une stratégie globale pour les grandes puissances et l’importance d’en avoir une pour nous français dans un projet gouvernemental. Beaucoup comprennent que la paix et la guerre sont en jeu en ce moment sur le plan mondial. Et que la guerre sera totale en toute hypothèse, réduisant à néant toute autre activité et ambition. Dans cette ambiance, depuis des mois j’alerte dans mes discours sur la dégradation des relations des pays « atlantistes » avec la Chine et sur les préparatifs de guerre qui s’observent. À ma manière et dans mes limites, je construis une compréhension et une mobilisation intellectuelle de ceux qui me lisent. C’est pourquoi je fais cette note conjointement à une vidéo. Avec le vote jeudi dernier d’une résolution provocatrice sur la Chine au parlement européen, l’UE vient de franchir une ligne rouge dans la montée en tension.
Notre attention doit être spécialement retenue car une décision européenne a également eu lieu sans grand écho ni débat. C’est la décision de créer un poste de commissaire à la défense dans la Commission européenne, instance quasi suprême de l’Union européenne. Ainsi achève de s’accomplir la mutation de l’ancienne Europe de la paix vers l’Europe de la défense qui est le moyen d’une Europe de la guerre. J’y reviendrai dans un prochain post
La Chine est une cible pour le Parlement européen de l’extrême droite jusqu’au centre gauche Vert et PS, depuis des mois et même des années en étroite corrélation avec le point de vue des USA et de la mouvance atlantiste. Auparavant, l’Union accompagnait les USA contre la Chine, étape par étape, au fil des réunions internationales. Ce vote franchit spectaculairement une étape. Certes elle se réfère à la résolution 2758 de l’ONU votée en octobre 1971. Celle-ci reconnaissait « une seule Chine » et elle expulsait la représentation de Taïwan de toutes les instances. Mais Bruxelles prétend désormais que la Chine a une « interprétation erronée » de cette décision ! J’ai alerté et protesté publiquement après l’adoption de ce texte dangereux. De leur côté, les eurodéputés insoumis ont tous voté contre. Mais aussi de nombreux autres partis membres de notre coalition formant le groupe « La Gauche » (The Left).
Le Parlement européen interprète grossièrement la décision de 1971 pourtant sans ambiguïté. Car elle affirme clairement que seule la République populaire de Chine peut siéger dans les organisations internationales. Et elle décrète que Pékin seule exerce la souveraineté sur l’ensemble du territoire internationalement reconnu de la Chine. Lequel inclut depuis 1945 l’île de Formose, donc Taïwan. Pour que les personnes qui me lisent en soient juges elles-mêmes, voici le moment concerné dans le texte de cette résolution 2758 de l’ONU. L’Assemblée générale des Nations Unies « décide le rétablissement de la République populaire de Chine dans tous ses droits et la reconnaissance des représentants de son gouvernement comme les seuls représentants légitimes de la Chine à l’Organisation des Nations unies, ainsi que l’expulsion immédiate des représentants de Tchang Kaï-Chek (alors dictateur à Taïwan NDLR) du siège qu’ils occupent illégalement à l’Organisation des Nations unies et dans tous les organismes qui s’y rattachent. » C’est on ne peut plus clair : la République populaire de Chine succède dans toutes ses obligations au regard du droit international, à Taïwan. Pékin se voit ainsi reconnaître la souveraineté sur l’ensemble de son territoire internationalement reconnu. Et donc sur Taïwan.
La résolution votée jeudi au Parlement européen ment : la résolution 2758 interdit à Taïwan de participer à des organismes internationaux. À l’époque même les journalistes accrédités par Taïwan furent expulsés du siège de l’ONU. Mais le texte européen franchit surtout la limite quand il déclare que l’ONU n’affirmerait pas la souveraineté de la République populaire de Chine sur l’île de Taïwan. Le vrai franchissement de seuil est là. Les commentateurs superficiels ou ignorants n’ont sans doute rien vu ! Ils ne comprennent pas l’importance de ce que veut dire un tel glissement aux yeux de Pékin. C’est un million de fois plus grave que les différents commerciaux sur les voitures électriques. Imaginez l’Inde déclarant que La Réunion n’est pas française !
Par sa brutalité agressive, ce texte est donc vraiment une rupture dans le discours européen. Car jusque-là la position était bien moins frontale. Au contraire, les européens enrobaient leurs propos de précaution d’écriture et de postures, pour suggérer davantage que pour trancher. C’était assez constant. Certes l’UE demandait aussi déjà une plus grande participation de Taïwan dans les organisations internationales, notamment à l’OMS et à l’OMC. Mais cela était présenté comme une garantie pour les européens davantage que comme un acte à propos de la Chine et du statut de Taïwan. En pratique, cela se manifestait surtout par le renforcement de liens politiques entre l’UE et Taïwan, par l’ouverture de « bureaux de coopération ». Mais bien sûr, toutes ces demandes aboutissaient surtout déjà à traiter Taïwan comme un État indépendant de fait sans le dire ni le reconnaître. Et à l’intégrer dans le réseau d’alliance concrète de l’Union Européenne. La récente déclaration du G7 allait dans le même sens avec la même méthode. Officiellement, elle proclamait l’attachement au principe « d’une seule Chine ». Mais dans les faits elle appelait à inviter Taïwan à participer à toutes les institutions internationales, en lui donnant le statut d’observateur. C’est le genre de statut dont bénéficie par exemple le « Saint Siège ». Ça permettrait à Taïwan de conclure des traités, de participer aux discussions, mais sans avoir formellement le statut d’État. Cela revient à la traiter de fait comme un État indépendant, sans afficher vouloir franchir le seuil qui entraînerait une confrontation directe et immédiate avec la Chine. Mais Pékin a bien vu comment montait graduellement ce genre de demande en parallèle avec sa diabolisation. Certes, jamais « l’occident » ne mettait en doute la résolution de l’ONU. Et pour cause ! La déclaration ou la reconnaissance de l’indépendance est 100% inacceptable pour Pékin ! C’est à ce sujet que le président Xi Jinping a dit sans détour : si l’indépendance était déclarée « la Chine ne s’interdirait pas l’usage de la force ». Sur le terrain dans la zone Asie-Pacifique, suivant un scénario bien rodé dans ce domaine, les USA franchissent à intervalles réguliers les lignes rouges posées par la Chine. Et quand Pékin répond par une initiative ou une démonstration symbolique de sa force, le chœur des atlantistes accuse la Chine de provocations. Les institutions européennes emboitent alors le pas. Mais la résolution votée jeudi à Strasbourg, franchit en fanfare une étape : elle se réclame de la résolution 2758 mais elle prétend que la Chine en a une « interprétation erronée ». Une habileté de pure forme. Le texte est en réalité un consentement à la stratégie de montée vers la guerre.
Hélas les partis traditionnels français ont voté pour la provocation européenne. Ils se sont alignés sur la logique de guerre. Inclus les macronistes et les LR. Ils ont pourtant en charge le gouvernement et les intérêts à long terme de notre pays. Mais pas les eurodéputés insoumis ! Ils restent fermement accrochés à la politique de non-alignement ! Ils ont tous voté contre. De son côté, le RN ne savait quoi choisir entre les deux lignes qui le traverse. Il s’est donc abstenu. Le PS, Place Publique et Les Verts confirment ainsi une ligne atlantiste mondialisée. C’est banal au PS et encore plus à Place Publique. Mais c’était moins automatique chez les Verts français. Ça confirme la ligne très atlantiste de Yannick Jadot, partisan de la guerre avec la Russie notamment. La ministre écolo des Affaires étrangères allemande n’a-t-elle pas justifié le génocide de Gaza et annoncé de nouvelles livraisons d’arme à Netanyahu ?
L’alignement atlantiste de l’Union Européenne est un aveuglement. L’UE fait comme si les USA n’étaient pas en concurrence avec elle, y compris dans cette zone du monde. L’UE est déjà le premier investisseur et le principal partenaire de coopération au développement dans la région et l’un de ses plus grands partenaires. « Ensemble, la région indo-pacifique et l’Europe détiennent plus de 70 % du commerce mondial de biens et de services, ainsi que plus de 60 % des flux d’investissements directs étrangers » avait pointé le rapport européen sur sa politique dans la région.
Il y a un problème dans la stratégie belliqueuse de l’Europe comme celle des Etats-Unis. Certes l’un et l’autre sont des puissances commerciales et des débouchés de consommation gigantesques pour les Chinois. Mais le pouvoir d’achat qui s’y trouve concentré repose en dernière instance sur les USA. Et ceux-ci reposent sur leur capacité à imprimer de la monnaie sans limite. Et à empiler les dettes publiques et privées vertigineuses sans aucune sanction possible par « le marché ». Mais la production concrète, la génération de la valeur ajoutée réelle se fait ailleurs. Pour l’essentiel dans la zone Asie-Pacifique. Elle a donc une importance stratégique décisive pour le commerce mondial.
Avec plus de la moitié de la population mondiale, réalisant 60 % du PIB mondial cela se comprend ! 90 % du commerce de biens réels passe par la mer et 90 % de ce trafic part de la mer de Chine. La guerre couperait toutes ces routes. L’économie-monde serait immédiatement plongée dans le chaos. C’est pourquoi la confrontation est ici une construction de longue main. Il faudrait apprendre à se passer de la première économie productive de la planète. Autrement dit de la plupart des objets que nous utilisons ou consommons. Les USA pensent y travailler par la nouvelle politique que partagent complètement sur le sujet Démocrates et Républicains. Ils démarrent pour cela une guerre des droits de douane destinée à leur permettre, disent-ils, de reconstruire leur capacité productive ou de réorganiser leurs flux mondialisés. Le sens de tout cela est énoncé dans la déclaration des USA quand ils déclarent : « il n’y a pas de solution de marché à la compétition avec la Chine ». Glaçant ! L’Europe se trompe de partenaire en s’associant à cette stratégie. Les USA sont autant nos compétiteurs que la Chine.
La Chine est la première puissance productive du monde. Elle n’a aucun intérêt au chaos mondial que provoquerait un conflit. Les Français non plus. Ils sont présents dans la zone Asie-Pacifique avec la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie, la Réunion, Mayotte, Wallis et Futuna. Le vote des partis traditionnels de France au Parlement européen montre un affaissement de leur volonté d’indépendance. Mais aussi une perte de la compréhension des intérêts et des atouts de la France. Un gouvernement de La France insoumise agirait tout autrement : non aligné et altermondialiste !
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