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Il n’est pas rare que les campagnes électorales s’apparentent plus à des combats de boxe qu’à des débats démocratiques. Virginia Campbell, historienne spécialiste de la Rome antique et archéologue, s’est intéressée au déroulement des campagnes électorales à Rome et Pompéi il y a presque 2000 ans. Peu de choses ont changé depuis l’Antiquité.
Il n’est pas rare que les campagnes électorales s’apparentent plus à des combats de boxe qu’à des débats démocratiques. Virginia Campbell, historienne spécialiste de la Rome antique et archéologue, s’est intéressée au déroulement des campagnes électorales à Rome et Pompéi il y a presque 2000 ans. Peu de choses ont changé depuis l’Antiquité.
À chaque élection, les murs de nos villes se couvrent d’affiches. Slogans, petites phrases et photographies des candidat·es sont partout. Et il semble qu’il en ait toujours été ainsi. À Pompéi, dans les années soixante-dix après J-C., Marcus Cerrinius Vatia s’est présenté au poste d’édile de la ville et plus de 80 inscriptions relatant sa campagne ont été retrouvées sur les murs de la cité. Si certaines proviennent de son propre camp, exposant ses projets et promesses, d’autres sont des attaques en règle.
Ces "programmata" électorales étaient peintes en majeure partie par des peintres d’enseignes professionnels. Mais il ne s’agit pas là de la seule preuve que de véritables campagnes électorales se tenaient déjà, avec leurs règles et leurs mensonges. Virginia Campbel, dans un article publié History Today, évoque notamment un document fascinant. Il s’agit d’un livre d’instructions, communément appelé Manuel de propagande électorale (Commentariolum Petitionis), qui aurait été écrit (sa paternité reste discutée) par Quintus Tullius Cicero, le frère cadet du célèbre Cicéron (Marcus Tullius Cicero).
Toge blanche et opportunisme : les ingrédients d’une campagne réussie "Le texte se présente sous la forme d’une lettre adressée à Marcus par Quintus, pendant la campagne victorieuse de ce dernier pour le poste de consul de Rome en 64-63 av.", explique Virginia Campbell. Ce document est tout autant un récit de la campagne, renfermant notamment un portrait au vitriol des adversaires de Cicéron, qu’un livre de conseils sur la meilleure manière de convaincre les électeurs. Catilina et Antonius (oncle de Marc Antoine), les adversaires de Marcus pour le poste de consul, y sont par exemple dépeints comme "deux assassins depuis l’enfance, tous deux libertins, tous deux indigents".
Le manuel insiste beaucoup sur l’importance du démarchage, auprès des amis et des proches, mais surtout auprès des inconnus. Une façon d’agir qui allait à l’encontre de la manière dont les Romains se comportaient en société. "Ils avaient des définitions claires de l’amitié, excluant les connaissances occasionnelles ou celles basées sur le profit personnel - exactement ce que recommande le manuel", observe l’historienne. Mais les candidats n’avaient d’autre choix que de se plier à ce démarchage systématique, même lorsqu’il s’agissait, comme le recommande Quintus, "de se lier d’amitié avec des personnes avec lesquelles on ne s’associerait jamais dans aucune autre partie de la vie". Bien entendu, la campagne se menait aussi auprès des proches et des partisans, avec qui Quintus conseille de passer le plus de temps possible.
"Faites-le quotidiennement, avec tous les rangs et tous les âges, et grâce à ce soutien quotidien, vous pourrez peut-être vous faire une idée de ce que sera votre part du vote final", insiste-t-il. L’idéal étant bien sûr de ne pas déambuler seul dans les rues de la cité, mais au contraire d’être accompagné du plus grand nombre de personnes pour cheminer jusqu’au Forum. Avec une toge d’un blanc impeccable car, cela va sans dire, "si la toge n’était pas immaculée, le personnage ne l’était pas non plus", rappelle Virginia Campbell. "Cette visibilité est extrêmement importante car la taille de l’entourage et le comportement du candidat sont des preuves de son influence (gratia) et de son prestige (dignitas)", écrit Quintus. Il suffit d’observer nos candidats déambuler sur tous les marchés de France le dimanche matin en période électorale pour être convaincus du bien-fondé de ce conseil…
Bien entendu, la campagne électorale se devait également de reposer sur des faits, un programme, des promesses. Et plus encore que la teneur de ces promesses, Quintus insiste sur l’importance de les formuler avec le plus d’éloquence possible. "Quintus estime qu’il importe peu que les promesses faites lors d’une élection soient tenues ; il est préférable de dire oui et de ne pas tenir ses promesses par la suite", explique l’historienne. Mais alors que le droit de s’adresser au public était exclusivement détenu par les magistrats, les "programmata", les inscriptions sur les murs de la ville, avaient une importance fondamentale pour les candidats. Des peintres professionnels se chargeaient de les réaliser, mais il n’était pas rare que des membres de l’équipe de campagne du candidat s’impliquent également dans leur réalisation.
On retrouvait aussi des inscriptions signées du nom des rogatores, des personnes dont les noms étaient inclus dans les avis électoraux et qui prônaient l’élection d’un candidat en particulier. "Il s’agit de femmes, d’hommes, d’affranchis, d’associations professionnelles et religieuses, de quartiers et, bien sûr, de soutiens potentiellement fallacieux tels que les buveurs de fin de soirée - les groupes mêmes avec lesquels le manuel suggère qu’un candidat cultive son amitié", détaille Virginia Campbell. Cette dernière rappelle alors l’importance pour les candidats de se constituer un réseau. "Sabinus, l’homme qui possède le plus grand nombre de programmata, est un excellent exemple de réseau prolifique. Dans les 120 notices conservées à son nom, il est soutenu par plus de 20 personnes et groupes différents, dont des noms tels que ’Crescens’, ’Maria’ et ’les dévots d’Isis’. Il est clair qu’il avait activement et avec succès prospecté la population locale", observe-t-elle.
L’Histoire a montré que le manuel avait porté ses fruits et qu’il était bien, pour reprendre les mots de l’un des principaux traducteurs du texte, D.R. Shackleton Bailey, "un plan de la campagne électorale parfaite". "Marcus a remporté le poste de consul lors des élections de 64-63 av. J.-C. et est devenu l’un des hommes politiques les plus tristement célèbres de ce siècle. (...) Quintus fut lui aussi élu préteur en 62 av. J.-C., puis gouverneur de l’Asie et assistant de Jules César pendant la guerre des Gaules", conclut l’historienne.
Article de Esther Buitekant
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