Le système de santé américain est le plus coûteux et inefficace au monde. Il suscite une profonde colère chez une partie des Américains. Certains ont salué l’assassinat d’un assureur santé, mettant en balance cette vie et celles abrégées de millions de malades, incapables de se payer des soins.
Le 4 décembre a été assassiné par balles à New York Brian Thomson, directeur général d’UnitedHealthcare, le plus grand assureur santé des États-Unis. Un homme de 26 ans, Luigi Mangione, a été arrêté et mis en cause pour meurtre « considéré comme un acte de terrorisme », par le procureur de New York. Le 23 décembre, Luigi Mangione a plaidé « non coupable » de ce chef d’accusation.
Sur les réseaux sociaux, cet acte a fait écho à la colère de certain·es Américain·es contre leur système de santé. Certain·es approuvent le meurtre de l’assureur. Dans les rues de New York, des affiches « Wanted » ont été placardées au nom d’autres PDG d’assurances santé. Ces derniers ont immédiatement renforcé leur sécurité.
Selon les ami·es de Luigi Mangione, cet homme issu d’une très riche famille de Baltimore souffrirait de fortes douleurs au dos qui l’auraient conduit à s’isoler, rapporte le New York Times. Son compte sur X montre un homme athlétique, en pleine santé. Il a cessé d’y poster des messages en juin. Dans un manifeste de trois pages qu’il portait sur lui lors de son arrestation, il revendique un « acte symbolique » afin de dénoncer la « corruption » et « les jeux de pouvoir » des assureurs santé.
Des Américain·es ont raconté les vies abrégées de leurs proches malades, incapables de se payer des soins. Les inégalités de santé sont marquées aux États-Unis : les plus riches vivent dix à quinze ans de plus que les plus pauvres (contre sept années en France, pays le plus inégalitaire d’Europe), selon le journal médical de référence The Lancet.
Le système de santé des États-Unis est le plus coûteux au monde : le montant des dépenses atteint 18 % du produit intérieur brut, très loin devant l’Allemagne (12,7 %) et la France (12,1 %). Il est aussi le plus inefficace : l’espérance de vie moyenne des femmes américaines est de 80,2 ans, celle des hommes de 74,8 ans. En France, les femmes vivent 85,2 ans et les hommes 79,3 ans, soit environ cinq années de plus.
En 2020 et 2021, durant les années covid, les États-Unis ont vu pour la première fois reculer leur espérance de vie, fait inédit dans un pays développé et preuve manifeste de folles inégalités de santé. Les États-Uniens atteints d’un covid grave, peu ou mal couverts, ont sans doute dû renoncer aux très coûteux soins intensifs indispensables à leur survie.
Le modèle états-unien mélange assurances publiques et privées. Les plus âgé·es et les plus modestes sont couvert·es par Medicare et Medicaid. Medicare est une couverture financée par des cotisations prélevées par l’État fédéral, sur le modèle de l’assurance-maladie. Medicaid est une aide sociale pour les plus modestes financée de manière inégale par les différents États.
Le reste de la population est couverte par les assureurs privés. Sur ce colossal marché de 3 000 milliards de dollars, le capitalisme impose ses règles sans la moindre considération éthique. Les hôpitaux, les médecins, les laboratoires pharmaceutiques doivent négocier leurs tarifs avec ces assureurs, qui obtiennent les meilleurs prix pour leurs client·es.
Vice ultime du système : les États-Unien·nes qui ne sont pas couvert·es par une assurance paient de leur poche leurs soins et leurs médicaments beaucoup plus chers que les assureurs. Parmi eux, les plus malades risquent la banqueroute, certain·es vendent leurs biens, jusqu’à se trouver dans l’incapacité financière de se payer des soins. Les faillites personnelles pour des raisons de santé restent « fréquentes » malgré la réforme Obamacare, rapporte l’Institut national de santé (NIH).
Les présidents démocrates Barack Obama puis Joe Biden se sont attelés à une réforme du système de santé, composant avec les puissants lobbys des assureurs mais aussi des entreprises pharmaceutiques. Dans un rapport de force inégal, « Big Pharma » parvient à imposer bien plus facilement ses prix à des assureurs privés et publics qui négocient chacun de leur côté. Pour cette raison, les médicaments sont de loin les plus chers aux États-Unis.
Il a fallu deux mandats à Barack Obama pour aboutir à un compromis avec le marché. L’Affordable Care Act (ACA), dit Obamacare, contraint les assureurs à proposer des contrats moins onéreux, contre des subventions de l’État fédéral. Joe Biden a choisi une autre voie : élargir les critères d’accès à Medicare et Medicaid, les deux assureurs publics. Mais près de 10 % de la population âgée de moins de 65 ans, y compris les enfants, n’est toujours pas assurée.
Le prix des contrats d’assurance, ainsi que leurs clauses, reste un puissant frein pour les plus modestes. Le prix moyen d’un contrat d’assurance est de 7 739 dollars (7 416 euros) par an pour une personne seule et de 22 221 dollars (21 293 euros) pour une famille, selon la Kaiser Family Foundation, une association caritative de recherche sur les politiques de santé.
Plus les personnes sont âgées ou présentent des risques en santé, plus le coût des contrats est élevé. Certaines entreprises prennent en charge une partie du coût des contrats de leurs salarié·es. Mais 44 % ne le font pas, car il n’y a aucune obligation.
À ces prix exorbitants, s’ajoutent des « deductibles », une franchise, c’est-à-dire un niveau de dépenses qui reste à la charge du patient avant que l’assurance ne commence à rembourser les soins. En moyenne, les « deductibles » s’élevaient en 2021 à 2 800 dollars par mois, selon l’Office fédéral de la politique de santé.
Les malades chroniques les plus modestes paient un lourd tribut à ce système santé inéquitable. Le prix de l’insuline, vitale pour les diabétiques de type 1 et pour une partie des diabétiques de type 2, a longtemps été le symbole de ce système amoral. Les décès de diabétiques qui ne pouvaient pas se payer leur insuline ont été largement médiatisés et ont choqué l’opinion publique.
Joe Biden a donc décrété dans une loi que le prix maximal déboursé de sa poche par un diabétique pour se payer son insuline serait de 35 dollars. Seulement, ce prix est garanti par certains contrats d’assurance, mais pas par d’autres. Le puissant lobby de l’assurance santé est parvenu à contourner la législation.
« Seuls les programmes Medicare et Medicaid assurent réellement un accès à l’insuline pour 35 dollars par mois au maximum, explique Elizabeth Pfiester, fondatrice de l’association de diabétiques de type 1 T1 International, l’une des rares associations de patient·es indépendantes de l’industrie pharmaceutique. Et seules certaines insulines coûtent réellement 35 dollars. Dans des pharmacies ne sont vendues que des insulines qui coûtent 200 dollars à des patients pourtant assurés. Certaines compagnies pharmaceutiques ont même abandonné la production des insulines moins chères parce qu’elles n’étaient plus assez rentables à leurs yeux. »
Le président élu Donald Trump et son secrétaire d’État à la santé Robert F. Kennedy Jr ont fustigé pendant la campagne présidentielle l’avidité de l’industrie pharmaceutique et le coût de la santé aux États-Unis. Mais dans le même temps, Donald Trump a promis de considérables baisses d’impôts. Or les réformes de Barack Obama et de Joe Biden, comme les assurances publiques Medicare et Medicaid, sont financées par l’impôt.
« Nous sommes très inquiets,insiste Elizabeth Pfiester. Tous les partis reçoivent énormément d’argent de l’industrie pharmaceutique et des assureurs santé. Je serai très surprise que Trump améliore la situation, je m’attends plutôt au contraire. » Pour préserver sa vie, cette militante de l’accès aux soins aux États-Unis, elle-même diabétique, a choisi de s’expatrier au Royaume-Uni.
Caroline Coq-Chodorge
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