Où va le gouvernement Bayrou ? (Revue de presse 6 janvier)

mardi 14 janvier 2025.
 

- Jean-Luc Mélenchon : Bayrou, le rendez-vous manqué

- Mediapart : Bayrou ou l’impossible centrisme

- Gouvernement Bayrou : une nouvelle occasion manquée (Nouvel Obs)

Jean-Luc Mélenchon : Bayrou, le rendez-vous manqué

J’ai écouté François Bayrou avec attention sur BFM. Je commence par ce qui me concerna. Il me récuse pour avoir écrit qu’en politique il faudrait tout conflictualiser. Je lui pardonne d’ignorer que ce soit la base du matérialisme historique, pour qui, tout fait politique étant inclus dans la lutte de classes, c’est en assumant cette conflictualité qu’on accède à une conscience réaliste. Mais l’agrégé de latin et de grec qu’il est, peut-il ignorer le message d’Héraclite pour qui la discorde (ou la lutte) est mère du futur ou bien le combat père de toute chose ? La réalité est dialectique parce qu’elle est mouvement entre des contradictions. N’est-ce pas d’ailleurs aussi la base même de la démocratie : choisir entre des points de vue opposés ? Tout conflictualiser, c’est rendre possible la liberté. Car l’antagonisme est père du choix et le choix est le lieu de naissance de la liberté. Vu ?

Je viens à plus important. Pour cela je passe sur le souvenir d’extrême ennui que l’interview de Bayrou m’a d’abord infligé. Car c’était du déjà-vu tant de fois : interruptions incessantes et questions-réponses faussement solennelles : « est-ce que vous nous dites, ce soir, François Bayrou ceci, cela… ». Il s’est fait étriller. Bayrou ne méritait pas ça. Les frelons avaient d’abord oublié de demander au Tatou s’il poserait la question de confiance à l’Assemblée. Ils ne pensèrent pas à lui demander non plus si son projet de retraite à points serait mis en débat dans la nouvelle discussion sur les retraites qu’il prône. Ils ne lui posèrent pas non plus une question sur la situation internationale. Le génocide et l’application des décisions de la Cour pénale internationale, la Syrie, les Kurdes, la guerre en préparation avec la Chine : rien. Pourquoi ? Je ne sais pas. Je fais une hypothèse. Peut-être savent-ils comme moi, et comme tout le monde, combien la primature de Bayrou est déjà cuite ? Jean-Michel Aphatie dit que le maire de Pau a pris un « coup de vieux ». Oui, si cela désigne sa pratique politique. Car que reste-t-il du personnage qu’a été Bayrou dans le passé ? On pourrait s’attendre à le voir faire lui-même le constat d’échec et s’en aller séance tenante plutôt que de subir l’abrasion qui lui est réservée par toute la macronie et par Les Républicains. C’était du temps où il préférait siéger seul avec Jean Lassalle plutôt que d’accepter la création de l’UMP et la dissolution de l’UDF. À présent le voici réduit à céder tout le panache qui illustre les destins ! Et tout cela pour la vanité de faire semblant de gouverner.

Comment compte-t-il « faire mieux » que Barnier ? À l’Assemblée, le centre de l’hémicycle est fait de rancœur et de vendettas. Tels sont désormais les Balkans macronistes. À quoi bon pour eux faire durer un gouvernement condamné d’avance ? Comment Bayrou compte-t-il maîtriser durablement ce système de tensions ? Car tout le monde sait qu’il a échoué dans l’opération vitale à réaliser : l’élargissement de sa base parlementaire. Pourtant, il n’y avait personne d’autre mieux placé que lui pour y parvenir. Alors quoi ensuite ? Le néant sera plus ou moins dense selon les jours. Quoi ? Le PS, Fabien Roussel ou bien Les Verts sont venus à son invitation, après celle du Président ? Et alors ? C’était une comédie pour satisfaire les besoins de leurs congrès respectifs et les obscures combinaisons qui en constituent les enjeux. Tout le monde le savait. Tout cela répondait au critère installé sur la scène médiatique par de risibles bien-pensants. Il fallait « faire preuve de responsabilité » en donnant un sursis à un gouvernement mort-né. Car la dette, le budget, l’eau courante à Mayotte, les suicides de cheminot, tout serait la faute des votants de la censure. C’était alors panique à bord chez les dévots « de gauche » de la bonne réputation de modéré. Jusqu’au jour où les sondages ont montré non seulement combien les Français approuvaient la censure, mais demandaient par surcroît la destitution de Macron et une sixième République. En 24 heures, tout le petit monde des « nouveaux raisonnables » est revenu à la maison. Les insoumis avaient donc eu raison, une fois de plus, dans l’évaluation du rapport de forces. La punition des folâtres est déjà payée dans nos milieux, où leur prise au sérieux est bien abimée. Encore un apprentissage utile. Et si le jeu des postures fait encore mine, ici et là, de durer, nul n’en est dupe. La mascarade : pas d’accord « à cette étape », pas d’accord « en l’état », bla bla bla : toutes ces minauderies ne fonctionnent plus du tout. Tout le monde s’en fiche. Le premier qui aide Bayrou à durer, chope la gale.

Un fait pourtant significatif est passé inaperçu dans les bourdonnements et les papotages convenus. Pour qui a de la mémoire politique longue, l’épisode a marqué la fin d’un mirage de longue durée. Oui, un moment historique s’est dérobé sous nos yeux. Le rêve de décennies de centrisme et d’européisme s’est effacé du paysage, au moment où la caravane de ses adulateurs semblait l’atteindre. Ce moment, c’était celui de la grande jonction entre les « Démocrates » avec le secteur de la gauche qui lui faisait les yeux doux depuis tant de décennies. Autrement dit le centre, les socialistes et d’aucuns Verts. Si la jonction s’était faite, ils auraient eu gratuitement le reste des tribus macronistes. Alors oui, le socle commun de la « grande coalition » à l’allemande était à portée de main. J’ai passé, avec d’autres, tant d’années à combattre cette alliance ! Les plus connaisseurs savent que le projet remonte à Giscard d’Estaing, revint sous Rocard en 1988 et ensuite encore à la présidentielle de 2007. Mais désormais le moment est officiellement passé. Ce sont des « si », je le sais bien. Et de toute façon, il n’y a aucun stratège assez audacieux(se) et patient(e) dans ce petit monde là pour piloter une telle manœuvre dans l’espace politique actuel. Pourtant celui-ci était assez friable pour la permettre. Il n’empêche : je le note comme un changement durable de l’arrière-plan politique. Mais aussi le signal d’un fait social : les classes moyennes ascendantes des années 70/80, visées par ce projet « d’entre-deux », sont désormais hors-jeu. Leur décomposition dans l’univers néolibéral est assez avancée. Elles sont de nouveau disponibles pour la radicalité des projets.

Il n’y aura pas d’accord de « non-censure ». Ce serait un absurde brevet de docilité. Cette trouvaille, d’abord proposée comme un appât par Boris Vallaud, et reprise, sans aucune concertation ni alerte, par tout le PS, est une chimère. Il n’est d’ailleurs pas très républicain de demander à une assemblée parlementaire de renoncer à un de ses pouvoirs contre une promesse de l’exécutif de ne pas abuser de son pouvoir. Parfois, le temps long montre son museau. La SFIO a voté la constitution de la cinquième République. Cet échange n’aura pas lieu. Ni aujourd’hui, ni demain, ni jamais. Les insoumis ne le permettront pas tant que le NFP existera. D’une certaine façon, la danse du ventre de nos partenaires du Nouveau Front Populaire quand ils ont accepté de jouer la comédie de la négociation aura aussi bien servi nos plans. D’une part, elle a montré pour finir combien une telle façon de faire ne mène nulle part sinon au ridicule. « Faut-il qu’ils soient ou bien naïfs ou bien comédiens » se disent les gens, quand ils restent polis… ! Peu importe. Car cela souligne surtout à présent l’absolu isolement de la macronie. Et puisque tout le monde au Nouveau Front Populaire votera la censure, si j’en crois ce qu’ils ont dit dans le journal, alors voici le deuxième avantage de situation : toute la charge du soutien à Macron repose sur Le Pen si les députés RN ne la votaient pas ! Et c’est cela que les médias appellent « Le Pen maître du jeu » ! En fait tout ce joli monde est enlisé jusqu’aux essieux. Et il n’y a qu’une sortie commune : censure et destitution.

2) Bayrou ou l’impossible centrisme

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3) « Gouvernement Bayrou : une nouvelle occasion manquée »

Article de Guillaume Duval, Le Nouvel Obs

Nous démarrons donc l’année 2025 avec un nouveau gouvernement dirigé par François Bayrou. Le quatrième depuis le début de 2024. La constitution de ce gouvernement a été une nouvelle occasion manquée pour un accord de front républicain. Celui-ci reste pourtant plus que jamais la seule solution pour espérer sortir la conduite du pays des griffes de l’extrême droite.

Pendant tout l’été Emmanuel Macron avait refusé d’envisager tout accord de ce type avec la gauche et choisi une autre voie : celle de l’entente avec la droite qui s’était opposée au front républicain et de facto avec l’extrême droite. Ce qui avait conduit au gouvernement Barnier et à sa chute quand Marine Le Pen l’a décidé.

D’où le gouvernement Bayrou. François Bayrou s’est imposé à Emmanuel Macron qui ne souhaitait pas en faire son Premier ministre. Son attitude lors des présidentielles de 2007 et 2012 pouvait laisser présager d’une certaine capacité à jouer le jeu d’une ouverture vis-à-vis de la gauche. Les socialistes, les communistes et les écologistes ont pris le risque politique majeur de rompre avec LFI pour entrer dans une logique de négociation avec François Bayrou en vue de discuter d’un accord de non-censure.

Mais au bout du compte force a été de constater que le premier ministre n’a jamais tenté le minimum nécessaire pour qu’une telle démarche puisse effectivement aboutir. En choisissant d’emblée de maintenir Bruno Retailleau à l’Intérieur, en nommant Gérald Darmanin à la Justice, en ne nommant pas Xavier Bertrand parce que le RN n’en voulait pas, il a montré qu’il s’apprêtait simplement à poursuivre en allant plus loin encore que Michel Barnier sur la voie d’un accord de facto avec le RN. Et qu’il n’avait en réalité ni la volonté ni la capacité de rompre avec la politique suicidaire pour le pays choisie par Emmanuel Macron depuis le 7 juillet.

Tout le monde à gauche est obligé d’en prendre acte et de s’opposer fermement à un tel gouvernement de compromission avec l’extrême droite.

Du coup, le ministère Bayrou risque de ne pas durer plus longtemps que son prédécesseur. Et s’il devait durer davantage au bout du compte cela ne pourrait que signifier que le « bloc central » a achevé de se déshonorer en acceptant toutes les conditions imposées par le RN pour engager le pays sur la dramatique pente xénophobe et illibérale où l’extrême droite veut l’entraîner.

Dans un contexte où une nouvelle dissolution n’est pas encore possible et où la situation désastreuse qui résulte de la politique budgétaire menée depuis sept ans appelle des décisions urgentes et difficiles, la gauche doit cependant prendre sur elle et se montrer responsable pour deux en continuant de proposer au « bloc central » de renoncer sans délai à son alliance de facto avec le RN pour négocier enfin sérieusement un accord de non-censure avec elle.


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