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Les socialistes envisageaient dans un premier temps de ne pas censurer le gouvernement malgré l’absence de suspension de la réforme des retraites. Mais après le discours de François Bayrou et une fronde en interne, une partie du groupe a réalisé une nouvelle volte-face, rendant la situation plus illisible encore.
Les socialistes sont passés, mardi 14 janvier, du triomphalisme à la crise existentielle en seulement 1 h 30. C’est le temps qu’a duré le discours de politique générale de François Bayrou. Et le temps qu’il a fallu au premier ministre pour doucher les espoirs du Parti socialiste (PS), qui pensait être sorti gagnant de ses négociations avec Matignon.
En début de journée, la plupart des député·es du groupe présidé par Boris Vallaud affirmaient en effet avoir obtenu gain de cause sur un certain nombre de points. Malgré leur échec à obtenir la « suspension » de la réforme des retraites – que le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, défendait pourtant encore mordicus la veille dans Libération –, la nuit de lundi à mardi a visiblement changé la donne.
Selon les négociateurs, Matignon avait en effet lâché in extremis quelques concessions, prenant l’engagement d’organiser rapidement une conférence sociale sur les retraites avec les partenaires sociaux – ce que demandait la CFDT –, mais aussi d’instaurer une taxe sur les transactions financières et les hauts patrimoines, de diviser par deux – en passant de 4 000 à 2 000 – le nombre de suppressions de postes d’enseignant·es, et d’abandonner l’alignement du jour de carence du public sur le privé.
Mardi matin, quelques heures avant la prise de parole de François Bayrou, les député·es socialistes décidaient donc de lui accorder un sursis, lors d’une réunion à huis clos. « Très majoritairement, on a été d’accord pour ne pas censurer, rapportait alors le député Julien Gockel. Même si ce n’est pas celles qu’on voulait, on a obtenu des victoires : mieux vaut 20 % de quelque chose que 100 % de rien. »
Mais le discours du premier ministre a tout fait basculer. Alors qu’on était déjà loin des « concessions remarquables » réclamées avec intransigeance par les cadres socialistes, les quelques maigres promesses évoquées pendant les derniers pourparlers n’ont pas survécu à l’expression publique du chef du gouvernement.
Tout juste celui-ci a-t-il évoqué « une hausse notable » de l’Objectif national de dépenses d’assurance-maladie (Ondam) et une « remise en chantier » de la réforme des retraites en concertation avec les partenaires sociaux bientôt réunis dans un « conclave ».
Autant dire que la gauche non insoumise, qui pensait de bonne foi obtenir des gestes du patron du MoDem, faisait grise mine à la fin de sa laborieuse allocution. « Même si on ne s’attendait pas à grand-chose, nous avons quand même été déçus », a résumé à la tribune de l’Assemblée nationale le député communiste Stéphane Peu, à l’unisson avec sa collègue écologiste Cyrielle Chatelain, qui a annoncé que son groupe « continuer[ait] de censurer » le gouvernement.
Les socialistes se sont quant à eux retrouvé·es en urgence pour une réunion de crise en pleine séance, afin de réviser leur position et de modifier substantiellement le discours initialement prévu par Boris Vallaud, qui en a improvisé une bonne partie. Visiblement remonté, le patron du groupe PS a sommé François Bayrou de faire toute la lumière sur ses intentions : « J’ai besoin de la clarté de vos réponses, a-t-il lancé, avant de faire la liste des concessions que le chef de l’exécutif s’était dit prêt à faire en privé. À vous écouter, le compte n’y est pas. Aujourd’hui, l’avenir politique de ce pays est entre vos mains. Nous avons pris nos responsabilités, à vous de prendre les vôtres. »
« Je considère qu’il y a un vrai décalage entre ce qui a été dit dans les négociations et ce qui est annoncé dans le discours de François Bayrou », a aussi réagi la maire de Nantes (Loire-Atlantique) Johanna Rolland, numéro deux du parti. Et d’énumérer : « Pas un mot sur les jours de carence, sur la taxation des hauts patrimoines, sur les postes supprimés dans l’Éducation nationale… Soit François Bayrou clarifie d’ici jeudi soir, soit rien n’est exclu, y compris la censure dès jeudi. »
Même le député Philippe Brun, membre de la délégation des négociateurs socialistes et théoricien de la stratégie du compromis adoptée ces dernières semaines par le PS, est tombé de haut : « Le premier ministre fait un discours dépourvu de concessions. En l’état, il n’y a pas d’accord entre les socialistes et le gouvernement. La question va se poser de voter la censure dès jeudi », résumait-il à l’issue de la séance.
Avant même la déclaration de politique générale du premier ministre, la crise couvait déjà au sein des troupes socialistes. Lors d’un bureau national organisé mardi midi, plusieurs membres de la direction du parti ont ainsi regretté la tournure prise par les discussions ces dernières vingt-quatre heures. À savoir troquer la « suspension » de la réforme des retraites contre une hypothétique « mission flash de la Cour des comptes » sur le sujet.
« Comment expliquer aux militants que nous allons nous dédire sur la suspension de la réforme des retraites et que nous n’allons pas censurer alors que nous n’avons, à l’heure où je vous parle, obtenu que des bouts de chandelle ? Ce serait une erreur politique ! », s’est émue la première secrétaire fédérale du Nord, Sarah Kerriche, lors de la réunion, estimant que le PS n’avait de toute façon rien à perdre à censurer le gouvernement jeudi, sachant qu’il serait sauvé par le Rassemblement national (RN).
Parmi les député·es, certain·es confiaient en aparté leur malaise face au changement de pied d’Olivier Faure, tandis que plusieurs cadres et militant·es faisaient part de leur colère sur les boucles internes.
Juste après le discours de politique générale, le groupe La France insoumise (LFI) a déposé, comme prévu, sa motion de censure, qui doit être examinée jeudi après-midi. Alors que les écologistes et les communistes ont immédiatement annoncé s’y rallier, les socialistes se divisaient encore en fin de journée sur le sujet, la moitié du groupe étant favorable à la voter, l’autre s’y refusant encore.
Invité au « 20 Heures » de TF1, Olivier Faure a indiqué « attendre la réponse du premier ministre ». « J’attends qu’il nous dise ce qu’il entend faire. À ce stade, nous censurerons, sauf si nous avons une réponse claire et que nous avons la possibilité de dire que oui, le débat est un débat sincère, qui permettra à la démocratie de fonctionner. À cette condition-là, quelque chose aura vraiment changé dans le pays », a-t-il ajouté sans lui-même faire preuve de réelle clarté.
Au fil de la journée, l’inquiétude a peu à peu gagné les rangs du PS, passé en quelques heures de fer de lance des négociations à gauche à un isolement total au sein de la coalition du Nouveau Front populaire (NFP). Mardi après-midi, dans un petit bureau de l’Assemblée, Jean-Luc Mélenchon jubile devant une poignée de journalistes. Estimant que les hésitations tactiques des socialistes et leur crash final donnent entièrement raison à sa ligne, le chef de file LFI affirme que « le centre de gravité de la politique s’est une nouvelle fois réorganisé autour de [son mouvement] ».
Mathieu Dejean, Pauline Graulle et Youmni Kezzouf
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