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Alors que le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, espérait se démarquer et isoler La France insoumise en obtenant du gouvernement des avancées politiques, en particulier sur les retraites, la déclaration de politique générale, mardi, de François Bayrou a eu l’effet d’un boomerang. Ce sont les socialistes qui apparaissent désormais isolés à gauche.
On connaissait la formule d’Emmanuel Macron : "Je ne dirais pas que c’est un échec : ça n’a pas marché". Voici celle du député socialiste Arthur Delaporte, prononcée mardi 14 janvier après la déclaration de politique générale de François Bayrou : "Je ne dirais pas qu’on s’est fait avoir : je dirais plutôt que le Premier ministre n’a pas été à la hauteur du moment". Une phrase qui résume bien la gêne des socialistes, qui pensaient obtenir du gouvernement une suspension de la réforme des retraites de 2023 notamment.
Le premier secrétaire du Parti socialiste (PS), Olivier Faure, s’était pourtant montré optimiste mardi matin, affirmant que son parti était "peut-être à quelques heures d’un accord possible" de non-censure avec le gouvernement parce qu’il était "en train d’obtenir un certain nombre de concessions (…) remarquables" permettant "de rompre avec (…) le budget Barnier".
À l’arrivée, la montagne a accouché d’une souris. En guise de "concessions remarquables", François Bayrou a accordé à la gauche la remise "en chantier" de la réforme des retraites – mais sans garantie d’aboutir à une abrogation de la réforme de 2023 – et l’abandon du déremboursement de certains médicaments accompagné d’une hausse des dépenses de santé, mais n’a rien dit sur la fiscalité des très hauts revenus, la suppression de 4 000 postes d’enseignants, le passage d’un jour à trois jours de carence pour les fonctionnaires ou les 7 milliards d’investissements pour la transition écologique. De quoi décevoir les socialistes et faire voler en éclats la stratégie d’Olivier Faure.
En négociant durant plusieurs jours avec le gouvernement pour obtenir "des avancées pour les Français", le patron du PS poursuivait en parallèle un autre objectif : se démarquer de La France insoumise (LFI), dont le but affiché est d’obtenir la démission d’Emmanuel Macron et une élection présidentielle anticipée.
"Les socialistes ont une stratégie de dissociation au sein de la gauche. Ils revendiquent d’être un parti de gouvernement et d’être raisonnables. C’est une façon pour Olivier Faure de se donner le beau rôle car avec une victoire sur les retraites, le PS aurait gagné en légitimité", analyse Pierre-Nicolas Baudot, chercheur au CNRS en sciences politiques et spécialiste de la gauche.
Olivier Faure n’a ainsi pas hésité à user d’éléments de langage déjà entendus dans la bouche de socialistes opposés depuis toujours à l’alliance avec LFI. "Il y a une gauche qui braille et une gauche qui travaille", a-t-il par exemple lancé mardi matin sur BFMTV, reprenant à son compte une formule de la présidente de la région Occitanie, Carole Delga.
Au-delà de l’affichage souhaité pour son parti, Olivier Faure a aussi en tête le futur congrès des socialistes qui doit avoir lieu avant l’été 2025. "Il a face à lui des opposants internes qui ne veulent pas entendre parler d’alliance avec LFI et qui lui reprochent d’être inféodé à Jean-Luc Mélenchon, souligne Pierre-Nicolas Baudot. En acceptant de dialoguer avec le gouvernement et en tentant d’arracher un accord de non-censure, il cherchait à dévitaliser cette critique. Et comme ce sont les adhérents qui votent lors du congrès et qu’ils ne sont que 20 000, sa démarche peut influer sur quelques centaines de voix et, au final, faire la différence pour se maintenir à la tête du parti."
D’où les signaux parfois contradictoires que semble envoyer Olivier Faure avec des prises de position allant tantôt dans le sens de l’union de la gauche et tantôt vers une rupture vis-à-vis de La France insoumise. "C’est toute la difficulté à laquelle il est confronté : il doit à court terme s’assurer du soutien des adhérents mais aussi ne pas perdre l’électorat de gauche au sens large, qui est davantage unioniste que les adhérents socialistes", ajoute le chercheur.
Malheureusement pour le premier secrétaire du Parti socialiste, ses efforts n’ont pas été récompensés par François Bayrou et sa stratégie lui revient aujourd’hui comme un boomerang. Alors qu’Olivier Faure souhaitait isoler LFI en embarquant le parti Les Écologistes (LE) et le Parti communiste (PCF) dans un accord de non-censure avec le gouvernement, c’est le PS qui apparaît désormais bien seul, au lendemain du discours du Premier ministre.
Mardi soir, écologistes et communistes ont en effet signé la motion de censure déposée par les insoumis, permettant à Jean-Luc Mélenchon d’écrire sur X : "Donc le groupe PS est le seul du NFP [Nouveau Front populaire, NDLR] à refuser de voter la censure ? Il faut que Faure sorte de cet isolement qui divise le NFP !" Et de prévenir devant des journalistes dans les couloirs de l’Assemblée nationale : "Tous ceux qui ne votent pas la censure sortent de l’accord du NFP donc on met des options sur leur circonscription !" – en clair, LFI menace de présenter des candidats insoumis face à eux lors des prochaines élections législatives.
Pire, la séquence a démontré que La France insoumise avait raison. "Comment peut-on être aussi naïf pour croire que François Bayrou va pouvoir présenter un budget dont les orientations seraient différentes de celles de M. Barnier alors que M. Bayrou a dit qu’il allait repartir du texte au Sénat ? (…) Il y a une forme de naïveté qui est totalement stupéfiante", a cinglé, mardi matin sur RTL, le coordinateur de LFI Manuel Bompard.
Puis, apprenant que le Premier ministre ne comptait pas accéder aux demandes de la gauche, et bien qu’ayant elle-même participé aux discussions avec le gouvernement, la secrétaire nationale du parti Les Écologistes, Marine Tondelier, a ironisé sur X : "François Bayrou refuse la suspension de la réforme des retraites. Qui aurait pu prédire ?" "LFI", lui a instantanément rétorqué le député insoumis Antoine Léaument.
Mercredi 15 janvier, François Bayrou a toutefois fait un pas vers le Parti socialiste. S’il y a des "progrès" entre partenaires sociaux sur la réforme des retraites mais pas d’"accord général", un texte sera tout de même soumis au Parlement, a-t-il promis lors de la séance de questions au gouvernement.
En attendant de savoir si cette avancée sera suffisante pour convaincre Olivier Faure de ne pas voter la censure, le centre de gravité au sein du Nouveau Front populaire, lui, est bien revenu du côté de La France insoumise.
"Les socialistes ne sortent pas grandis de cette séquence car elle a renforcé l’étiquette de traitres potentiels qui leur colle à la peau. Ils ont grillé une cartouche en se croyant peut-être un peu plus importants qu’ils ne le sont réellement", conclut Pierre-Nicolas Baudot.
Article de Romain BRUNET, France 24
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