Suicides des fonctionnaires : ces morts par épuisement ignorés par le Gouvernement et les médias

lundi 10 février 2025.
 

« Elle met des mots sur ce que l’on vit. Dans sa lettre, elle décrit notre quotidien. Ces tâches qui s’amoncellent, sans que jamais on ne nous en enlève. Ces réformes, qui s’accumulent, allant dans un sens puis dans l’autre ». Ce sont les mots du collègue de Christine Renon, directrice d’école qui, en 2019, mis fin à ses jours dans son école. « Elle voulait que ça se sache que son geste serve », témoignait-il. Cinq ans plus tard, rien n’a changé. Les fonctionnaires subissent le coup des réformes macronistes accompagnées du mépris permanent de l’Etat et de l’appareil médiatique.

Le 5 décembre dernier, ils ont manifesté partout en France contre le passage aux trois jours de carence. Une mesure suspendue grâce à la censure insoumise de Michel Barnier. Mais la non-censure du Gouvernement Bayrou par le RN et le PS aura eu un tout autre résultat : le Gouvernement a acté au Sénat la baisse de 10 % du niveau d’indemnisation des fonctionnaires en cas d’arrêt maladie de moins trois mois.

Le niveau de mépris de la fonction publique, pris pour cible, est l’enchainement de drames humains largement sous-estimé. Ce lundi, le député LFI Bastien Lachaud alerte sur 9 suicides et 3 tentatives de personnels de l’Éducation nationale dans l’Académie de Normandie. « Une série inquiétante qui devrait alerter partout et surtout au sommet de l’État », dénonce-t-il. Notre article.

Le suicide dans la fonction publique, anatomie d’une omerta

Le suicide dans la fonction publique est un phénomène largement méconnu du grand public, en partie parce qu’il est invisibilisé. Les chiffres exacts sont difficiles à obtenir, car l’État ne publie pas systématiquement des statistiques précises sur le sujet. Cette absence de transparence contraste pourtant avec le reste du secteur privé ou même de l’administration contractuelle où ces données sont disponibles, permettant une analyse plus fine. Le Gouvernement minimise ainsi un phénomène qui touche pourtant un grand nombre d’agents.

Néanmoins, les rares études menées montrent que les fonctionnaires sont plus exposés au suicide que la population active dans son ensemble. Selon une analyse conduite par l’ASD-Pro (Association d’aide aux victimes et aux organismes confrontés aux suicides et dépressions professionnelles) en 2019, des taux de suicide particulièrement élevés sont observés chez les enseignants, les forces de l’ordre et d’autres agents publics soumis à de fortes pressions professionnelles.

Alors comment et pourquoi ces victimes sont ainsi cachées ? L’une des méthodes principales d’invisibilisation réside dans le refus des institutions de lier directement ces suicides à des facteurs professionnels. Ces drames sont souvent interprétés comme des tragédies personnelles ou imputés à des problèmes familiaux ou psychologiques antérieurs. Cette approche, bien que parfois complémentaire, occulte les causes systémiques telles que les conditions de travail, le harcèlement institutionnel ou la surcharge mentale.

De plus, certaines institutions hésitent à reconnaître officiellement qu’un suicide est lié à des problèmes professionnels, de peur de voir leur image ternie ou d’être confrontées à des responsabilités légales. La règle d’or tacite est alors de tout faire pour ne pas attribuer cette mort au travail, quitte à contourner la jurisprudence en matière de présomption d’imputabilité.

C’est le cas de ce sapeur-pompier révélé par ASD-Pro, « qui s’est pendu à un arbre situé à la limite de la caserne (ils sont allés jusqu’à consulter le cadastre pour dire que ce n’était pas sur le lieu de travail) et de prétendre aussi que cela n’était pas en lien avec le service car il ne portait pas l’uniforme ! Où le cas de cet agent territorial qui s’est suicidé sur son lieu de travail, dans le bureau de son chef de service, à 7h30 alors qu’il prenait son travail à 8h, cela suffit à l’administration pour refuser la présomption d’imputabilité ».

Cette attitude freine la mise en place de politiques de prévention adaptées et laisse les familles des victimes dans un isolement moral et financier. Toujours dans l’enquête de l’ASD Pro, les témoignages de proches révèlent souvent un sentiment d’abandon, les enquêtes internes étant rares ou insuffisantes pour comprendre les véritables causes des drames.

Enfin, le silence médiatique contribue à renforcer cette invisibilisation. Les suicides des fonctionnaires ne font généralement pas les gros titres, sauf dans des cas particulièrement spectaculaires ou médiatisés.

Management toxique et logique de marché : comment l’État pousse à bout ses employés

Une logique managériale destructrice

Mais alors, qui sont ces soignants, enseignants, policiers, gardiens de prison ou employés de bureau qui, chaque jour, servent l’État ? Comment ces professions, souvent de vocation, ont elles été dégradées à un point tel qu’elles deviennent synonymes de souffrance au travail ? Une des racines du problème se trouve dans l’émergence d’une logique managériale directement inspirée du néolibéralisme.

Le New Public Management (NPM), né dans les années 1980 sous l’impulsion de Margaret Thatcher et Ronald Reagan, a peu à peu gagné du terrain en France. Cette doctrine applique aux services publics des principes issus du secteur privé : efficacité, efficience et économie. La mise en place de ces dogmes poussant à l’ultra-concurrence dans un secteur public qui n’a pas pour vocation la rentabilité, a conduit à une brutalisation des conditions de travail.

La performance est devenue une obsession, mesurée par des indicateurs quantitatifs déconnectés de la réalité des métiers. Les fonctionnaires sont soumis à une pression croissante pour atteindre des objectifs toujours plus ambitieux, avec des moyens souvent réduits. Ce contexte crée un cadre propice à un management toxique, où les employés sont perçus comme des chiffres plutôt que comme des humains.

Les témoignages abondent sur des cadres stressés, incapables de répondre aux attentes sans imposer des charges de travail insoutenables à leurs subordonnés. Dans certains cas, des pratiques de harcèlement institutionnalisé émergent, renforçant l’idée que le fonctionnaire doit constamment prouver sa légitimité.

La privatisation de France Telecom : un cas d’école

L’affaire des suicides à France Telecom est emblématique des conséquences de ces nouvelles logiques. Entre 2008 et 2009, l’entreprise, alors en pleine transformation post-privatisation, a vu une vague de suicides parmi ses employés. Au moins 35 personnes se sont données la mort, souvent en laissant des lettres accusant leurs conditions de travail. Les témoignages des familles et des collègues ont révélé des pratiques managériales déshumanisantes : harcèlement, pressions pour accepter des mutations, et objectifs intenables.

En 2019, les dirigeants de l’époque ont été condamnés pour « harcèlement moral institutionnel », un jugement historique qui a mis en lumière les mécanismes systémiques à l’origine de ces drames. Ce cas illustre parfaitement comment une logique de marché appliquée à un service public peut transformer un environnement de travail en véritable enfer. Loin d’être un épisode isolé, il résonne avec des situations vécues dans d’autres secteurs publics. Ce 21 janvier, la Cour de cassation a rejeté les deux pourvois de deux ex-dirigeants de France Telecom. Après 17 longues années, la justice a pleinement reconnu « harcèlement moral institutionnel ».

Une précarisation qui s’est accélérée sous Macron

Ces facteurs dévastateurs ne sont pas relégués au passé. Aujourd’hui encore, les fonctionnaires font face à des charges de travail accrues, à des effectifs insuffisants et à une pression hiérarchique constante. La police, par exemple, enregistre des taux de suicide alarmants. En 2024, 27 policiers et 26 gendarmes se sont suicidés, un chiffre qui illustre le mal-être profond régnant dans cette profession. À noter que LFI a été la seule formation politique à proposer une commission d’enquête sur les suicides dans la Police.

Dans l’éducation nationale, les enseignants se retrouvent confrontés à des classes surchargées, à un manque de reconnaissance et à une bureaucratie écrasante. Le suicide de Christine Renon en 2019, directrice d’école en Seine-Saint-Denis, a mis en évidence les souffrances du corps enseignant. Dans sa lettre, elle dénonçait les conditions de travail dégradées et le manque de soutien institutionnel, un cri d’alarme qui, malheureusement, n’a pas été suivi d’actions structurelles significatives.

Le sentiment d’abandon, combiné à des attentes irréalistes, pousse de nombreux fonctionnaires au bord du gouffre. Ceux qui survivent à cette pression se retrouvent souvent épuisés, avec un moral en berne et des pathologies liées au stress chronique.

Face à ce bilan alarmant, les fonctionnaires sont pourtant encore la première cible désignée du budget Bayrou pour faire des économies. Plutôt que de faire contribuer à un juste niveau les ultra-riches, Macron et sa clique continuent d’écraser des professions qui doivent constamment faire avec moins et dont le travail devient invivable.

Regarder ces morts en face et agir une bonne fois pour toutes

Le suicide des fonctionnaires est un drame invisible. Ces hommes et femmes, qui consacrent leur vie au bien commun, subissent des conditions de travail parfois inhumaines sans que la société n’y accorde l’attention qu’ils méritent. Les logiques managériales, le déni institutionnel et le tabou culturel entretiennent un cercle vicieux où la souffrance reste étouffée.

Aux antipodes du projet gouvernemental, LFI propose une batterie de mesures pour protéger le statut de la fonction publique et ses agents. Parmi les mesures insoumises : la revalorisation des grilles indiciaires, la titularisation des agents contractuels, un recrutement massif de fonctionnaires et le dégel du point d’indice pour rattraper la perte de pouvoir d’achat cumulée face à l’inflation galopante.

Par Emmanuel P


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