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Lorsqu’il a utilisé le 49.3 sur le budget de l’État lundi 3 février, [le premier ministre] François Bayrou a répété qu’« aucun pays ne pouvait vivre sans budget, et la France moins que tout autre ». Ce raisonnement est également invoqué par le groupe socialiste pour ne pas voter la censure. Il s’agit d’une incantation sans prise avec le réel : que ce gouvernement soit censuré ou non, il y aura un budget. L’alternative n’est pas le budget Bayrou ou pas de budget. C’est le budget Bayrou ou la reconduite du budget de 2024, le temps qu’il faudra. Ce ne serait alors pas celui voulu par le gouvernement, mais bien un budget.
Rappelons-nous : avant la censure du gouvernement Barnier, on nous annonçait que les cartes Vitale ne fonctionneraient plus et que les fonctionnaires ne seraient plus payés. Un mensonge proféré de façon consciente. Ses auteurs savaient bien que la loi organique, qui ne date pas d’hier, prévoyait la possibilité d’adopter une loi spéciale pour résoudre le problème. Maintenant, pour essayer d’éviter la censure au gouvernement Bayrou, on brandit d’autres formules creuses.
Il y a déjà un budget, prévu par la loi spéciale en vigueur depuis le 1er janvier 2025. L’Etat peut lever l’impôt, payer les fonctionnaires, subventionner et investir sur le modèle de ce qui a été fait en 2024. On voudrait nous expliquer qu’il est impossible de passer l’année sous le régime de la loi spéciale. Une fois encore, c’est faux. Cela garantirait même un meilleur budget que celui de François Bayrou, puisqu’on éviterait ses 9 milliards d’euros de coupes d’austérité.
On repartirait donc avec le même budget que 2024, qui avait bien permis au pays de fonctionner alors qu’il n’a pas été intégralement consommé par les différents gouvernements. Il y a 5 milliards d’euros qu’ils avaient choisi de ne pas dépenser et que nous pourrions utiliser en plus cette année. Enfin, si ce n’était pas suffisant, il reste toujours 12,5 milliards d’euros que le pouvoir a mis en réserve en 2024 et qu’il refuse de débloquer, une fois encore au nom de la loi spéciale. Je rappelle que l’Espagne, vantée pour ses performances économiques, fonctionne depuis trois ans avec le même cadre budgétaire, qui a été reconduit deux fois depuis 2023.
Le gouvernement applique la loi spéciale avec une rigueur intentionnelle, comme s’il cherchait à punir le pays d’avoir élu une Assemblée qui a voté la censure. Du sabotage budgétaire. Par circulaire, il n’a délibérément ouvert que 25 % des crédits, au prétexte de ne pas préempter les choix du Parlement. Alors qu’on pourrait, le temps d’aboutir à un budget acceptable et utile, tout à fait ouvrir 70 % des crédits de l’année pour que le pays fonctionne normalement, sans pour autant déroger à la souveraineté du Parlement.
De même, il a sciemment bloqué par arrêté le paiement des subventions et l’engagement d’investissements. Deux artifices destinés à faire pression et prendre de l’avance, en imposant l’austérité avant même qu’un budget soit voté. Il est juridiquement tout à fait possible d’ouvrir l’ensemble des crédits. Rien n’oblige par exemple à bloquer les Pass culture ou à geler le dispositif du service civique.
Si la loi spéciale n’indexe pas sur l’inflation le barème de l’impôt sur le revenu, une solution rapide et facile existe : une loi portant diverses dispositions d’ordre financier. Comme le rapporteur général du budget, Charles de Courson, et moi-même l’avons signalé au premier ministre, par courrier dès le 14 décembre 2024, cette loi permettrait d’indexer sur l’inflation le barème de l’impôt sur le revenu et de garantir certains dispositifs (crédits d’impôts, prêts à taux zéro, mesures pour les agriculteurs).
Elle bénéficierait à n’en pas douter d’un soutien transpartisan et permettrait de résoudre rapidement ces difficultés qui n’existent que parce que le gouvernement choisit d’installer un climat anxiogène.
« Une situation désastreuse pour la France et chacun d’entre nous » : faux Après sept mois de désordre causé par la dissolution de l’Assemblée nationale, les titres de dette français sont toujours attractifs : lors de la dernière émission d’obligations en janvier 2025, la demande des investisseurs était deux à trois fois supérieure à l’offre de dette française pour toutes les catégories de titres. La structure de détention de la dette publique française est un facteur positif : la présence d’investisseurs nationaux permet d’absorber une éventuelle sortie de certains investisseurs internationaux.
Enfin, une crise financière, s’il faut l’apprendre au gouvernement, c’est quand la situation est grave. En 2012, la Grèce atteignait un écart de 30 points de pourcentage avec l’Allemagne. Au 31 janvier 2025, la France est à 0,74 point de pourcentage. Aucun désastre, donc. En revanche, ceux qui clament que le pays est instable et qu’une crise se profile prennent le risque de la prophétie autoréalisatrice.
Je rappelle par ailleurs que la première censure n’a pas coûté « 12 milliards d’euros » et qu’il en ira de même pour celle-ci, si elle est votée. La ministre des comptes publics [Amélie de Montchalin] admet elle-même compter, dans ces 12 milliards d’euros, 6 milliards dus à une perte de croissance et 6 autres milliards à diverses mesures d’économies qui auraient été évitées.
C’est tout à fait fictif, voire malhonnête : l’Observatoire français des conjonctures économiques lui-même calcule que le budget Barnier, empêché par la première censure, aurait coûté 24 milliards d’euros de croissance en moins, à cause de son effet récessif. La menace pour la croissance, c’est l’austérité, pas la censure qui cherche à l’éviter ! La menace pour la croissance, c’est l’échec de la politique économique menée depuis 2017, qui relance le chômage et la désindustrialisation et prive l’Etat de 60 milliards d’euros de recettes fiscales, pas la proposition d’une alternative à cette incurie.
Le début du désastre, ce serait l’écroulement organisé de tous les budgets des services publics. La loi spéciale permet d’éviter cela. J’entends dire qu’un pays « comme le nôtre » doit voter un nouveau budget. Or, qu’est-ce qu’un pays comme le nôtre, si ce n’est une démocratie qui fonctionne ? Une démocratie où le Parlement, dont la fonction première est de consentir au budget, exerce son droit ?
La solution à ce blocage, c’est d’attendre qu’un autre gouvernement, en phase avec le vote des citoyens en juillet 2024, propose un budget qui réponde aux besoins des Français. En attendant, que chaque opposant censure sereinement. Toutes ces contre-vérités ne valent pas de trahir ses engagements devant les électeurs.
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