Le juge saisi des viols à Bétharram : « En 1998, j’ai confirmé à François Bayrou que les faits étaient patents et établis »

jeudi 6 mars 2025.
 

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En l’espace de vingt-quatre heures, le premier ministre a juré deux fois devant la représentation nationale qu’il ne savait rien des accusations qui pesaient sur Notre-Dame-de-Bétharram. Ni hier, ni aujourd’hui. « J’affirme que je n’ai jamais été informé de quoi que ce soit de violences ou de violences a fortiori sexuelles. Jamais », a déclaré François Bayrou à l’Assemblée mardi 11 février. « Jamais, je n’ai été, à cette époque, averti en quoi que ce soit des faits qui ont donné lieu à des plaintes ou des signalements », a-t-il répété mercredi 12.

Sans jamais employer le terme de « victimes », le maire de Pau, ancien député UDF des Pyrénées-Atlantiques et président du conseil général du département, s’est contenté de fustiger des « polémiques artificielles sur ce sujet ». Le « sujet » en question étant celui d’un établissement catholique privé sous contrat visé par au moins 112 plaintes pour des violences physiques et pédocriminelles sur des dizaines et des dizaines d’enfants pendant près de soixante ans.

Lors de ses deux prises de parole, François Bayrou a balayé les témoignages et les documents révélés par Mediapart, mais a aussi passé sous silence une rencontre : celle qu’il a eue en 1998 avec le juge qui enquêtait sur le père Carricart, le directeur de l’institution, accusé d’avoir violé deux élèves.

Interrogé par Mediapart ce mercredi, Christian Mirande, juge d’instruction au tribunal de Pau, est l’un des rares à avoir cru des victimes à l’époque, et ose même employer le terme. Ce magistrat, aujourd’hui à la retraite, ne comprend pas les dénégations du premier ministre et maintient avec force avoir informé François Bayrou à l’occasion d’une rencontre que l’élu centriste avait lui-même sollicitée. Il est catégorique : le premier ministre ne découvre rien des graves « soupçons » et « affirmations » qui pesaient, à l’époque déjà, sur ce pensionnat situé à 30 km de Pau.

La presse locale et nationale avait largement documenté ce scandale sexuel entre 1998 et 2000, que François Bayrou ne pouvait donc ignorer. Il était même venu voir le juge de manière totalement informelle, au cours d’une enquête pourtant couverte par le secret. D’après le magistrat, sa démarche n’était pas motivée par une inquiétude quant à la situation de tous les élèves scolarisés à cette époque ou par le passé – sujet dont François Bayrou aurait alors pu s’emparer politiquement pour faire changer les choses –, mais comme un « parent d’élève » inquiet car « son fils était élève dans cet établissement ».

Mediapart : Confirmez-vous avoir rencontré François Bayrou lorsque vous étiez saisi d’une enquête pour viols sur mineurs, à la fin des années 1990 ?

Christian Mirande : Oui, c’était après l’ouverture de l’information judiciaire. François Bayrou était inquiet de cette situation, sachant que les médias locaux ne s’étaient pas privés de donner des informations et notamment une certaine multiplicité des victimes, à l’époque des faits dont j’ai été saisi. J’avais placé le père Carricart en détention après une plainte pour viol sur mineurs. Il avait été libéré et s’est suicidé alors que je venais de le convoquer après une deuxième plainte pour viol.

Que savait François Bayrou lorsqu’il a demandé à vous rencontrer ?

Les informations que François Bayrou avait sur cette affaire, c’était celles qui étaient parues dans toute la presse locale et dans certains médias nationaux. Dans le microcosme local, tout le monde en parlait. Il s’agissait alors officiellement de deux viols sur mineurs. Sa démarche ne m’avait pas paru anormale, puisque je me souviens qu’il m’avait parlé de son fils qui était élève, et qu’il était inquiet de savoir ce qui se passait à Notre-Dame-de-Bétharram. En revanche, j’ignorais à l’époque que la femme de François Bayrou enseignait le catéchisme dans cet établissement et qu’elle s’était rendue aux obsèques du mis en cause après son suicide.

Quel était l’objet de votre discussion ?

Nous avions parlé du père Carricart. Je me souviens que François Bayrou n’arrivait pas à croire qu’il ait pu faire cela. Il n’y avait pas d’autres extrapolations. Il voulait sans doute avoir une confirmation plus ferme après avoir vu ce que les médias rapportaient. C’est ce que je lui ai donné. Comme il n’arrivait pas à y croire, je lui avais confirmé que les faits étaient patents et qu’ils étaient établis.

Pourquoi François Bayrou a contesté dans la presse vous avoir rencontré ?

Je suis surpris et je ne comprends pas. D’autant qu’à l’époque, je n’étais pas rentré dans le secret de l’instruction. A-t-il oublié notre rencontre ou ment-il ? Seul lui peut le dire.

Comment comprenez-vous les dénégations que le premier ministre a livrées à deux reprises à l’Assemblée nationale ?

Je n’ai pas d’opinion là-dessus, mais personne n’ignorait les faits dont j’étais saisi. L’ouverture de l’information judiciaire n’avait rien caché des faits et les médias s’étaient jetés dessus. Les renseignements fuitaient de tous les côtés, à la fois des enquêteurs et peut-être même des avocats. François Bayrou était absolument inquiet concernant son fils qui était élève.

J’imagine que c’est un système de défense. Il a sans doute peur d’avoir couvert l’institution dans ses méfaits. Comme il a été évoqué d’autres témoignages depuis, notamment d’une enseignante qui dit l’avoir alerté.

François Bayrou, en tant qu’élu local, président du conseil général des Pyrénées-Atlantiques, était-il inquiet pour les autres élèves de Notre-Dame-de-Bétharram ?

Non, sa démarche était de venir me voir pour me dire qu’il était inquiet car son fils était élève dans cet établissement, pour savoir s’il y avait des risques. Il venait comme parent d’élève.

Cette enquête mettant en cause le directeur de Notre-Dame-de-Bétharram vous semblait-elle solide à l’époque ?

Si j’avais décidé le placement en détention du père Carricart, c’est que ce dossier était solide. Je ne me suis pas posé la question, au regard des faits qui avaient été déjà rassemblés par la section de recherches de la gendarmerie de Pau et de la procédure. J’avais auditionné de nombreuses personnes, le personnel de l’établissement, des élèves et les familles des plaignants. Le père Carricart avait été remis en liberté, mais lorsque j’ai instruit une seconde plainte, j’avais même dit à l’avocat du religieux qu’il n’échapperait pas à la détention cette seconde fois. Lorsque je l’ai de nouveau convoqué, son avocat en a certainement parlé à son client, et celui-ci s’est suicidé en se jetant dans le Tibre.

J’ai d’ailleurs appris fortuitement, par la suite, un troisième témoignage, lors d’une conversation avec ma libraire. Elle m’avait dit qu’elle était amie avec une femme de ménage de Notre-Dame-de-Bétharram et m’avait parlé des sévices sexuels que son fils aurait subis de la part du même père Carricart. Elle m’avait dit que cette mère n’osait pas en parler car elle craignait d’être licenciée de l’institution.

Aviez-vous ressenti des pressions à l’époque ?

Pas de François Bayrou. Le dossier, lui, était très suivi et d’ailleurs je n’ai pas compris à l’époque pourquoi la chambre de l’accusation avait décidé la remise en liberté du père Carricart. Je n’avais pas compris cette décision. Au regard des faits, dans des affaires similaires, on était loin de remettre en liberté quelqu’un accusé de tels faits. Il a pu être exfiltré par l’Église sans doute grâce aux relations qu’il avait. Au Vatican, il représentait d’ailleurs la congrégation des pères de Bétharram, il était proche du Saint-Père.

Il y a désormais 112 plaintes. Êtes-vous étonné par l’ampleur de ce scandale aujourd’hui ?

Je ne suis qu’à moitié surpris, au regard de ce que j’ai connu et de ce que m’avait révélé la mère de la première victime notamment. Son fils avait été victime d’un viol. Les circonstances étaient assez dégueulasses puisque ce garçon venait de perdre son père. Le matin du viol, le père Carricart avait réveillé l’élève pour lui annoncer ce décès et lui avait dit qu’il devait se rendre aux obsèques à Bordeaux. Avant de partir prendre le train, le religieux lui a fait prendre une douche et lui a imposé une fellation alors que l’enfant était complètement sonné par l’annonce de la mort de son père.

La deuxième plainte concernait un garçon marginalisé avec une famille déchirée. Pour lui éviter soi-disant des problèmes familiaux, le père Carricart le prenait toujours avec lui pour les camps de vacances, à Noël et à Pâques. Et il procédait sur lui à tout ce qu’on a découvert, des viols. Aujourd’hui, on est à plus de cent plaintes. Je ne suis qu’à moitié surpris compte tenu des mœurs découvertes à l’époque, avec le père Carricart et les sévices physiques qui pouvaient exister.

David Perrotin et Antton Rouget


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