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L’ancien élève qui a eu le tympan perforé alors qu’il avait 14 ans s’exprime pour la première fois. Il souhaite « faire péter la prescription » et dénonce l’attitude de tous les responsables qui ont « couvert » cet établissement et ses méthodes.
David Perrotin et Antton Rouget
https://www.mediapart.fr/journal/fr...[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20250307-195715&M_BT=1489664863989
Marc Lacoste, 43 ans, a été l’un des premiers à dénoncer les violences qu’il subissait à Notre-Dame-de-Bétharram. Avec un père artisan et une mère comptable, ce pensionnaire originaire de la banlieue de Pau a d’abord subi les coups, les humiliations et la douleur en silence. En janvier 1995, Marie-Paul de Behr, le surveillant général de l’établissement, l’a violemment frappé au visage et lui a perforé le tympan. Personne n’a réagi.
En décembre 1995, à 14 ans, il a été contraint de rester dans le froid plus d’une heure, à moitié nu, avant d’appeler à l’aide ses parents et d’être hospitalisé. La « punition du perron » est celle de trop. Son père, Jean-François, dépose plainte et alerte la presse. Françoise Gullung, une enseignante de mathématiques, alerte aussi François Bayrou, alors ministre de l’éducation nationale. Plusieurs parents signalent à la justice et à la presse le climat de violence inouï qui existe au sein de cet établissement privé sous contrat.
Ministre et président du conseil général, administration chargée de la protection de l’enfance, François Bayrou préfère, comme l’ont montré des archives, défendre l’établissement et ne pas protéger les enfants. Sa femme y enseignait et son fils y était scolarisé.
Le père de Marc est alors l’un des premiers à briser la mécanique du silence et à faire condamner le surveillant général. Face aux mensonges actuels du premier ministre, Jean-François persiste : « Aujourd’hui, François Bayrou doit s’expliquer et arrêter de se réfugier derrière son amnésie. Quand on est aux responsabilités, on s’explique, on assume et on ne profite pas de son pouvoir pour continuer à tout étouffer. »
Marc Lacoste, en revanche, préfère laisser ce combat à son père et se tourne désormais vers la justice. « Il faut faire péter la prescription », implore-t-il. Tant pis pour ceux, comme le premier ministre, qui mentent et font mine de tout découvrir aujourd’hui. « Si les gens qui savaient tout ça et qui n’ont pas réagi le vivent bien comme ça, tant mieux pour eux, lâche-t-il. Moi je le vivrais très mal à leur place. »
Mediapart : Quels souvenirs gardez-vous de votre scolarité à Notre-Dame-de-Bétharram ?
Marc Lacoste : Je n’ai pas beaucoup de bons souvenirs. Mes parents m’y avaient mis pour avoir de meilleurs résultats scolaires. Je me souviens de la boule au ventre de stress que j’avais dans ce milieu fermé, cloisonné. C’était du dressage, on était soumis, c’était un endroit triste, religieux. En tant qu’enfant, on ne pouvait pas s’épanouir. Les punitions étaient fréquentes, les adultes et les surveillants nous frappaient tous les jours.
Des coups de règle en bois, des gifles, des tartes. Ils tapaient avec la paume des mains et avaient la main très lourde. Si on s’amusait, on se faisait amender. Le bétail était mieux traité que nous à Notre-Dame-de-Bétharram.
On avait seulement deux douches par semaine, trois toilettes turques pour cinquante élèves, et il fallait qu’on amène notre petit-déjeuner car ils nous servaient seulement du pain et du lait le matin. On n’était pas à l’âge de pierre, et pourtant c’était de la torture. Et lorsqu’il y avait des bagarres entre élèves, et il y en avait souvent, les adultes laissaient faire. La violence était partout et entraînait la violence.
En 1995, les coups vous laissent des séquelles à vie…
On était au réfectoire et un verre est tombé sans que j’en sois le responsable. Lorsque le surveillant a dit que la punition passait de deux à cinq francs, j’ai dit que c’était cher pour mes parents, et j’ai pris un coup qui m’a perforé le tympan. Ils ne se sont pas occupés de moi et m’ont laissé seul à l’infirmerie.
Il a fallu que je contacte ma mère le lendemain pour qu’elle me récupère et que j’aille à l’hôpital. J’ai eu un traitement pendant plusieurs jours et j’ai dû rester sous perfusion avant de revenir à Bétharram. Pas une seule fois le surveillant ou l’école ne se sont excusés.
Près d’un an plus tard, vous dénoncez de nouveau des violences. Qu’est-ce qui vous avait donné le courage de parler ?
J’avais eu une vertèbre cassée par les coups d’un élève, puis j’avais subi à plusieurs reprises la punition du perron, mais en décembre 1995, une goutte a fait déborder le vase. J’avais été puni et un surveillant m’avait envoyé en slip au perron alors qu’il neigeait. Après une heure, lorsque je suis remonté pour me rhabiller, le surveillant m’a ramené au perron et m’a frappé en me faisant tomber sur le sol gelé. En larmes, j’ai demandé à un camarade s’il pouvait me prêter une carte téléphonique et j’ai pu alerter mon père.
Et là c’est le début du combat judiciaire de votre père ?
Oui, il a porté plainte et prévenu la presse, mais ça a été dur pour moi car la médiatisation de l’époque n’a pas été simple à gérer. Il ne s’est pas passé grand-chose. Le surveillant a été condamné à une amende avec sursis et est resté défendu par l’établissement. Il est même devenu chef d’établissement adjoint jusqu’aux années 2000.
À l’époque, un inspecteur s’était déplacé à Bétharram après la plainte de votre père. Il avait reconnu les violences dont vous avez été victime mais conclu que l’établissement n’était pas brutal pour les élèves. Aujourd’hui, l’inspecteur reconnaît que son travail n’était ni fait ni à faire. Et vous ?
Cet inspecteur n’a pas passé une semaine dans l’établissement mais une simple demi-journée. Je n’ai même pas souvenir qu’il m’ait entendu. Dans tous les cas, on voit bien qu’il fallait qu’il rédige un rapport rapidement. Le surveillant aurait dû être viré, mais il ne l’a pas été. Le directeur, le père Landel, aurait dû être rayé des ordres, mais il ne l’a pas été.
Dans le même temps, tout l’établissement soutenait le surveillant général…
Tout le monde s’en foutait à l’époque, mais ce n’est pas normal.
Avez-vous souvenir de Calixte Bayrou, le fils du ministre de l’éducation nationale de l’époque ?
Oui, j’étais avec lui à Notre-Dame-de-Bétharram et je crois même qu’il était juste devant moi en classe, mais il était externe et pas pensionnaire. Ce n’était pas pareil pour eux. Le corps encadrant était dur avec eux mais ils repartaient le soir. En revanche, j’aimerais bien que les externes témoignent et disent les souvenirs qu’ils avaient, qu’ils disent comment les internes étaient traités. Ils n’ignoraient rien puisqu’on parlait de toute cette violence avec eux.
Malgré les nombreux témoignages, documents et archives, François Bayrou persiste à dire qu’il ignorait tout des violences physiques et sexuelles. Qu’en pensez-vous ?
Je ne veux pas parler de politique aujourd’hui. Si François Bayrou a tout nié à l’époque, il ne peut plus rien nier aujourd’hui. Dans ses fonctions de maire de Pau et de premier ministre, ce n’est plus possible.
Mais François Bayrou continue à dire qu’il ne savait rien…
Alors j’aimerais bien que les médias lui posent encore la question. Je ne suis pas là pour porter un jugement sur lui, depuis plusieurs années je suis devenu apolitique. François Bayrou aurait pu dire qu’il avait nié à l’époque et se rattraper aujourd’hui. Ils savent utiliser le 49-3 pour plein de choses, pourquoi ne fait-il pas péter la prescription aujourd’hui ? Si Monsieur Bayrou apprenait trente ou quarante ans après que son fils avait été violé à Bétharram mais que les faits étaient prescrits, comment réagirait-il ? En étant premier ministre et maire de Pau, comment réagirait-il ?
François Bayrou a affirmé avoir simplement eu vent de « quelques claques », disant ignorer tout le reste. Est-ce crédible ?
Que répondre ? Ce n’est pas vrai. Bétharram avait une réputation assumée. C’était maladif, on mettait les gamins dedans pour les corriger. C’était strict, c’était comme ça, il fallait rentrer dans le rang. Je ne suis pas là pour dire ce que savait François Bayrou, mais aujourd’hui, il devrait faire avancer le dossier.
Il faut que les politiques arrêtent de se penser intouchables et qu’ils fassent avancer les choses. Ils ont leur part de responsabilité, qu’ils le nient ou pas. Chacun en son âme et conscience. Si les gens qui savaient tout ça et qui n’ont pas réagi le vivent bien comme ça, tant mieux pour eux. Moi je le vivrais très mal à leur place.
Auprès de France 3, certains élèves accusent Élisabeth Bayrou d’avoir couvert les violences au sein de Bétharram. Françoise Gullung dit la même chose à Mediapart. Les enseignants avaient-ils tous connaissance des maltraitances infligées aux élèves ?
Bien sûr qu’ils savaient tous. Je ne comprends pas qu’il n’y ait pas eu, dans tout le corps enseignant et encadrant de l’époque, une personne normalement constituée d’esprit (à l’exception de Françoise Gullung) qui refuse cette violence. Les enseignants voyaient tout sans réagir. Nous n’étions pourtant pas au siècle dernier ou lors de la Première Guerre. La loi punissait déjà tout ça. Et ces méthodes n’étaient pas acceptables. Françoise Gullung et mon père étaient seuls à parler, alors quel poids pouvaient-ils avoir ?
Françoise Gullung estime que « si François Bayrou avait agi, il y a trente ans de souffrance qui n’auraient pas eu lieu ». Qu’en pensez-vous ?
Après ses alertes, il aurait fallu arrêter tout ça. Ce n’est pas normal que cela ait pu durer. Il y avait des gens qui couvraient Bétharram derrière. Ce n’est pas possible, par exemple, qu’on laisse le surveillant, condamné, qui m’a blessé, devenir chef d’établissement adjoint. Le directeur, le père Landel, est lui aussi resté à la tête de cet établissement.
Beaucoup aujourd’hui se réfugient derrière le silence. Au Salon de l’agriculture, François Bayrou a fait évincer un journaliste qui l’avait questionné sur Bétharram, et l’ancien directeur, le père Vincent Landel, ne s’exprime toujours pas…
Vous connaissez le dicton : le silence est le plus grand des mépris. Le père Landel peut en faire des chapelets, mais il ne passera pas le purgatoire.
Je veux que tous ces bourreaux prennent une sanction très lourde.
Quelles séquelles vous reste-t-il ?
J’ai perdu une partie de l’audition et j’ai un acouphène très aigu en permanence. Je me réveille avec Le Sanglier [le surnom du surveillant général Marie-Paul de Behr – ndlr] et je me couche avec Le Sanglier, il accompagne toutes mes journées. Mes séquelles sont importantes mais je tente de m’adapter. Un chien à trois pattes arrive quand même à courir. Et je ne suis pas le seul, plusieurs élèves ont eu le tympan perforé [au moins quatre en 1996, selon le décompte de Mediapart – ndlr].
Vous aviez toujours refusé de parler jusqu’à présent. Pourquoi sortez-vous du silence ?
J’ai fini par rejoindre le collectif des victimes de Bétharram initié par Alain Esquerre car j’ai été empoigné par tous les témoignages sur ce qui se passait dans cet établissement. J’ai échangé avec un ancien élève qui a subi des viols. Je ne suis qu’un petit grain de sable dans cette histoire, malgré le fait que cela m’ait coûté un tympan, mais j’estime qu’on ne peut pas en rester là.
Même si mon père avait porté plainte à l’époque, l’affaire n’est pas close selon moi. Aujourd’hui, je prends mon destin en main et j’ajoute ma voix à celles qui sont dans le collectif pour leur apporter mon soutien. Tout refait surface et on est tous anéantis. J’espère que d’autres oseront se manifester parce qu’il y a encore des camarades qui n’osent pas parler et c’est très difficile.
Avez-vous échangé par la suite avec le surveillant général Marie-Paul de Behr ?
Je l’ai croisé par hasard il y a quelques années. Je lui ai dit de bien me regarder dans les yeux pour qu’il se rappelle ce qu’il m’a fait. Quand j’ai vu qu’il s’en souvenait et qu’il avait compris, je lui ai dit que j’allais lui rendre la pareille. Il m’a répondu de faire ce que j’avais à faire. Je suis plus intelligent que ça, alors je lui ai tourné le dos et je suis parti avec un goût amer mais sans garder ce sentiment de vengeance.
Reprochez-vous à vos parents de vous avoir laissé dans cet établissement ?
Au fond de moi un peu, mais c’est comme ça. Ils restent mes parents. Cela m’a fait du tort car je suis désormais quelqu’un de plus dur dans la vie, plus méfiant, plus vigilant. Bétharram, c’est proche de l’incarcération. Il n’y a aucun mot positif pour décrire cet endroit. Il n’y avait pas d’humanité là-bas.
Qu’attendez-vous aujourd’hui ?
Je veux que cette prescription saute car un enfant n’est pas préparé à ça et ne peut pas forcément parler lorsqu’il subit tout ça. Il faut pouvoir réparer les choses, même trente ans après. Il faut compter les plaintes mais aussi les lire et voir toutes ces histoires. Personne ne peut rester insensible à ça, ce n’est pas possible. Je demande que la justice soit rendue. Il faut une réparation et pas seulement l’argent de la congrégation de Bétharram. Je veux que tous ces bourreaux prennent une sanction très lourde.
David Perrotin et Antton Rouget
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