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par Damien Girard, député EELV
Hier soir, j’étais à la remise des prix du Trombinoscope. Marine Tondelier nous avait informés qu’elle y recevrait une distinction, alors j’y suis allé, sans trop savoir à quoi m’attendre.
Plongée immédiate dans un entre-soi politico-médiatique déconnecté, celui qui donne des leçons sur les plateaux télé et dans les éditos des grands journaux. Jury composé de journalistes et chroniqueurs en vue. Discours qui se veulent érudits, enlevés, mais qui ne sont souvent que des figures de style creuses.
La brosse à reluire est de sortie pour les personnalités de droite et d’extrême droite, dont la frontière devient chaque jour plus floue. La salle applaudit sans sourciller quand Jean-Philippe Tanguy, député RN et "député de l’année", conclut son discours en annonçant l’arrivée prochaine de Marine Le Pen à l’Élysée. Silence gêné chez les quelques présents de gauche, mais aucun sursaut dans cette assemblée de 400 décideurs. Tout semble normal.
Et pourtant, ce même Jean-Philippe Tanguy s’était présenté quelques minutes plus tôt comme un "antisystème". Lui, ovationné par une salle remplie de ceux qui façonnent et verrouillent ce système. Lui, récompensé par une élite politico-médiatique qui, loin de le contester, l’adoube, le valide, le valorise. Il n’y avait pas plus au cœur du système que ce moment, et pourtant, il continuait à vendre son imposture d’homme du peuple en lutte contre les élites, sous les applaudissements de ces mêmes élites.
À l’inverse, pour les élus progressistes, c’est le traitement de défaveur : Raphaël Glucksmann, "européen de l’année", est accueilli par un discours à charge, visant à le décrédibiliser. Marine Tondelier, "révélation politique", a droit à des banalités sexistes sur son prénom et sa veste verte. Mais elle en profite pour dire quelques vérités, notamment sur la manière dont ces élites médiatiques légitiment tranquillement l’extrême droite.
Et Retailleau ? Lui a eu droit à un véritable panégyrique.
Un vertige et une colère me sont montés. Ces gens qui nous traitent de "bobos déconnectés" sont en fait les vrais privilégiés d’un système dont ils ne perçoivent même plus les dérives. Ils pérorent, jouent avec les mots, s’amusent de la politique comme d’un jeu intellectuel.
À ce moment, me sont revenus les mots d’Édouard Louis dans Qui a tué mon père :
"Les dominants peuvent se plaindre d’un gouvernement de gauche, ils peuvent se plaindre d’un gouvernement de droite, mais un gouvernement ne leur pose jamais de problèmes de digestion, un gouvernement ne leur broie jamais le dos, un gouvernement ne les pousse jamais vers la mer. La politique ne change pas leur vie, ou si peu. Ça aussi c’est étrange : c’est eux qui la font, la politique, alors que la politique n’a presque aucun effet sur leur vie. Pour les dominants, le plus souvent, la politique est une question esthétique : une manière de se penser, une manière de voir le monde."
Pendant ce temps, l’extrême droite est aux portes du pouvoir en France et en Europe. Aux États-Unis, Trump promet d’intensifier l’exploitation des énergies fossiles, de démanteler les protections environnementales et de se retirer définitivement des accords internationaux sur le climat. Il annonce aussi vouloir "laisser l’OTAN se débrouiller seule", offrant un boulevard à Poutine et fragilisant les équilibres mondiaux.
De son côté, Elon Musk, après avoir transformé Twitter en outil de désinformation et de harcèlement, joue les faiseurs de rois, flirte avec l’extrême droite et normalise les discours les plus réactionnaires. Et ici, dans ces salons feutrés, on fait des bons mots pour prouver qu’on a de l’esprit.
Et c’est moi qu’on traite de bobo ?
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