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L’une des dernières lubies d’Elon Musk et de l’Administration Trump est de liquider l’Agence des États-Unis pour le développement international, appelée USAID en anglais. Cette attaque se place dans une logique de traque des dépenses publiques, mais aussi plus largement à la mise au pas de l’administration toute entière
Symboliquement, il s’agit d’un renoncement à l’altruisme et à la charité pour la première puissance de l’ouest. Un renoncement à une culture d’assistance qui doit inquiéter, sans oublier les nombreuses dérives dont elle fut l’objet, un synonyme d’égoïsme politique et de repli sur elle-même de l’Amérique, à un moment où sa puissance vacille face à celle de la Chine en pleine ascension. Notre article.
Il s’agit d’une agence indépendante fondée en 1961 sous John Fitzgerald Kennedy, dans la lignée du Plan Marshall. Ses objectifs : réduire la pauvreté, promouvoir la démocratie et favoriser la croissance économique, soulager les victimes des catastrophes naturelles et prévenir les conflits. L’USAID agit comme une vitrine de la puissance de l’Amérique contre sa rivale d’alors, l’Union Soviétique.
Son budget dépasse les 40 milliards de dollars en 2024, suite à une rapide augmentation depuis les années 90, période à partir de laquelle les États-Unis se veulent seul gendarme du monde, dans un contexte de fin de la Guerre Froide et de l’effondrement de l’URSS. L’USAID représente un panel de programmes présents dans 150 pays différents, majoritairement en Afrique, Asie du Sud-Est et Amérique du Sud. Pour résumer simplement, l’agence donne des fonds à la plupart des nations qui ne font pas partie du nord géopolitique. L’USAID compte pour plus de 40 % de l’aide humanitaire mondiale.
Il s’agit ni plus ni moins que d’un pilier du soft power à l’américaine, mais aussi d’un certain « secret power ». Il faut savoir que l’USAID a parfois servi de couverture pour des opérations de déstabilisation de gouvernements d’abord communistes pendant la Guerre Froide, à l’exemple du Vietnam, puis des pays socialistes sud-américains (Venezuela, Cuba, Bolivie), dans les années 2000 et 2010. La CIA a joué un rôle dans l’arrière-cour pendant des décennies, fait déjà attesté en 1975 par le rapport du sénateur démocrate Frank Church, lequel mettait en évidence des dérapages et des tentatives d’instrumentalisation des ONG à travers le monde.
L’USAID a été expulsé pour ces raisons de plusieurs pays ennemis des États-Unis, comme la Bolivie en 2006, puis la Russie en 2012. Wikileaks rapporte un projet de coup d’État fomenté contre Hugo Chavez en 2002 via USAID. À cette époque, nous nous trouvions alors en pleine ère Bush, particulièrement agressive sur le plan politique à l’international.
Ce serait toutefois une grave erreur de remettre en cause l’aide humanitaire des Etats-Unis ou de se réjouir de la disparition de l’USAID. Il nous faut voir au-delà de ses erreurs historiques, et logiques lorsque l’on connaît de l’impérialisme américain, qui cherche des occasions de nuire à d’autres pays même au travers des causes les plus nobles. Il ne faut pas oublier qu’une grande quantité d’ONG dépendent des fonds de l’agence, pour lutter notamment contre la malnutrition infantile au Congo, l’un des plus gros dossiers actuels.
Amnesty International estime que les droits de millions de personnes dans le monde sont menacés par la décision de l’Administration Trump. Alima, ONG basée à Dakar, annonce que sans financements, 40 000 personnes perdront l’accès aux soins en l’espace de 90 jours. Ceci n’est qu’un aperçu du coup de tonnerre que provoquerait la disparition de l’USAID.
Mais celle-ci sera t-elle totale, ou bien seulement en tant que qu’entité indépendante ? Selon les dernières nouvelles, l’USAID sera probablement rattachée au Département d’État américain. Cela signifie donc une plus grande mainmise sur les missions humanitaires, et un choix encore plus politisé parmi les pays à soutenir en premier. En attendant, la décision provoque le chômage de masse des fonctionnaires de l’Agence, qui sont tout de même au nombre de 10 000.
La fin de l’agence ne signifie en revanche pas celle de l’aide à Israël, pays qui commet actuellement un génocide à Gaza. Dans sa solidarité avec le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, l’Administration Trump a évoqué l’objectif désormais avoué de vider Gaza de sa population.
Pour aller plus loin : « Contrôle » de Gaza, « Côte d’Azur du Moyen-Orient » : Trump veut achever le génocide commencé par Netanyahu
S’il y a fin de l’aide humanitaire, c’est-à-dire au développement mondial et à la résolution des conflits, alors il y aura davantage de migrants, notamment vers les États-Unis. Est-ce pour cela que Donald Trump a déjà envoyé 1 500 militaires supplémentaires à la frontière mexicaine ? Le renoncement à l’aide internationale alimente le soi-disant problème à régler de l’immigration, aussi bien en Amérique qu’en Europe.
Il ne faut pas oublier que l’extrême droite américaine cherche à provoquer un état de sidération. Il peut s’agir d’un pur effet d’annonce visant à déstabiliser les consciences. Seul l’avenir dira exactement ce qu’il adviendra du budget de l’USAID et à quoi il sera réellement attribué. L’Amérique de Trump a terriblement peur de l’émergence d’une puissance extérieure capable de lui résister. Et cette menace, selon le nouveau directeur de la CIA, n’est autre que la Chine. Jean-Luc Mélenchon, dans l’une de ses dernières notes de blog, rappelle que l’Empire du Milieu a déjà dépassé l’Amérique en terme de PIB depuis 2016, et l’écart est amené à grandir toujours plus.
Selon Thomas Piketty, le PIB chinois sera le double de celui des États-Unis d’ici seulement 2035. L’Amérique ne peut plus régner comme par le passé, dans les années 1990 par exemple. Elle sera aussi condamnée à être dépassée à terme par l’Inde et ses 1,2 milliard d’habitants, au cours de cette première moitié de siècle. La page de « nouvel ordre mondial » se tourne, la dédollarisation de l’économie internationale est en cours et un univers toujours plus multipolaire se forme.
Ce qui caractérise aujourd’hui le tandem Musk-Trump est avant tout l’égoïsme néolibéral, qui vise dans une optique court-termiste, à liquider toutes les dépenses à priori non essentielles au développement de l’Amérique. Il s’agit là d’un vieux refrain des Républicains, sans cesse à la recherche de l’État minimal, depuis au moins Ronald Reagan, tout en multipliant les cadeaux fiscaux pour les plus riches. Comment, dès lors, les États-Unis pourraient ils tenir tête à la nouvelle superpuissance chinoise tout en liquidant les services sociaux, en faisant exploser les inégalités entre classes, en renonçant même à leur présence diplomatique et symbolique à l’échelle planétaire ? Simplement par la surenchère militaire ?
De plus, si l’Amérique se refuse définitivement à un programme d’aide au développement dans le monde, le terrain sera alors laissé libre à la Chine, qui s’intéresse beaucoup aux partenariats notamment avec l’Afrique et l’Amérique du Sud. La Chine dispose de fonds colossaux et promet déjà 50 milliards d’euros d’aide au développement à l’Afrique sur la période 2025-2027, alors qu’elle est déjà la première partenaire commerciale du continent.
Nous sommes ici aux prises avec l’une des incohérences les plus frappantes de l’extrême droite américaine, qui semble provoquer exactement le contraire de ce qu’elle prétend vouloir réussir.
Par Victor Gueretti
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