Le plan Trump pour Gaza prend l’eau

lundi 10 mars 2025.
 

La « Riviera du Moyen-Orient » que Trump voulait créer dans le territoire palestinien après en avoir expulsé les habitants ne verra sans doute pas le jour. Les pays arabes réunis en sommet mardi 4 mars proposent une alternative, tandis que Nétanyahou affronte de multiples mises en garde.

Pendant sa campagne électorale, Donald Trump s’est vanté de pouvoir faire la paix en quelques jours, là où les autres échouaient depuis des années. Il n’avait pas précisé que sa stratégie de pacification consistait à conclure des marchandages commerciaux lucratifs avec les agresseurs, sans l’accord et au détriment de leurs victimes.

Comme l’a révélé son inacceptable attaque contre le président ukrainien, vendredi 28 février à la Maison-Blanche, cette stratégie relève davantage de l’intimidation mafieuse, familière à l’ancien magnat de l’immobilier, que de l’échange diplomatique.

La dignité courageuse de Volodymyr Zelensky a, pour l’heure, mis en échec sa tentative de paix extorquée en Ukraine. Réussira-t-il avec son autre initiative de « pacification » en Palestine ? On peut aujourd’hui en douter.

Trump, qui espère toujours conclure un accord diplomatico-commercial majeur avec l’Arabie saoudite, aurait été averti par certains de ses conseillers de l’importance que Riyad accorde à une solution du problème palestinien jugée acceptable par les principaux intéressés. Ce qui n’est pas le cas de son projet, dont la nature aurait incité la monarchie wahabite à exprimer ses réserves.

Non par compassion pour les Palestinien·nes, dont l’homme fort du royaume, le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS), se moque éperdument. Mais parce que le peuple saoudien, comme la majorité des peuples arabes, affiche volontiers son attachement à la cause de la Palestine, dont la trahison pourrait transformer n’importe quelle crise politique, mouvement social ou contentieux tribal en révolte contre le régime. Révolte dangereuse pour la stabilité du royaume, tenu par Trump pour la clé de voûte des accords de normalisation entre les États arabes et Israël.

Le milliardaire président, on s’en souvient, proposait d’expulser la majorité des Palestinien·nes de Gaza vers l’Égypte et la Jordanie, et celles et ceux qui restaient vers l’Albanie ou l’Indonésie. Renouant avec son passé de promoteur immobilier, il annonçait son intention de transformer les 40 kilomètres de rivage méditerranéen de l’enclave en une Riviera du Moyen-Orient. Ce projet effarant de nettoyage ethnique – criminel au regard du droit international – suivi d’une extorsion territoriale devait, espérait-il, lui ouvrir la voie du prix Nobel de la paix. Il supporte mal, dit-on, le fait que Barack Obama ait pu l’obtenir en 2009, dix mois seulement après son arrivée au pouvoir.

Au Monopoly des autocrates Quant à Nétanyahou, qui rêve depuis son entrée en politique d’expulser les Palestinien·nes de Cisjordanie et de Gaza pour vivre dans un « Grand Israël » sans Arabes, du Jourdain à la Méditerranée, l’initiative de Trump est, à ses yeux, une sorte de promesse divine. Il se serait ainsi retrouvé à la fois débarrassé d’une population hostile, incontrôlable, et doté d’une annexion balnéaire, génératrice de profits pour les industries israéliennes des travaux publics et de la construction, puis de l’hôtellerie et du tourisme. Un triomphe au Monopoly des autocrates et des oligarques.

Et ce n’était pas le seul cadeau offert par Trump à son ami et admirateur « Bibi » : par un décret signé le 6 février, quarante-huit heures après la conférence de presse qui avait réuni les deux hommes à la Maison-Blanche, le président des États-Unis activait des sanctions contre la Cour pénale internationale pour avoir « engagé des actions illégales et sans fondement contre l’Amérique et son proche allié Israël ». La juridiction internationale avait délivré, le 21 novembre 2024, un mandat d’arrêt pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre contre Nétanyahou. Lequel avait alors dénoncé « une cour antisémite et corrompue » accusée de « mener une campagne impitoyable contre Israël ».

Depuis cette brève visite à Washington et ses heureuses surprises, la poursuite chaotique de la trêve à Gaza et la libération au compte-gouttes des otages du Hamas en échange de la remise en liberté, tout aussi désordonnée, des Palestinien·nes détenu·es par Israël (marchandage également négocié par les émissaires de Trump) ont permis au premier ministre de voir venir.

Le plan de Trump n’est pas sérieux, il ne sera jamais mis en œuvre.

Dan Shapiro, ambassadeur en Israël de l’administration Obama C’est-à-dire que Nétanyahou a pu poursuivre, cyniquement et avec le soutien de Washington, son projet de « destruction » du Hamas, au risque de provoquer la mort des derniers otages. Jusqu’à décider le 2 mars, en violation de l’accord de cessez-le-feu accepté par les deux parties depuis le 19 janvier, de suspendre l’entrée de l’aide humanitaire en raison, selon lui, de l’attitude du Hamas.

Et cela pour maintenir au sein de sa coalition l’extrême droite dont il a besoin pour faire adopter le budget, avant la fin du mois. Et surtout pour retarder le moment où il devra affronter l’après-guerre. Avec son cortège d’ennuis judiciaires et le calvaire que risque de constituer pour lui l’épreuve de vérité de l’inévitable commission d’enquête sur le 7-Octobre.

À peine rentré en Israël, Nétanyahou avait d’ailleurs mesuré la fragilité des promesses de Trump, la versatilité alarmante du personnage, et affronté la rudesse des réalités politiques locales.

L’opposition des pays arabes

« Le plan de Trump n’est pas sérieux, il ne sera jamais mis en œuvre », juge le diplomate américain Dan Shapiro, ambassadeur en Israël de l’administration Obama. « C’est ridicule, ironise de son côté l’ancien diplomate israélien Alon Pinkas, devenu analyste politique. Les deux autres grands projets de Trump, l’annexion du Canada et l’achat du Groenland, semblent plus réalistes. »

Pour leur part, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et le roi Abdallah de Jordanie ont indiqué qu’ils n’avaient pas été consultés et qu’ils n’accepteraient aucun transfert des Palestinien·nes, de Gaza ou d’ailleurs, vers leurs territoires. « Tout changement démographique dans la péninsule du Sinaï, a averti le premier, constituerait une déstabilisation potentielle de la sécurité interne du pays. La solution du problème palestinien doit être trouvée à l’intérieur des frontières de la Palestine. » « La sécurité nationale de la Jordanie, une alliée régionale majeure des États-Unis, est liée au fait que les Palestiniens restent sur leur terre et continuent de rejeter l’émigration », a confié de son côté le monarque hachémite à Trump, lors d’une visite express à Washington.

Même les menaces américaines de priver Le Caire et Amman de l’aide militaire qui leur est allouée (1,3 milliard de dollars par an pour l’Égypte ; 1,4 milliard pour la Jordanie) ont été vaines. Habilement, les deux capitales ont fait valoir que leur équilibre intérieur était la clé de leur rôle de gardiennes de la stabilité régionale et de la paix. Stabilité et paix dont Trump entend se présenter comme le garant.

Confirmant cette mise en garde, la dernière réunion des ministres des affaires étrangères de la Ligue arabe a estimé que « ce changement d’approche du conflit par les États-Unis était considéré par les partenaires régionaux de Washington comme une rupture du statu quo dans leurs pays plutôt que comme un progrès vers la réduction des tensions liées à la question palestinienne ». « Nous réaffirmons notre engagement en faveur d’une solution à deux États et de la protection des droits des Palestiniens », ont conclu les chefs de la diplomatie des pays membres de l’organisation.

C’est au cours de cette réunion qu’a été décidé le sommet de la Ligue du mardi 4 mars en Égypte, au cours duquel les « poids lourds » – Égypte, Arabie saoudite, Émirats, Qatar et autres monarchies du Golfe – entendent mettre sur pied une « solution alternative à l’initiative américaine ». Un promoteur émirati, Khalal al-Habtoor, aurait même présenté un plan ambitieux qui permettrait « la reconstruction de l’enclave en quelques années » et non en quelques décennies, comme le prévoient la plupart des spécialistes.

Fondée sur un engagement commun à financer et superviser la reconstruction de Gaza, la solution proposée par la Ligue arabe permettrait aux Gazaoui·es de rester sur leur terre, préservant ainsi la possibilité de création d’un État palestinien.

Pour gérer le territoire pendant les cinq premières années de la reconstruction et assurer la sécurité, l’Égypte propose de mettre en place une administration palestinienne composée de technocrates et de personnalités de la société civile, sans aucun lien avec le Hamas, et de déployer une force composée de policiers de l’Autorité palestinienne aidés par des policiers égyptiens et des unités entraînées par les pays occidentaux.

Le Hamas a déjà indiqué qu’il était prêt à accepter un gouvernement d’unité nationale auquel il ne participerait pas ou une commission de technocrates pour diriger le territoire, sans toutefois dissoudre sa branche militaire.

Aussi capricieux, autoritaire et imprévisible que velléitaire, Trump a-t-il jugé que, pour obtenir le Nobel, il serait plus rapide de s’entendre avec Poutine sur le dos de l’Ukraine que de s’entendre avec Nétanyahou sur celui des Gazaoui·es ? Il semble en tout cas qu’il ait renoncé, pour l’heure, à son « Mar-a-Gaza ». Indifférent à la déception de son ami Bibi et de ses alliés extrémistes, messianiques et colonisateurs, qui multiplient, avec l’aide de l’armée, et parfois à son initiative, les raids contre les villages palestiniens et les camps de réfugié·es en Cisjordanie.

Nétanyahou toujours entre les mains d’une coalition fragile…

Une autre déconvenue attendait le premier ministre israélien. D’importance puisqu’elle provenait d’un secteur de la société – les responsables de la défense et de la sécurité – avec lequel il revendique volontiers une proximité quasi fraternelle, même si elle est loin d’être réciproque. En moins d’un mois, deux respectables institutions stratégiques israéliennes ont publié des études sévères, voire cruelles, en raison des lacunes et de l’incompétence qu’elles mettent au jour chez les conseillers-courtisans-stratèges trumpistes en matière de diplomatie, de géopolitique et d’histoire.

Fondé en 2014, le mouvement des Commandants pour la sécurité d’Israël (CIS) rassemble plus de cinq cents généraux à la retraite ou leurs équivalents hiérarchiques dans la police, le corps diplomatique, les renseignements intérieurs (Shin Bet) et extérieurs (Mossad). Ils estiment, comme Yitzhak Rabin qui fut un des leurs, que la sécurité d’Israël et son avenir en tant que démocratie ne peuvent reposer sur l’expulsion des Palestinien·nes mais sur la séparation négociée des deux peuples et des relations paisibles entre Israël et l’État de Palestine. Pour eux, la création de celui-ci reste inévitable et, encore aujourd’hui, indispensable.

Ces stratèges à la retraite, qui revendiquent 10 000 ans d’expérience cumulée, estiment que sous l’influence des « extrémistes messianiques, le gouvernement actuel perpétue l’occupation et l’annexion des territoires palestiniens. La survie de la coalition dans ces conditions a désormais la priorité sur la sécurité d’Israël ».

L’initiative de Trump pourrait ainsi devenir l’objet de vives controverses dans l’arène internationale.

Extrait d’une publication de l’Institut national pour la sécurité d’Israël (université de Tel-Aviv)

Dans un mémorandum adressé à l’administration Trump, début février, ils insistent sur le fait que les États-Unis doivent lier leur offre de « normalisation et intégration régionale à Israël à un engagement en faveur d’une solution à deux États accompagnée de mesures attestant la sincérité de cet engagement ». Ils tiennent aussi pour inévitable, « avant de négocier la fin de la guerre à Gaza, d’obtenir cet engagement en faveur d’une solution à deux États ». Ils insistent sur « la fragilité de la coalition gouvernementale actuelle, dont l’existence dépend d’une aile nationaliste extrémiste qui veut l’annexion de la Cisjordanie et l’occupation de Gaza ». Positions qui, selon les CIS, « ne sont pas celles de la majorité des citoyens et des personnalités clés de la société ».

En d’autres termes, ceux qui avancent des projets extravagants pour en finir avec la question de Palestine seraient bien inspirés de s’informer auparavant sur le contexte géostratégique et l’histoire de cette question.

Quant à l’Institut national des études de sécurité (INSS), créé en 1978 au sein de l’université de Tel-Aviv, avec l’ambition d’éviter au pays une situation aussi périlleuse que celle qu’il avait affrontée en 1973, lors de l’attaque surprise de Kippour, il a publié le 17 février une « Évaluation de la faisabilité de l’initiative de Trump de réinstaller les Palestiniens de Gaza » que les conseillers de Trump n’avaient manifestement pas lue.

… comme sa santé

Ils y auraient constaté que, pour les auteurs du document, « l’opposition ferme des pays de la région ainsi que la résistance de la direction palestinienne et des organisations internationales pourraient empêcher la réalisation de cette initiative ou soulever des obstacles importants, débouchant sur un échec de nature à renforcer les critiques internationales contre les États-Unis et Israël, accusés d’expulser la population palestinienne plutôt que de s’en prendre aux racines du conflit. L’initiative de Trump pourrait ainsi devenir l’objet de vives controverses dans l’arène internationale. D’autant qu’elle pose aussi des questions juridiques en matière de respect des droits humains ».

Pour les conseillers et partisans de Nétanyahou, ces mises en garde en provenance de secteurs respectés par l’opinion publique et tenus pour crédibles par les experts sont particulièrement alarmants, au moment où l’intérêt de Trump semble pivoter du Moyen-Orient vers l’Europe orientale. Et alors que la santé du premier ministre inquiète son entourage.

L’opinion publique n’en a pas été officiellement informée mais, exceptionnellement, deux médecins, un cardiologue et un neurologue, accompagnaient Nétanyahou pendant sa visite aux États-Unis. Âgé de 75 ans, le premier ministre, qui a subi en 2023 une opération d’urgence pour l’implantation d’un pacemaker destiné à contenir son arythmie cardiaque, est depuis quelques mois de plus en plus discret, sinon secret, sur sa santé. Mais les journalistes qui le suivent au quotidien ont constaté récemment des signes troublants dans son attitude qui pourraient révéler, selon Haaretz, des « problèmes mentaux et cognitifs ».

Dans un discours à la Knesset, à son retour des États-Unis, où il avait, comme à son habitude, multiplié mensonges et manipulations, il avait ainsi déclaré : « J’ai parlé avec des dirigeants du Hamas » alors qu’il était question, bien sûr, de ses entretiens avec des interlocuteurs états-uniens à propos des puces informatiques dont l’administration Biden avait limité la vente à Israël.

Puis, dans la même intervention, s’écartant un instant du texte qu’il avait sous les yeux, il avait lancé à ses adversaires : « Nous sommes dans l’opposition » au lieu de « Vous êtes dans l’opposition ». Et, toujours dans le même discours : « Si vous allez aux États-Unis » au lieu de « Si vous allez à Rafah », qui figurait dans le texte écrit.

Donald Trump, qui avait été terriblement cruel avec les lapsus, oublis, confusions et dérapages de Jo Biden, sera-t-il aussi sévère avec les bourdes de son « ami Bibi » ?

René Backmann


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