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Alors que le syndicat étudiant tente d’éteindre les polémiques autour de ses sections locales, Mediapart révèle que son délégué national Mathis Gachon a lui-même fait des saluts de Kühnen, une alternative au salut hitlérien. Il conteste une « interprétation » de ses gestes.
https://www.mediapart.fr/journal/fr...[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20250307-195715&M_BT=1489664863989
Il y a les mots, et puis il y a les gestes. Ces dernières semaines, le syndicat étudiant Union nationale interuniversitaire (UNI) a été amené à condamner « fermement » plusieurs saluts nazis, comme celui fait par un étudiant dans les couloirs du campus 1 de l’université de Caen le 11 février. Ce jeune homme n’aurait « jamais fait partie » de l’UNI, assure le porte-parole de l’organisation, Yvenn Le Coz, au Monde, alors qu’il avait au moins participé à un événement de l’UNI Caen à peine deux mois plus tôt, comme le prouve une photo.
La direction nationale de l’UNI a également suspendu, le 12 février, sa branche locale strasbourgeoise et son président, après la découverte de montages antisémites partagés via des messageries internes. Elle a aussi été contrainte d’admettre qu’un militant qui s’était filmé en train de faire un salut nazi, Josselin H., avait bien fait partie de l’UNI Strasbourg pendant plusieurs mois, mais qu’« ils avaient l’intention de le virer ».
Le syndicat étudiant d’extrême droite tient donc à montrer qu’il agit vite et fort quand il faut mettre à distance les « brebis galeuses » qui gravitent près de ses sections locales. Mais le sujet est plus épineux lorsqu’il touche directement l’un de ses dirigeants nationaux.
Mediapart publie plusieurs photos inédites montrant Mathis Gachon, délégué national de l’UNI, en train d’effectuer à différentes reprises un salut à trois doigts qui s’apparente à un salut de Kühnen, une alternative au salut nazi qui se répand depuis la fin des années 1970 dans les groupuscules d’extrême droite.
Aux questions de Mediapart, Mathis Gachon a répondu par mail, au nom du bureau national de l’UNI : « Nous démentons toutes vos interprétations des gestes que vous mentionnez. » Invité à détailler la signification qu’il donne à cette pose à trois doigts, il n’a plus donné suite.
La première photo a été prise en février 2024 et partagée dans un groupe WhatsApp interne d’une section de l’UNI ; Mathis Gachon y renvoie lui-même un message dans la foulée, confirmant qu’il s’agit bien de lui.
La deuxième a aussi été prise début 2024, à Lille. On y voit le délégué national du syndicat d’extrême droite effectuer le salut néonazi à trois doigts aux côtés d’un jeune homme, que Mediapart a identifié comme un étudiant réserviste de la marine nationale, militant actif d’une branche locale de l’UNI. Ce dernier n’a pas répondu à nos questions.
Le salut de Kühnen, du nom de l’Allemand Michael Kühnen, leader d’un mouvement minoritaire homonationaliste, est illégal en Allemagne. En 2022, un homme a aussi été condamné en Belgique pour « incitation à la haine » pour avoir effectué ce salut à trois doigts au cours d’une manifestation organisée par l’extrême droite.
En France, de jeunes néonazis revendiquent son utilisation, comme ce militaire repéré par StreetPress en 2022, qui fait le lien entre le chiffre 3 et le Troisième Reich. Des membres de la Cocarde, organisation étudiante d’extrême droite, ont aussi été pris en photo en train de faire ce signe de trois doigts vers l’avant, avec le bras plus ou moins tendu vers le haut. Un ancien de l’UNI Rennes, également membre du groupuscule néonazi violent l’Oriflamme, s’est lui aussi approprié ce geste.
« C’est un salut, comme beaucoup d’autres, qui s’insère dans des stratégies d’évitement du salut hitlérien, beaucoup plus réprimé, analyse Bénédicte Laumond, maîtresse de conférence en science politique. Les acteurs savent exactement ce qu’ils font. Il y a deux objectifs : celui d’éviter la répression pénale, car ce sont des symboles peu connus, même des autorités. Mais ils font aussi ces gestes dans une volonté de dédiabolisation de l’extrême droite : ils s’intègrent dans une stratégie d’euphémisation de la radicalité. »
L’intention derrière l’utilisation de ces signes peut varier, rappelle toutefois Estelle Delaine, maîtresse de conférence en science politique, spécialisée dans les liens entre parlementarisme et extrême droite : « Certains veulent vraiment faire revivre des idées politiques très concrètes et qui ont un rapport révisionniste à l’histoire, et d’autres utilisent plutôt ces symboles comme une forme de reconnaissance, afin d’entrer dans un militantisme violent qui les captive. C’est une sorte de manière d’être, ça fait partie du “package” militant d’extrême droite. »
Le délégué national Mathis Gachon ne s’est jamais expliqué sur un autre signe qu’il effectue sur une photo aux côtés de la section strasbourgeoise de l’UNI, un cliché utilisé dans le cadre de montages antisémites où il est inscrit « Tribunal de Nuremberg. Toutes les cartes juives détenues par les joueurs doivent être jetées dans la pile (tout en bas) ». Il a été rendu public par le collectif juif de gauche Golem et partagé par le lanceur d’alerte Ilies Djaouti, « militant anti extrême droite » qui diffuse régulièrement des vidéos inédites de comportements délictueux au sein d’universités françaises.
Mathis Gachon y forme un rond avec son pouce et son index, formant les lettres W et P, comme White Power. Plus connu pour signifier « OK », le geste, d’abord populaire au sein de la droite états-unienne, est devenu petit à petit un symbole de ralliement pour les suprémacistes blancs et les groupuscules d’extrême droite en général. Aux États-Unis, l’Anti-Defamation League (ADL) l’a répertorié parmi les symboles de haine.
C’est la logique dite du dog whistle, « sifflet à chien » en français, en référence aux sifflets à ultrasons que seuls les chiens peuvent entendre. Les groupes utilisent des signes inoffensifs en apparence, mais lourds de sens pour les initiés. « Le signe OK s’intègre totalement dans des pratiques très coutumières des Nord-Américains, on l’observe souvent. C’est donc extrêmement subtil de l’utiliser pour exprimer un ensemble d’idées racistes ou antisémites. En le faisant, c’est aussi se sentir subversif, ça renforce le groupe. Et si on n’est pas vigilants, cela passe complètement sous les radars », poursuit la chercheuse Bénédicte Laumond.
À l’UNI, Mathis Gachon a laissé, au-delà des gestes, des souvenirs à d’anciens camarades. L’un de ceux qu’il a côtoyés à l’intérieur du syndicat décrit un jeune homme « idéologiquement très à droite ».
D’abord élu à l’UNI à l’université du Mans, d’où il est originaire, il gravit ensuite les échelons à l’intérieur du syndicat lorsqu’il poursuit son master de droit à Paris, à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. De mai 2021 à décembre 2022, il est collaborateur parlementaire à temps partiel du sénateur Jean Pierre Vogel, membre du parti Les Républicains (LR).
Des responsabilités nationales La même année, pourtant, il s’affiche au meeting d’Éric Zemmour au Trocadéro, puis à nouveau en 2023, lors d’un colloque des Parents vigilants, organe lancé par l’ancien candidat à la présidentielle afin de « lutter contre le wokisme à l’école ». Interrogé, Jean Pierre Vogel assure n’avoir « jamais eu connaissance » des saluts à trois doigts du jeune homme, qui le « surprennent beaucoup ». Le sénateur affirme également « ne partage[r] nullement les idées politiques de M. Zemmour », qu’il « combat ».
À l’image d’autres adhérents de l’UNI, Mathis Gachon aurait en réalité glissé à l’extrême droite en quelques années. « Il trouve LR trop à gauche, mais Le Pen aussi, trop hypocrite. Il cherche continuellement l’homme politique qui sera le plus à droite possible. Et il s’entoure de ceux qui vont aller dans son sens, qui vont le pousser à l’extrême », continue l’ancien militant, qui a depuis quitté le syndicat, en désaccord avec ce que l’UNI est devenue.
Mathis Gachon continue, lui, de porter la voix du syndicat, par ses nombreux déplacements auprès des sections locales, particulièrement lors des élections universitaires. Mais le délégué national a aussi un rôle plus formel : en juillet 2024, il est nommé à l’Observatoire national de la vie étudiante, un organe consultatif national de représentation, en tant qu’envoyé de l’UNI.
Le 2 octobre 2024, il est aussi convié à l’Assemblée nationale pour une table ronde sur la rentrée universitaire, aux côtés des autres syndicats étudiants. Deux semaines plus tard, il pose avec Patrick Hetzel, l’éphémère ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui a choisi de se rendre à une conférence de l’UNI pour sa première apparition publique.
Contacté, le député Hetzel déclare combattre et avoir « toujours combattu toute forme d’antisémitisme ainsi que toutes les formes d’apologie du nazisme » et dit qu’« il est essentiel qu’un syndicat étudiant représentatif […] écarte systématiquement de ses instances aussi bien locales que nationales des personnes qui commettraient des actes délictueux, comme par exemple de l’antisémitisme ou du racisme ».
Il ajoute aussi avoir vivement condamné les « dérives » à l’UNI Strasbourg et émis un communiqué : « La Fédération Les Républicains du Bas-Rhin exprime sa plus vive indignation face aux récents faits survenus à l’Université de Strasbourg […]. Nous saluons la décision responsable de la Direction Nationale de l’UNI de suspendre sa section de l’UNI Strasbourg ainsi que son président, dans l’attente des résultats de l’enquête administrative en cours »
Pour le syndicat UNI, qui se revendique de « droite modérée », la route vers la respectabilité semble pourtant bien semée d’embûches. Ironie de l’histoire, en octobre 2023, Mathis Gachon s’était ému par écrit au président de l’UNI Strasbourg : « Les propos limite antisémites sur le groupe de section, si y a un screen, on est morts. »
Clément Rabu et Marie Turcan
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