Réarmer la France et l’Europe ? Points de vue

samedi 15 mars 2025.
 

Paix en Ukraine : questions concrètes

Jean-Luc Mélenchon

Sans la présence de l’Ukraine, il ne peut y avoir de paix discutée ou décidée. C’est-à-dire sans ses représentants légitimes négociant et signant les engagements qui résulteront de la discussion. Ce qui implique la conclusion en premier lieu d’un cessez-le-feu le plus rapidement possible pour éviter de mettre la situation dans la main de ceux qui veulent continuer les tueries.

La paix commence par la sécurisation et l’immunité dans le droit au retour des réfugiés et des fuyards. Cela incluant les opposants à la guerre et les déserteurs. Et dans la mesure où l’enjeu de la guerre a été des territoires et leurs populations, aucun arrangement à ce sujet ne devrait être accepté sans consultation par vote de ces populations concernées. Cela sous l’égide de l’ONU et un contrôle international.

Évidemment on doit accepter l’idée que des garanties mutuelles de sécurité soient convenues entre Ukrainiens et Russes et assumées par les protecteurs de l’accord. Cela doit inclure le fait que l’Ukraine n’intègre pas l’Otan si elle existe encore. En toutes hypothèses, si des troupes devaient être déployées pour s’interposer et garantir la paix, elles ne pourraient l’être que sous l’autorité de l’ONU et sous son commandement militaire.

1) Les annonces faites par Emmanuel Macron qui rêve de cette « défense commune européenne », c’est surtout un affichage.

Aurélien Saintoul, député LFI, membre de la commission de défense nationale et des forces armées.

« La question de la défense est d’abord une question de souveraineté. La souveraineté étant liée au peuple, il faudrait se demander s’il existe une souveraineté populaire européenne. Bien sûr que non puisqu’il y a plusieurs peuples au sein de notre continent. Donc il y a déjà un problème de principe. Ensuite, il faut aussi se poser les questions concrètes qu’entrainerait cette « défense commune européenne » : Qui pour la commander ? Quels États pourraient décider de l’engager ? Et au service de quels intérêts cette défense commune pourrait être utilisée ?

Les dirigeants fascistes et assimilés n’ont évidemment pas les mêmes intérêts que les gouvernants démocrates. Il ne faut pas oublier cette constante : les fascistes ne respectent pas le droit. Pourquoi voudraient-ils mobiliser une défense européenne ? Pour lutter contre l’immigration ? Quels genres de relations envisagent ces forces fascistes avec les régimes autoritaires comme la Russie ou d’autres pays dirigés par l’extrême droite comme les États-Unis ? Giorgia Meloni n’a pas dit un mot après l’humiliation de Volodymyr Zelensky par Donald Trump et l’Italie a contracté avec Starlink pour 1,5 milliard d’euros…

Les annonces faites par Emmanuel Macron qui rêve de cette « défense commune européenne », c’est surtout un affichage. Il cherche à montrer qu’il fait encore des choses, il veut détourner l’opinion publique de son mandat national. C’est de la poudre aux yeux. Il dit vouloir un « réveil stratégique » au regard de la ligne politique conduite par Donald Trump sur le champ international. Mais comme la plupart de nos partenaires, la France est incapable d’agir en dehors de l’influence américaine. On a accepté de former des pilotes de chasse en partie aux États-Unis, on a du matériel de renseignement américain, on a des catapultes du Charles de Gaulle qui sont américaines, on est dépendant du pétrole américain qui est notre premier fournisseur. Et la France n’est pas le seul pays européen à connaître cette situation.

Ce projet de « défense commune » ne répond pas aux vrais problèmes comme, par exemple, les capacités de production européenne qui sont à leur limite aujourd’hui. Et c’est pourquoi nous n’arrivons pas à satisfaire les demandes des Ukrainiens. Il faut donc mettre sur pied un programme de prise d’indépendance qui prendra des mois et des années. Dans quel calendrier peut-on le faire ? Et quels sont les pays européens qui voudront vraiment prendre leur essor indépendamment de la tutelle américaine ? »

2) Se doter d’une armée quand les fascismes soufflent fort ?

par Pablo Pillaud-Vivien

https://regards.fr/la-lettre-de-reg...

Si l’on écoute de nombreux exécutifs européens, à commencer par la France, la guerre qui point à l’Est clôt le débat sur une défense commune : il en faut une. Pourtant, les inquiétudes sont légitimes et certaines questions aussi cruciales qu’irrésolues.

Emmanuel Macron l’a dit une nouvelle fois mercredi soir, face à la menace russe et au revirement étasunien, il faut agir rapidement « en Européens ». Pourtant la donne politique sur notre continent a de quoi poser de sérieuses questions quant à la construction d’une défense commune. Entre les États dirigés par l’extrême droite comme l’Italie ou la Hongrie, et la puissance de la dynamique fasciste dans les autres pays, la création d’une force armée qui nous réunirait peut même inquiéter. C’est cette inquiétude que nous avons proposée à des politiques de gauche de France et d’Italie et au philosophe Etienne Balibar (à retrouver ici, ici et là).

A dire vrai, notre angoisse n’a rencontré que peu d’écho. Chacun renouvelle ses convictions. Ceux qui, à gauche, veulent avancer dans une intégration plus grande de l’Europe veulent croire que la création d’une armée commune et son corollaire, une politique internationale partagée, est de nature à souder les Européens et à contenir la poussée d’extrême droite. A ces Européens convaincus, on fera remarquer que cela n’est jamais advenu. Il faut s’interroger sur ce point. Si l’Union européenne ne s’est jamais dotée d’une armée ce n’est pas parce que les États-membres qui la composent sont antimilitaristes mais parce que jamais une direction commune n’a réussi à voir le jour. L’opposition à la Russie de Vladimir Poutine qui nous unit largement ne suffit pas à déterminer une politique commune de défense en de larges points et pour longtemps. Des dynamiques convergentes, largement sous influence néolibérales, ont réussi à instaurer un espace de libre-échange et un marché commun ; le mouvement ouvrier et les forces progressistes ont réussi à conquérir quelques droits sociaux ; d’autres à élargir l’espace du droit. Mais pas davantage – et surtout ni politique étrangère commune ni armée européenne. Ces objections massives et objectives demeurent. Vouloir n’est pas toujours pouvoir.

Une autre partie de la gauche pense que la médiocrité des politiques sociales et écologiques européennes sont des carburants pour l’extrême droite. Ils ne voient pas dans cette intégration nouvelle au travers d’une armée une solution pour bloquer l’extrême droite et en nourrissent dès lors de vives inquiétudes. A ceux-là nous pouvons dire que la question n’est pas pour ailleurs. Les idées de l’extrême droite se nourrissent d’une légitime peur de la guerre et d’égoïsmes dangereux et elles ne reculeront pas du fait d’un retrait des affaires du monde. Ajoutons que la dissuasion nucléaire dans les mains du Rassemblement National a de quoi effrayer.

Nos nuits seront courtes…

3) Une « défense européenne » est dangereuse, mais la sécurité européenne est nécessaire et urgente

Vincent Boulet, responsable des relations internationales du PCF, vice-président du Parti de la Gauche européenne

Une défense européenne supposerait une armée commune ou, comme l’a annoncé Emmanuel Macron, une européanisation du parapluie nucléaire français. Cela est impossible tant les forces centrifuges à l’œuvre dans l’Union Européenne sont grandes, entre Meloni et Orbán qui font allégeance à Trump, ou le gouvernement polonais soumis au parapluie de défense américain. Une européanisation de la force nucléaire française ne se situe absolument plus dans le domaine de la dissuasion mais elle revient à prendre le risque de la confrontation nucléaire.

L’économie de guerre annoncée par Macron et ses appels aux sacrifices des Français dessinent une austérité aggravée.

Quelle crédibilité ont les discours sur « l’indépendance » d’une défense européenne provenant d’un pouvoir qui n’a cessé d‘aligner notre pays sur les choix des États-Unis et a poursuivi la politique de ses prédécesseurs qui a liquidé nos industries, à commencer par nos industries de défense ? L’économie de guerre annoncée par Macron et ses appels aux sacrifices des Français dessinent une austérité aggravée, à un moment où le pouvoir d’achat est en berne et où nos services publics manquent de l’essentiel. Elle ne servira que les marchés financiers. Trump doit se féliciter. Sa politique de transfert du fardeau d’une guerre sans issue à l’Europe fonctionne pleinement.

Répondre aux exigences du moment implique au contraire de mener une politique de sécurité et d’autonomie stratégique, reposant sur deux piliers. D’abord, une initiative pour une paix juste en Ukraine. Trois ans après l’agression injustifiable du régime de Poutine contre l’Ukraine, il n’y a aucune solution militaire. C’est une solution politique et diplomatique, avec l’Ukraine, la Russie, les États européens et sous les auspices des Nations unies, qui est à l’ordre du jour, avec pour base la souveraineté et la neutralité de l’Ukraine, sur les principes de la charte des Nations unies et de l’Acte final de la conférence d’Helsinki.

Il faut porter en Europe une voix forte en faveur de la paix et du droit.

Cela doit mener à une conférence de sécurité collective pour l’ensemble du continent, avec la sortie et la dissolution de l’Otan. Ensuite, notre pays a besoin de reconstruire un pôle public de défense, au service des besoins capacitaires de sa défense nationale, en toute indépendance de l’Otan et des États-Unis. Elle doit aller de pair avec une grande politique de renouveau industriel de la France. Plutôt que d’encourager les tentations bellicistes qui entraînent les peuples vers la catastrophe, il faut porter en Europe une voix forte en faveur de la paix et du droit.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message