Démission de Jean-Michel Aphatie : la victoire des faussaires de l’histoire

mercredi 19 mars 2025.
 

La démission de Jean-Michel Aphatie de RTL est un triste symbole de ce que devient le débat public. Le 25 février, dans un débat sur les tensions entre la France et l’Algérie, il avait invoqué les massacres d’Algériens « jamais reconnus » par la France pendant la phase de conquête à partir de 1830, en les comparant à celui d’Oradour-sur-Glane.

Des historiens lui ont donné raison, comme Alain Ruscio, qui a récemment consacré un livre à ce sujet. C’est sur cette documentation historique imposante que le journaliste s’est appuyé : « Ce que j’ai lu dans les livres écrits par des historiens méticuleux m’a horrifié. […] Les propos que je tiens sur ce sujet depuis des années sont liés à ce sentiment », a écrit Aphatie dans le tweet où il a annoncé sa démission.

En refusant de reconnaître avoir commis une faute, le journaliste a fait acte de dignité. Mais cet épilogue jette une lumière crue sur l’état avancé de sclérose du débat public, où la haine et le mensonge ont micro ouvert, l’extrême droite ayant parallèlement réussi à accaparer la « liberté d’expression » contre les « censeurs ».

« Je vois bien que ce n’est pas un discours qui est majoritaire ou qui est tenu régulièrement dans les médias, où la culture de la négation de l’histoire domine », a confié Aphatie à Mediapart. Si la vague obscurantiste qui s’abat sur la science aux États-Unis donne l’illusion par contraste que l’université française est un havre de paix, celle-ci subit depuis des années des attaques de même nature, entre paupérisation, sciences sociales vilipendées, traque de l’« islamo-gauchisme » et du « wokisme ».

Cette entreprise de délégitimation, menée de longue haleine par l’extrême droite sur le front des idées, porte ses fruits dans les médias, dans l’édition ou encore sur les réseaux sociaux avec la complicité de milliardaires intéressés. Que faire face à cette asphyxie du débat démocratique ? Ces derniers temps, on quittait X et on boycottait l’empire Bolloré. Désormais, on démissionne de RTL, propriété du groupe Bertelsmann.

Inexorablement, l’espace du débat préservé des manipulations des faits se réduit. Mais ce sont encore les contempteurs de la prétendue « cancel culture » que l’on entend se lamenter le plus. « Par un incroyable détournement, tout effort de protéger le débat démocratique est brocardé comme une atteinte à la “liberté d’expression” », note le professeur de droit public Thomas Hochmann dans un livre à paraître. C’est ce grand détournement que l’affaire Aphatie éclaire en creux. Il est encore temps de l’empêcher.

Mathieu Dejean


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