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À Paris et dans des centaines de villes en France, plusieurs centaines de milliers de personnes ont défilé en France samedi contre le racisme et l’extrême droite répondant à l’appel de la Marche des solidarités à défiler contre « le racisme et le fascisme ».
« Une riposte est possible contre le fascisme ! » Au milieu de la foule, un petit cercle s’est créé pour écouter les porte-parole de la Marche des solidarités et des collectifs de sans-papiers, mineur·es isolé·es, étudiant·es étrangers et étrangères, et personnes migrantes en lutte, à l’origine de l’appel à manifester du samedi 22 mars.
« Aujourd’hui, on n’a pas encore trouvé de médicament contre le racisme », appuie un représentant intercollectif de défense des sans-papiers, arborant un badge en soutien aux travailleurs sans papiers de Chronopost. « Cette mobilisation doit être un levier de combat. Un pouvoir qui est faible s’attaque toujours aux personnes précaires, pour les précariser davantage. »
Alors que la pluie n’a pas pu s’empêcher de se joindre à la fête en fin d’après-midi, la manifestation parisienne a commencé sous quelques rayons de soleil, venus encourager des participant·es déterminé·es. Des dizaines de milliers de personnes ont ainsi répondu présentes place de la République, pour témoigner de leur inquiétude face à un glissement des politiques publiques et administratives vers l’extrême droite.
« C’est de pire en pire », se désole Fatiha, qui milite au sein de l’Association de solidarité avec tou·te·s les immigré·es (Asti) de Colombes. Cette femme marocaine de 60 ans habite depuis quarante ans en France et a trois enfants français. Si elle dit s’estimer plus chanceuse que les personnes qu’elle accompagne, car elle a « des papiers pour l’instant », elle ajoute tout de même : « Qu’est-ce qu’il va se passer quand ma carte arrive à expiration ? Et s’ils ne me la renouvellent pas ? »
Au sein de son Asti, elle constate les « bâtons dans les roues » déployés par l’administration française. Dernier exemple en date, ces tests de français qui deviennent obligatoires à partir de juillet 2025 pour l’obtention d’un titre de séjour, en application de la loi Darmanin. « C’est catastrophique, j’ai une collègue qui en a pleuré, explique-t-elle à Mediapart. Les gens font déjà tous les efforts pour essayer de lire les courriers qu’on leur envoie, comprendre ce qu’on leur demande, et après vous leur demandez d’avoir un niveau de français élevé ! Comment ils peuvent se débrouiller ? On cherche des prétextes, c’est tout. »
À quelques dizaines de mètres, Hakim fronce les sourcils vers l’horizon, d’un air résolu. « On a l’habitude d’être là », souligne celui qui s’est engagé depuis deux ans au sein de l’association Droits devant, présente avec ses nombreux drapeaux jaunes en début de cortège. Ce quadragénaire d’origine algérienne est en France depuis dix ans, et confie être passé par plusieurs avocats pour l’aider à obtenir la nationalité, sans succès. Alors, il continue de travailler la semaine dans le bâtiment, et de militer le week-end. « Les médias nous mettent tous dans le même sac. Bien sûr, il y en a qui font des bêtises, mais il y a des amalgames. »
Anne ne prend pas autant de pincettes. « On marche sur la tête ! Aujourd’hui, les fascistes sont les gentils, l’extrême droite va sauver les juifs… On vit un véritable effondrement », se désole-t-elle, insistant sur la nécessité de venir dans la rue pour montrer qu’il « n’y a pas que les tarés qui crient fort », en référence au battage médiatique des chaînes du groupe Bolloré. Elle est venue avec sa fille Sarah, dont le père est algérien. À 18 ans, c’est sa deuxième manifestation. « La première, c’est quand on nous a volé l’élection cet été », appuie sa mère, à propos de la victoire du NFP au second tour des élections législatives de juillet 2024. « Depuis, on a eu quoi ? Retailleau et Bayrou. »
Évelyne, militante à Attac, est un peu morose malgré la belle mobilisation de ce samedi. La pancarte qu’elle tient – un dessin de Vincent Bolloré avec les noms des multiples médias qu’il possède sous le slogan « Ça empire ! » – résume bien le sentiment de glissement idéologique vers l’extrême droite qu’elle ressent. « J’étais active en Mai-68, mes parents étaient résistants tous les deux, et j’ai l’impression que tous les idéaux auxquels on a cru sont attaqués. Ça va très vite », déclare la militante septuagénaire, qui cite notamment le durcissement des politiques migratoires par Bruno Retailleau.
Pour combler le tout, un membre de sa famille lui a écrit pour l’« incendier » en raison de l’absence de la lutte contre l’antisémitisme parmi les mots d’ordre affichés explicitement par la manifestation – « contre le racisme et le fascisme ». « Quand on lutte contre le fascisme, on lutte évidemment contre l’antisémitisme ! Mais beaucoup de gens ne le comprennent pas. Quand on critique Nétanyahou, on est vite qualifié d’antisémite », regrette-t-elle. Elle a bien sûr à l’esprit l’affiche représentant l’animateur Cyril Hanouna sous les codes des caricatures antisémites des années 1930, diffusée par La France insoumise (LFI), qui n’a pas aidé.
Rapidement supprimée des réseaux sociaux de LFI, elle a permis à l’extrême droite de faire campagne pour tenter de discréditer l’ensemble de la manifestation du jour. « À gauche, ça fait des dégâts. Sur un sujet aussi sensible, il faut faire attention. Je crains que ce ne soit difficile à raccommoder, à moins qu’ils n’arrêtent de mettre de l’huile sur le feu », juge Évelyne.
Dans le cortège, des collectifs de lutte contre l’antisémitisme – Golem et Tsedek – étaient présents. Plusieurs pancartes indiquaient aussi la volonté des marcheurs et marcheuses de rappeler l’importance de cet engagement, alors que le nombre d’actes antisémites recensés en France a été multiplié par quatre entre 2022 et 2024, soit 1 570 actes contre 436 il y a deux ans.
Alors qu’Israël a repris les massacres dans la bande de Gaza mardi 18 mars, la dénonciation des crimes de guerre commis par l’armée israélienne sous les ordres du gouvernement d’extrême droite de Benyamin Nétanyahou était aussi omniprésente. Tout au long de la manifestation, des drapeaux palestiniens et des appels à la paix ont fleuri. Le cortège des collectifs de solidarité avec la Palestine a été particulièrement suivi. Une agence de la BNP Paribas, premier financeur européen d’Israël, qui fait l’objet d’une campagne de boycott, a été taguée vers la place de la Bastille.
Derrière son camion d’où la playlist militante alternait entre Diam’s, Tagada Jones ou Aya Nakamura, des dizaines de ses responsables étaient présents – Jean-Luc Mélenchon, lui, était à Marseille (Bouches-du-Rhône), où il n’a pas pris la parole. « Notre objectif, vu la situation dans le monde, était d’en faire une manifestation de masse : c’est réussi », apprécie le député de Seine-Saint-Denis Éric Coquerel. Pour la députée de l’Essonne Claire Lejeune, cette marche doit être « le point de départ d’une grande riposte populaire » à la montée des idées racistes.
Face à ce qu’elle considère comme un « moment fascisant », elle rappelle qu’en juillet 2024, le peuple de gauche a « pris conscience que les idées du RN étaient assez fortes pour que la France bascule » et a empêché sa victoire aux législatives. Reste que, pour que la bascule s’opère dans l’autre sens, le chemin est étroit, et la caricature de Cyril Hanouna a permis aux adversaires de LFI de l’amalgamer aux « héritiers de l’extrême droite ».
« Le retrait de cette affiche dit notre compréhension de ce qu’elle a provoqué chez les gens, défend Claire Lejeune. Nous nous opposons à toutes les formes de racisme, et la lutte contre l’antisémitisme doit être au premier plan dans cette riposte. Elle a toujours été présente, mais il faut l’expliciter et en faire un élément actif de notre bataille. »
Derrière le cortège bien fourni des Insoumis, ceux des Écologistes et du Parti socialiste (qui organisait le même jour un événement sur la « France » à Toulouse) étaient plus clairsemés. La députée de Paris Sandrine Rousseau s’est félicitée de voir cette « France qui résiste, dans une période où il y a une glissade par jour avec Bruno Retailleau au ministère de l’intérieur ».
La secrétaire nationale des Écologistes, Marine Tondelier, a rappelé la prégnance du racisme dans la société française en évoquant le cas de Djamel, tué par un militant de la Brigade française patriote (BFP) à Dunkerque (Nord) en août 2024. La victime avait déposé trois plaintes pour des injures racistes contre l’homme qui l’a finalement tuée. « On est dans une société devenue somnambule », affirme Marine Tondelier.
Le réveil a-t-il commencé ce 22 mars ? Des manifestant·es ont dénoncé, en fin de rassemblement, des initiatives policières agressives visant à scinder le cortège au niveau des collectifs de sans-papiers et à créer la confusion. « Des gars de la BRAV-M avec des casques blancs et noirs ont délibérément coupé le cortège, on a commencé à sentir des lacrymo, ça a fait peur à tout le monde », relate une participante à Mediapart. « On a peur de tomber dans un terrible obscurantisme. Aujourd’hui, on peut encore manifester. Le pourra-t-on encore après ? », interrogeait un peu plus tôt Évelyne, la militante d’Attac.
Mathieu Dejean et Marie Turcan
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