« Monsieur Bayrou, c’est grave » Françoise Gullung, prof de maths à Bétharram en 1995

vendredi 4 avril 2025.
 

Dans toute la région, « Bétharram avait l’image d’une “boîte à claques” ». C’est précisément, lui avait-il expliqué, pour changer cette image qu’en 1994, le directeur avait souhaité recruter Françoise Gullung. À l’époque, la professeure de mathématiques – qui a passé toute sa carrière dans l’enseignement privé – venait de se former aux métiers de la direction d’établissement. Le plan, à Bétharram, c’était qu’elle commence comme enseignante avec, très vite, un poste d’adjointe qui lui était promis.

Mais les choses ne se sont pas passées ainsi, comme elle l’a raconté jeudi 26 mars devant la commission d’enquête parlementaire : cette septuagénaire volubile, au vocabulaire délicatement suranné et à la morale affirmée, explique qu’en quelques semaines elle est devenue la gêneuse, la lanceuse d’alerte dont il fallut d’abord se débarrasser, avant de la faire payer pour avoir voulu briser l’omerta.

Elisabeth Bayrou, femme de ministre et « faire-valoir de Bétharram »

Devant la commission, Françoise Gullung – qui, depuis trente ans, n’a quant à elle jamais varié dans ses déclarations – a rappelé et précisé des faits déjà connus. Devant elle, des élèves étonnamment « fatigués, ternes, passifs », qui parfois s’endorment en plein cours et lui expliquent qu’il y a eu « des problèmes à l’internat », la nuit précédente. Que le surveillent « a gueulé, a tapé ». Qu’en vérité certains, pour des broutilles, ont été obligés à passer plusieurs heures au garde-à-vous devant leur lit, au lieu de dormir. Des pratiques que l’infirmière de l’établissement lui confirme.

Puis c’est la fameuse scène – « deux ou trois semaines après la rentrée », précise-t-elle – où, en se perdant dans les couloirs, elle devient le témoin auditif de violences exercées par un adulte sur un élève, en la compagnie imprévue d’Élisabeth Bayrou. Mais la femme de celui qui est alors le ministre de l’Éducation nationale, celle que Françoise Gullung décrit comme « le faire-valoir de Bétharram », a l’air de trouver cela parfaitement normal…

À une cérémonie, François Bayrou est présent. Françoise va le voir : « Monsieur Bayrou, il faut faire quelque chose. »

Dès le début 1995, l’enseignante multiplie les alertes : elle écrit au ministre, justement, mais aussi au médecin de la PMI (protection maternelle et infantile), à la direction diocésaine de l’enseignement, au tribunal, à la gendarmerie – où elle s’entend répondre « on sait, on sait… ». Sans effet. Ou presque, puisque la seule personne qui la contacte est « un représentant de la direction diocésaine », qui lui explique que si elle veut rester dans l’enseignement catholique, il lui faut « oublier tout ça »…

Mais Françoise Gullung n’est pas du genre à baisser les bras – même si, devant la commission, elle se reproche de « ne pas en avoir fait assez ». À une cérémonie de remise de médaille, François Bayrou est présent ? Elle va le voir : « Monsieur Bayrou, c’est grave, il faut faire quelque chose. » Et s’attire pour seule réponse un évasif : « On exagère ».

Peu avant Noël 1995, elle apprend que deux élèves ont passé la nuit dehors, dans le froid glacial. « C’est de la torture, de la barbarie, s’indigne-t-elle. J’abandonne toute prudence ». Elle explique à ses élèves comment contacter le 119 (numéro d’appel enfance en danger), leur conseille d’en parler à leurs parents, à leur famille… Début 96, certaines commencent à s’inquiéter et à se manifester. L’enseignante devient alors la cible : « Le surveillant général et le directeur m’ont sommée de demander ma mutation. » Elle refuse.

Brimades, pressions, menaces et inspection sur mesure

Elle se dit dès lors l’objet de « lazzis » quand elle se déplace dans l’établissement. Sa voiture est abîmée. Elle reçoit des coups de téléphone menaçants. Bousculée et jetée au sol un jour par un groupe d’élèves, alors qu’elle traverse la cour, elle s’en relève avec des fractures de la face, qu’elle fait constater à l’hôpital. Pour elle, l’incident ne doit rien au hasard et tout à la volonté du surveillant général, présent lui aussi dans la cour. C’est au cours de l’arrêt de travail qui suit ses blessures qu’est déclenchée la fameuse inspection, débouchant sur un rapport de trois pages où l’établissement est présenté comme sans problème… hormis elle-même, cible principale.

Le député Paul Vannier (FI), corapporteur de la commission, rappelle qu’il y est préconisé de « trouver une solution pour que Madame Gullung n’enseigne plus dans cet établissement ». Il révèle aussi un courrier, trouvé lors du déplacement de la commission dans l’établissement, les 17 et 18 mars, où le directeur de Bétharram et le recteur de Bordeaux discutent de la possibilité de la renvoyer.

De guerre lasse, Françoise Gullung quitte l’établissement à l’été. À la rentrée, elle retrouve un emploi dans un autre établissement privé situé à Saintes (Charente-Maritime). Où elle déchante très vite : on ne lui confie que de rares heures de cours de mathématique, et surtout des heures de surveillance. Devant son mécontentement le père Vaillant, qui dirige l’établissement, lui jette : « Mais vous n’avez pas compris que vous êtes là pour venger mon ami Carricart ? » (le directeur de Notre-Dame de Bétharram jusqu’en 1993, qui sera mis en examen pour viol sur mineur en février 1998).

La vindicte ne cessera plus de poursuivre la lanceuse d’alerte. À 60 ans, atteinte d’un cancer, elle se voit refuser un mi-temps thérapeutique après une lettre du médecin du rectorat qui la décrit comme « dérangée ». Elle veut alors faire valoir ses droits à la retraite, mais le même rectorat lui envoie un décompte de carrière où il lui manque quatre ans…

Des établissements sous contrat mais hors des contrôles

Pourtant, en l’écoutant aujourd’hui, on ne décèle chez elle nulle aigreur ni volonté de vengeance. Ce qui semble toujours la choquer, toutefois, en dehors des faits de violence, c’est le silence de ses collègues de l’époque et leur acceptation des pratiques en vigueur à Bétharram. Qu’elle explique par « le système d’embauche dans l’enseignement catholique » : des enseignants « le plus souvent vierges de toute expérience professionnelle, souvent d’anciens élèves », qui trouvaient là une carrière confortable, voire inespérée. Et qui étaient « totalement ignorés du rectorat », sans jamais la moindre inspection pédagogique. Une défaillance du contrôle déjà pointée dès les premières auditions de la commission, et qui n’a sans doute pas fini d’être mise en cause.


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