Wauquiez-Retailleau : les deux faces d’une même droite

mercredi 7 mai 2025.
 

Candidats à la présidence du parti LR, le ministre de l’intérieur et le député de Haute-Loire investissent le même créneau politique, focalisé sur les questions migratoires et identitaires. Comme l’ultime symbole du rétrécissement idéologique de la droite.

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L’opuscule fait une trentaine de pages à peine, mais dans l’esprit de son auteur, c’est le contenant qui compte : un titre choc sur l’islamisme, ce mal auquel il ne faut « rien céder ». À paraître aux Éditions de l’Observatoire le 30 avril, à deux semaines de l’élection du président du parti Les Républicains (LR), le prochain livre de Bruno Retailleau raconte en creux la focalisation de sa famille politique sur les sujets liés à l’immigration et à l’islam.

Son concurrent, Laurent Wauquiez, dévale la même pente. Lundi 21 avril, il invoque Charles Pasqua sur le réseau social X pour appeler à « terroriser les terroristes ». Et, à longueur d’interview et de meeting, il assure le service après-vente d’une proposition qui a fait tousser jusqu’à ses plus proches : l’ouverture d’un centre de rétention administrative à Saint-Pierre et Miquelon pour isoler des étrangers en situation irrégulière jugés dangereux, en attendant l’exécution de leur obligation de quitter le territoire français (OQTF).

Leurs propositions diffèrent sensiblement, mais les deux candidats à la présidence de LR ont choisi d’emprunter le même sillon dans leur campagne interne. Reconstruire un grand mouvement, exhiber une fermeté toujours plus vive sur les sujets dits « régaliens » et redonner au parti ses lettres de noblesse – ainsi qu’un candidat à la présidentielle : Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau promettent aux adhérent·es LR, de tribune en tribune, des lendemains bien ressemblants.

Si les campagnes internes n’ont jamais été des grands moments de clarification programmatique, le cru 2025 n’oppose même plus, comme il était d’usage, différentes sous-familles de la droite : libéraux contre souverainistes, modérés contre radicaux… Même les écuries issues du siècle dernier n’ont plus cours. Cette année, les deux concurrents sont sur le même créneau : très à droite. « Il est très difficile de différencier les deux sur le plan idéologique », résume Émilien Houard-Vial, politiste et spécialiste de LR.

Auteur d’une thèse, soutenue en 2024, sur la production idéologique au sein du parti de droite, le chercheur développe : « Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau sont tous les deux issus de la partie la plus droitière de LR. Leurs discours et leurs options sont sensiblement les mêmes : une droite qui se veut forte, décomplexée, très radicale sur les sujets d’immigration. Ce n’est clairement pas sur les idées qu’ils se distingueront auprès des militants. »

Chez Retailleau, le mérite de la constance

Au milieu de cette gémellité idéologique, la campagne interne se résume pour l’heure à une recherche de distinction. Laurent Wauquiez a d’abord tenté de trouver son chemin en attaquant le statut de ministre de son concurrent. « À lui le gouvernement, à moi le parti », a expliqué en substance l’ancien président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, attaquant le manque de « liberté de parole » de Bruno Retailleau. L’argument, martelé par ses soutiens pendant des jours, a été discrètement abandonné au fil de la campagne, la faute à l’indifférence avec laquelle l’a accueilli la base militante.

À présent, la stratégie du camp Wauquiez est de dépasser le mur du son médiatique. D’où la fameuse proposition sur les OQTF, qui occupe désormais l’essentiel du temps de parole que lui consacrent les télévisions et les radios. « Est-ce que c’est la campagne qui vous conduit à raconter n’importe quoi ? », s’est vu demander le député, président du groupe Droite républicaine (DR), mercredi 23 avril sur France Info.

Bruno Retailleau n’est pas plus décidé à jouer le bras de fer idéologique au cours de cette campagne. Depuis son entrée en lice, le ministre de l’intérieur se comporte comme le favori qu’il est : faire le moins de fautes possible, gérer son avance, cultiver sa stature. Quel intérêt aurait-il à cliver dans son propre camp, alors qu’il est soutenu tant par les anciens chiraquiens – Valérie Pécresse ou Jean-François Copé – que par le très libéral David Lisnard, le très conservateur François-Xavier Bellamy et même par l’ancienne égérie de La Manif pour tous, Frigide Barjot, aperçue en meeting à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) ?

Retailleau est une des dernières personnalités de droite inscrites dans une vraie matrice idéologique : le conservatisme catholique.

Émilien Houard-Vial, politiste et spécialiste de LR

Ce jour-là, comme à chacune de ses réunions publiques, Bruno Retailleau a exposé ce qu’il imagine être son principal atout face à Laurent Wauquiez : sa constance. « Je ne changerai pas de conviction », martèle-t-il, comme pour critiquer en creux son concurrent, arrivé à la droite du parti après des débuts centristes.

« C’est la crise de la parole publique, déplore régulièrement le ministre de l’intérieur. Les mots n’ont plus de sens parce qu’ils ne portent pas de convictions. Quand les mots sont insincères, ils tombent à terre sitôt sortis des lèvres. »

À défaut d’espace politique singulier, les soutiens de Bruno Retailleau misent sur l’antériorité de ses positions pour remporter, d’abord, la bataille de l’estime. « Le duel est asymétrique, raille une des têtes pensantes du parti, qui a travaillé avec les deux. Retailleau a des convictions libérales-conservatrices bien identifiées. Chez Wauquiez, rien n’est très identifié. Il change d’avis comme de chemise. Il est constamment dans le coup politique, le nez dans les sondages : en ce moment, son truc, c’est le discours trumpien, anti-wokiste, voire anti-institutions. Il a un rapport aux idées un peu plus mouvant. »

Au parti, personne n’a oublié que Laurent Wauquiez a débuté sa carrière politique dans l’ombre du centriste Jacques Barrot avant de tenter d’occuper, alors ministre de Nicolas Sarkozy, le créneau de la droite sociale. Le voilà désormais à la droite de la droite, cet espace dont Bruno Retailleau n’a jamais bougé. « Retailleau est une des dernières personnalités de droite inscrites dans une vraie matrice idéologique : le conservatisme catholique », pointe Émilien Houard-Vial.

Des clivages réels mais enfouis

Pour l’ancien député Julien Aubert, le ministre de l’intérieur crante, du fait de sa position institutionnelle, les valeurs d’autorité chères à la droite. « Il incarne le point fort de la droite : l’ordre et la lutte contre l’immigration, note l’élu du Vaucluse, qui le soutient dans la campagne interne. Forcément, sur ces sujets-là, c’est vers lui que nos électeurs se tournent aujourd’hui. »

Sur le plan des idées, Bruno Retailleau traîne également une réputation flatteuse dans son camp. « Il lit tout ce qui s’écrit à droite, il rencontre les gens, il demande des notes, il s’intéresse, note l’interlocuteur cité plus haut. Chez Wauquiez, la priorité, c’est de passer des messages qui soient clairs et compréhensibles. D’où le populisme anti-État profond, anti-ZFE [zones à faibles émissions – ndlr] qui s’exprime chez lui. C’est la continuité de son discours sur l’assistanat. »

Le temps de la campagne interne serait donc celui de l’affirmation identitaire et du casting. Tant pis pour les grands débats qui continuent d’agiter la droite, totalement absents de la campagne interne. Désormais au pouvoir, LR prend soin de ne pas étaler ses divisions. Elles ne sont pourtant pas minces. Que proposera le parti, en 2027, sur les questions économiques, alors que la réforme des retraites Borne-Dussopt a déchiré ses groupes parlementaires ?

De la même façon, les sujets sociétaux continuent de diviser une formation encore empreinte de son ancrage religieux. Le projet de constitutionnalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), finalisé au printemps 2024, a partagé les groupes de droite – et d’extrême droite – entre votes « pour », abstentions, et votes « contre ». Le texte sur la fin de vie, qui arrive à l’Assemblée nationale en mai et que Bruno Retailleau a qualifié de « texte d’abandon », promet déjà les mêmes clivages.

Ilyes Ramdani


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