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Donald Trump est de retour à la Maison-Blanche depuis janvier 2025. Et avec lui, la relance d’une guerre commerciale à grande échelle : tarifs douaniers massifs, pression sur la Fed, bras de fer avec Pékin, et protection féroce des rentes des géants américains. Mais derrière le slogan du « Made in America » se profile une autre réalité : celle d’un impérialisme économique en perte de vitesse, prêt à faire vaciller l’équilibre mondial pour contenir l’ascension de la Chine. Une stratégie de blocage, de coercition et de repli, qui dessine un nouveau visage du capitalisme américain : plus autoritaire, plus instable, et plus brutal. Lors d’un déplacement au Canada et aux États-Unis, Jean-Luc Mélenchon a fustigé, de conférences en interviews, l’obscurantisme trumpiste.
En avril 2025, l’administration Trump annonce une hausse des droits de douane allant jusqu’à 145 % sur certains produits chinois. Cela concerne des secteurs aussi divers que les textiles, l’électronique, les batteries et les véhicules électriques. Il s’agit de l’une des offensives tarifaires les plus massives de l’histoire récente, sans précédent depuis les grandes mesures protectionnistes prises pendant la Grande Dépression, notamment le Smoot-Hawley Tariff Act de 1930.
Selon le Peterson Institute for International Economics, les tarifs imposés par les États-Unis sur les importations en provenance de Chine couvraient environ 66,6 % des importations chinoises. En retour, la Chine applique des tarifs de 125 % sur le soja, le maïs, la viande, les semi-conducteurs et les biens de consommation américains.
Selon les dernières estimations de la Tax Foundation pour 2025, ces tarifs devraient réduire le revenu net moyen après impôt de 1,2 %, représentant une augmentation d’impôt de 1 243 dollars par ménage américain, et entraîner une baisse du PIB des États-Unis de 0,8 % pour les consommateurs et les entreprises américaines, avec un impact négatif sur l’emploi et le PIB. Derrière le discours sur le « Made in America », il s’agit aussi d’un levier politique : nourrir un climat de confrontation commerciale avec la Chine, agiter le spectre de la dépendance stratégique, et mobiliser un électorat inquiet du déclin industriel.
C’est une stratégie typiquement autoritaire, voire proto-fasciste : créer un ennemi extérieur pour expliquer les difficultés internes, désigner des boucs émissaires étrangers à la désindustrialisation, et détourner l’attention des véritables causes du déclin américain : inégalités internes, financiarisation de l’économie, et sabotage des protections sociales, déjà bien faibles aux États-Unis.
Mais dans les faits, ces politiques tarifaires accélèrent surtout la réorganisation des chaînes de valeur vers d’autres pays d’Asie ou d’Amérique latine, sans bénéfice clair pour l’industrie américaine.
La domination du dollar, symbole de l’hégémonie américaine depuis 1945, commence à vaciller. Si la devise américaine reste aujourd’hui la principale monnaie de réserve mondiale, sa part dans les réserves de change mondiales est passée de 70 % en 2000 à environ 60 % en 2024, selon les données du FMI. Cette érosion lente mais continue est le symptôme d’un rééquilibrage plus profond.
En parallèle, l’euro, pourtant annoncé comme un rival potentiel, a vu sa part passer de 20 % à 15 % des transactions mondiales en 2024. Sa progression est donc non seulement restée très faible, mais elle est aussi en recul depuis 2010. Cela confirme que l’alternative au dollar ne viendra pas d’un Occident transatlantique fragmenté, mais du Sud global en recomposition.
Ce sont surtout les monnaies des pays émergents, et en premier lieu le yuan chinois, qui avancent. La Chine encourage activement l’utilisation du yuan pour les transactions internationales. En 2023, pour la première fois, le yuan a été plus utilisé que le dollar dans les paiements transfrontaliers de la Chine. Cette dynamique s’accompagne d’un mouvement plus large de dédollarisation, notamment porté par les BRICS.
Le conflit sino-américain s’inscrit dans une dynamique plus large : celle du fameux « piège de Thucydide », théorisé par Graham Allison. Quand une puissance établie (les États-Unis) voit monter une puissance rivale (la Chine), le risque de confrontation devient systémique.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes :
• En 2000, la Chine représentait 3,6 % du PIB mondial ; en 2024, elle atteint plus de 19,6 %.
• La Chine représente aujourd’hui plus de 28,7 % de la production manufacturière mondiale (contre 16,6 % pour les États-Unis).
• Le PIB américain croît lentement : la Fed projette une croissance réelle de seulement 1,7 % en 2025 (contre 2,1 % prévus en décembre 2024), selon les projections du FOMC publiées en mars 2025. Pendant ce temps, celui de la Chine continue à croître au-dessus de 4,5 % malgré les sanctions et délocalisations.
Face à cette montée en puissance, la stratégie de Trump est d’empêcher le développement technologique de la Chine. Cela passe par l’interdiction de Huawei et d’autres grandes entreprises technologiques sur le territoire américain, la pression sur ses alliés pour exclure les technologies chinoises des infrastructures stratégiques (comme la 5G), la limitation des investissements chinois dans les entreprises tech américaines, ainsi que par des sanctions extraterritoriales contre des firmes utilisant des composants ou logiciels américains.
Mais loin de stopper la montée en puissance chinoise, ces mesures ont poussé la Chine à accélérer ses efforts de substitution technologique, de recherche souveraine, et de développement d’une autonomie stratégique dans les domaines clés. Le résultat est une fragmentation accrue des chaînes de valeur mondiales, une militarisation des flux commerciaux et une instabilité géoéconomique croissante.
Ces enjeux géopolitiques ne sont pas ignorés de la gauche de rupture. En avril 2025, Jean-Luc Mélenchon s’est rendu en Amérique du Nord pour alerter sur les dérives autoritaires du trumpisme. Ce déplacement s’inscrit dans une volonté affirmée de construire un dialogue transatlantique entre les forces progressistes, face à la montée des régimes autoritaires et à la dégradation de l’ordre économique mondial.
Il y a aussi présenté et défendu son dernier livre Now, the People !, qui propose une refondation démocratique et écologique de l’ordre mondial. À New York, il a dénoncé la répression violente des manifestations étudiantes pro-palestiniennes, le durcissement réactionnaire des institutions américaines, et la montée d’un capitalisme de guerre racialisé. À Montréal, il a apporté un soutien clair au Canada et au Québec face aux menaces d’annexion proférées par Donald Trump, affirmant que la France ne pouvait rester neutre face à la résurgence d’un impérialisme décomplexé.
Surtout, il a réaffirmé le rôle de la France et de l’Europe dans la construction d’un nouvel internationalisme, en s’entretenant notamment avec Bernie Sanders. Les deux figures ont évoqué la nécessité de bâtir un front commun contre l’ordre néolibéral et impérial, au service d’un projet démocratique, écologique et populaire.
Ces interventions soulignent un point essentiel : la guerre commerciale menée par Trump n’est pas un accident. C’est une stratégie impériale, visant à maintenir l’ordre du monde au bénéfice d’une minorité dominante, et ce, par tous les moyens.
Au cœur de la confrontation commerciale et monétaire actuelle se joue un bras de fer décisif entre Donald Trump et la Réserve fédérale américaine. L’ancien président critique vigoureusement la politique de taux élevés menée par Jerome Powell, l’accusant de freiner la croissance et d’empêcher le retour de la grandeur économique américaine. Mais au-delà de la rhétorique se cache une stratégie claire : en forçant la Fed à baisser ses taux, Trump espère faire baisser le dollar pour doper les exportations et, surtout, soulager le poids immense de la dette publique américaine.
Avec une dette qui a dépassé les 35 000 milliards de dollars, le coût annuel du service de cette dette atteint des niveaux record, dépassant 1 000 milliards de dollars. Une baisse des taux apparaît donc comme une priorité stratégique pour maintenir l’équilibre budgétaire… ou du moins, repousser l’échéance.
Mais cette stratégie bute sur une contradiction fondamentale : les États-Unis émettent la monnaie de référence mondiale. Le monde entier a besoin de dollars pour commercer, investir et sécuriser ses réserves. C’est ce qui fonde le privilège exorbitant américain. Or, pour que le dollar reste dominant, les États-Unis doivent entretenir des déficits extérieurs structurels pour alimenter le système en liquidité.
C’est là qu’intervient le fameux paradoxe de Triffin : vouloir simultanément un dollar faible pour booster l’économie et maintenir son hégémonie globale est contradictoire. À court terme, cela semble séduisant pour réindustrialiser. À long terme, cela risque de miner la confiance dans la devise, d’encourager la dédollarisation et d’accélérer la fuite vers d’autres monnaies ou actifs refuges.
En avril 2025, le Dollar Index (DXY) est tombé à son plus bas niveau depuis 2021. Des États comme la Chine, la Russie, le Brésil ou l’Iran cherchent de plus en plus à facturer leurs échanges en yuan, rouble ou même or. Le yuan a dépassé le dollar dans les transactions transfrontalières chinoises. Et si ce mouvement reste partiel, il s’inscrit dans une dynamique de fond : le monde cherche à s’affranchir du dollar.
Face à cela, la stratégie de Trump n’est pas simplement chaotique ou idéologique : elle vise à sauver, à sa manière, un capitalisme américain en crise. Mais en jouant contre les règles de sa propre domination, il pourrait bien accélérer son déclin.
Trump ne cache plus son intention de subordonner la Réserve fédérale à ses objectifs politiques. En affirmant qu’il nommera un président de la Fed « loyal » s’il est réélu, il menace directement l’indépendance d’une institution-clé du capitalisme américain. Une Fed affaiblie, contrainte de suivre des injonctions électoralistes, pourrait accélérer la défiance des investisseurs internationaux.
Car le socle du système-dollar repose sur la confiance dans les bons du Trésor américains. Or, plusieurs pays, à commencer par la Chine, réduisent progressivement leur détention. Ce désengagement progressif signale un basculement lent, mais stratégique.
Si la demande étrangère se tarit, la Fed devra monétiser la dette, fragilisant encore le dollar. C’est une spirale dangereuse : plus on affaiblit les garde-fous de la monnaie hégémonique, plus on alimente les dynamiques de fragmentation, de contournement, voire de chaos monétaire global.
Mais cette guerre commerciale n’est pas qu’économique : elle obéit à une logique néo-mercantiliste et à un usage stratégique du rapport de force. Trump veut réduire le déficit commercial en forçant les autres à acheter américain. Il refuse les logiques multilatérales pour leur préférer les accords individualisés, où il peut imposer ses conditions. Sa méthode : créer un choc, montrer qu’il peut faire peur… puis calmer le jeu. Ce bluff tactique est au cœur de son style diplomatique mais il n’est pas que bluff. Il vise à imposer un nouvel ordre fondé sur l’unilatéralisme, où les États-Unis fixent les règles.
C’est aussi ce qui explique la suspension, parfois temporaire, des droits de douane envers l’Union européenne : éviter une alliance Chine-Europe face aux États-Unis, forcer des concessions à Bruxelles, et semer la zizanie entre les pays membres. Les intérêts économiques entre États européens divergent fortement : l’Allemagne cherche à protéger son industrie automobile, la France ses filières agricoles, pendant que l’Italie se préoccupe des chaînes de sous-traitance. Trump joue habilement de ces contradictions internes pour diviser les Européens et les affaiblir collectivement.
Il peut aussi compter sur une partie des élites politiques et économiques du continent : la Première ministre italienne Giorgia Meloni, très alignée sur Washington, cherche à tirer profit d’un rapprochement direct avec l’administration Trump ; plusieurs gouvernements pro-OTAN défendent une soumission stratégique à la puissance américaine. Dans le même temps, des figures de l’extrême droite européenne – comme Viktor Orbán ou Éric Zemmour – affichent ouvertement leur admiration pour Trump, appelant à une convergence des droites nationalistes sous influence américaine.
Enfin, côté économique, certains grands patrons, à l’image de Bernard Arnault, défendent la création d’une vaste zone de libre-échange transatlantique, pendant qu’Emmanuel Macron répète à l’inverse qu’il ne faut pas se soumettre à la stratégie de Trump. Une alliance de fait se noue donc entre les grands intérêts capitalistes et les droites autoritaires, dans une logique de vassalisation assumée.
Cette logique de division et de choc n’est pas réservée aux adversaires extérieurs : elle s’applique aussi à l’intérieur des États-Unis. Comme l’analyse Jean-Luc Mélenchon dans l’Insoumission, Trump alimente les fractures internes du pays, exploitant les tensions historiques, raciales, économiques et régionales pour renforcer sa base politique. Plusieurs mouvements indépendantistes, en Californie, au Texas et en Alaska, connaissent une nouvelle vigueur.
La culture politique américaine, fondée sur un fort individualisme et une défiance structurelle envers l’État fédéral, alimente ces dynamiques de fragmentation et de remise en cause de l’unité nationale. Par ailleurs, la gauche américaine reste encore largement structurée autour du Parti démocrate, avec une ligne souvent trop libérale et modérée pour porter une alternative de rupture face au néolibéralisme ou au trumpisme. Ses divisions internes et son manque d’ancrage populaire limitent sa capacité à proposer un contremodèle politique crédible.
À l’exception de figures comme Bernie Sanders ou Alexandria Ocasio-Cortez, rares sont ceux qui défendent un projet systémique de transformation. Ainsi, lors de sa rencontre avec Bernie Sanders, Jean-Luc Mélenchon a souligné la nécessité de bâtir une gauche de rupture ambitieuse, capable de redonner au peuple le contrôle sur les choix économiques et démocratiques fondamentaux. Cette instabilité politique et culturelle structurelle, longtemps masquée par la puissance militaire et financière des États-Unis, resurgit aujourd’hui sous la pression de la crise profonde du capitalisme américain.
Et dans cette recomposition géopolitique, les profiteurs sont toujours les mêmes : les ultra-riches et les insiders. À chaque effondrement boursier provoqué par les tensions commerciales, c’est une opportunité d’achat massif pour ceux qui savent. Plusieurs membres de l’administration Trump ou proches du pouvoir ont été accusés d’avoir profité d’informations sensibles pour ajuster leurs portefeuilles juste avant des chocs boursiers. Les subventions à la relocalisation sont captées par les grandes entreprises. La guerre commerciale, au fond, est une reconfiguration de l’économie mondiale à leur avantage.
Ce n’est pas une guerre pour les emplois, mais une guerre pour les rentes et les privilèges. Une guerre de classe camouflée derrière un drapeau. Loin de « ramener les usines », Trump redessine une économie mondiale taillée pour les intérêts des grandes firmes américaines – à coups de brevets renforcés, de protection tarifaire ciblée, et de deals sur-mesure. Cette logique rappelle celle des “open door policies” du début du XXe siècle : forcer l’ouverture des marchés, tout en verrouillant l’accès technologique. Mais dans sa version trumpienne, l’unilatéralisme impérial s’accompagne d’un repli identitaire et raciste.
Trump prétend agir pour les ouvriers américains. Mais sa guerre commerciale protège avant tout les rentes privées. L’accord USMCA (remplaçant l’ALENA) a renforcé les droits de propriété intellectuelle au bénéfice des groupes pharma et tech. La guerre contre la Chine vise à empêcher les transferts technologiques, mais elle empêche aussi les pays du Sud de développer leurs propres industries. En verrouillant l’accès à la technologie, Trump empêche les pays du Sud de gravir les échelons du développement. La guerre commerciale devient aussi une guerre contre l’émancipation industrielle du reste du monde.
Comme le souligne Yanis Varoufakis, nous sommes entrés dans l’âge du « techno-féodalisme » : un moment où l’économie ne repose plus prioritairement sur la production industrielle ou les échanges de marché, mais sur le contrôle de l’infrastructure numérique, des plateformes, des données et des droits d’accès. Les profits ne viennent plus seulement de l’exploitation du travail, mais de la captation des usages et des comportements.
Dans ce modèle, les grandes entreprises tech ne vendent pas un produit : elles organisent l’accès à des services, des relations ou des environnements numériques, et prélèvent une rente sur chaque transaction, clic ou interaction.
Dans la lignée de cette analyse, l’économiste Cédric Durand parle d’un « capitalisme de plateforme », où la centralisation des données, des moyens de coordination logistique et de la gestion des interactions permet aux géants du numérique de transformer toute interaction en rente durable, sans produire eux-mêmes les biens qu’ils distribuent. Cette position d’intermédiation totale permet une accumulation sans précédent, où l’innovation sert surtout à verrouiller les positions dominantes.
En d’autres termes : Trump ne combat pas l’ordre néolibéral, il le fige dans sa forme la plus brutale : un capitalisme de rente et de surveillance, adossé à la puissance militaire et commerciale des États-Unis.
Le projet de Trump ne se limite pas à une stratégie commerciale : il consiste à recentraliser le pouvoir, affaiblir les contre-pouvoirs, et mettre l’État au service des intérêts privés, avec une touche assumée de suprémacisme blanc et de conservatisme social. Cela passe par la répression des syndicats, le recadrage de la justice, la militarisation des frontières et de la police, et un culte de la force nationale. Le démantèlement des protections sociales et la criminalisation des mouvements sociaux permettent aussi de maintenir une armée de réserve de chômeurs disciplinés, mis en concurrence les uns avec les autres, au bénéfice du patronat.
Il ne s’agit pas d’un excès irrationnel. Trump n’est pas fou : il agit ainsi parce que le capitalisme américain est en crise structurelle. C’est cette crise qui explique la brutalité des réponses : pour restaurer artificiellement des marges devenues étroites, le capital américain mise désormais sur la rente, la contrainte géopolitique, et l’État fort, au détriment de toute logique démocratique ou coopérative. Le taux de profit industriel est en déclin : selon les données du Bureau of Economic Analysis, le taux de profit net des sociétés non financières américaines a fortement chuté de la fin des années 1960 à la fin des années 1970. Depuis lors, le taux de profit net avant impôts est resté structurellement faible, oscillant entre 6 % et 8 %, avec des variations cycliques.
En revanche, le taux de profit net après impôts s’est redressé après la crise de 2008, essentiellement grâce aux politiques de baisse d’impôts et de hausse des subventions aux entreprises. Ce contraste illustre une dynamique où la rentabilité industrielle repose de plus en plus sur les transferts publics, et non sur une performance économique durable. L’économie est devenue dépendante de la finance et de la tech. La désindustrialisation a ravagé les classes populaires. Et les déficits extérieurs, notamment avec la Chine, sont devenus chroniques.
Une autre voie est pourtant possible. Elle ne consiste ni à imiter la logique impériale de Trump, ni à défendre un libre-échange naïf, mais à réinventer les fondements mêmes des politiques économiques internationales : souveraineté réelle, démocratie économique, et répartition équitable du pouvoir dans les institutions financières mondiales.
Le protectionnisme solidaire, démocratique et écologique est la seule alternative. Il ne s’agit pas de dresser des murs, mais de reconstruire des filières locales et de planifier la relocalisation des productions stratégiques (santé, énergie, agriculture). Il s’agit de sortir du chantage du dollar et de construire des zones de coopération. Il faut aussi s’attaquer au cœur du système américain : ses plateformes technologiques et son arsenal de droits de propriété intellectuelle, qui verrouillent l’accès au savoir et aux innovations. Cela suppose de rompre avec les accords qui sanctuarisent ces privilèges, et de promouvoir des biens publics numériques mondiaux.
Instaurer un impôt universel sur les multinationales numériques : Les GAFAM engrangent des milliards de chiffre d’affaires en Europe mais paient très peu d’impôts grâce à l’optimisation fiscale. Un impôt universel sur leur chiffre d’affaires local permettrait de :
• Les taxer là où elles opèrent réellement,
• Financer les services publics sans peser sur les classes populaires,
• Mettre fin à une injustice fiscale structurelle.
Taxer la propriété intellectuelle dominée par les USA : Les rentes issues des brevets, marques, logiciels et licences représentent jusqu’à 40 % du PIB mondial, dont une grande partie est captée par les multinationales américaines. Taxer l’utilisation locale de ces actifs immatériels, c’est :
• Frapper le capital américain sur un point stratégique mais peu délocalisable,
• Encourager la production de savoirs libres, de logiciels publics et de créations locales,
• Délégitimer une forme de domination invisible mais redoutablement efficace.
Relocaliser de manière sélective et coopérative : Les recettes issues de ces taxes pourraient financer :
• La relocalisation de secteurs stratégiques (santé, énergie, numérique, agriculture),
• Le développement d’alternatives publiques, coopératives et écologiques,
• Des partenariats internationaux hors de l’orbite américaine, entre États du Sud et du Nord.
Ce protectionnisme solidaire ne vise pas à se replier sur soi, mais à reprendre la maîtrise de nos interdépendances. Il permet de garantir des droits sociaux, de réduire l’empreinte carbone, et de sortir de la logique de dépendance unilatérale à l’égard des États-Unis.
Un tel projet ne se contente pas de réagir aux offensives de Trump : il permet de reconstruire une autonomie industrielle, sociale et écologique, sur des bases justes, durables et démocratiques.
Un autre levier est celui des bons du Trésor américains : en réduisant leur détention ou en les remplaçant progressivement par des obligations multilatérales ou des monnaies alternatives, les pays du Sud peuvent se libérer de la dépendance au dollar. La construction d’une souveraineté monétaire et productive passe par là.
Enfin, il est urgent de repolitiser les institutions internationales – FMI, OMC, ONU – aujourd’hui dominées par les intérêts du Nord global. Le multilatéralisme ne peut redevenir crédible que s’il sert un nouveau pacte international : accès équitable aux financements, droit au développement, justice fiscale et soutien à la bifurcation écologique. Cela suppose d’imaginer de nouveaux outils collectifs au service de l’autonomie productive, éducative et sanitaire des pays du Sud, plutôt que de perpétuer leur subordination aux logiques de rente et d’extraction. Une coalition mondiale pour sortir de la dépendance au dollar pourrait devenir le socle d’un nouvel ordre monétaire international, fondé sur la stabilité, la coopération et la décolonisation financière.
Derrière la guerre commerciale de Trump, il n’y a ni souveraineté retrouvée, ni protection des classes populaires, encore moins une réponse durable à la crise du capitalisme. Il y a la peur d’un basculement historique, où les États-Unis cesseraient d’être la puissance hégémonique incontestée. Pour préserver leur domination, l’administration Trump est prête à compromettre la stabilité monétaire mondiale, à instrumentaliser la guerre économique comme levier géopolitique, et à verrouiller l’accès au savoir et à la technologie.
Mais la véritable alternative ne se situe pas dans la nostalgie industrielle ou le repli national. Elle consiste à bâtir un nouvel ordre économique international, fondé sur la justice fiscale, la démocratie technologique, et la souveraineté partagée. Il ne s’agit pas simplement de résister, mais de reprendre l’initiative : reconquérir nos outils de production, relocaliser sans exclure, coopérer sans se soumettre, taxer sans punir.
Ce que Trump révèle brutalement, c’est la crise d’un monde fondé sur l’hyperpuissance américaine. Pour y répondre, il ne suffit pas d’être « contre Trump ». Il faut bâtir activement une souveraineté partagée, fondée sur la solidarité, la justice et l’émancipation. Il faut proposer un autre ordre international, fondé sur la coopération, la régulation des flux financiers et commerciaux, et la reconquête des communs. Il est temps de tourner la page de l’Empire, et d’écrire, enfin, celle des peuples.
Par Elias Peschier
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