Un an après les émeutes des banlieues : un bilan avec trois élus socialistes

samedi 23 décembre 2006.
 

Un an après les émeutes, bien des engagements gouvernementaux et une loi dite “d’égalité des chances”, la détérioration continue de la situation dans les quartiers s’accompagne d’une augmentation sensible de la violence, y compris contre les forces de l’ordre. Au point qu’élus locaux et acteurs associatifs dénoncent, sans détours, la remise au pas des associations de proximité et l’absence criante de moyens alloués à la politique de la ville. Laquelle regorge de dispositifs qui se sont peu à peu empilés et dont l’efficacité est difficilement quantifiable. Décryptage par Vincent Léna, secrétaire national du PS à la solidarité urbaine, Delphine Batho, secrétaire nationale du PS à la sécurité et Franck Pupponi, maire de Sarcelles et vice-président de la FNESR.

2007 : LA DERNIERE CHANCE POUR VIVRE ENSEMBLE DANS NOS VILLES

par Vincent Léna, secrétaire national à la solidarité urbaine

Un an après les plus graves émeutes urbaines que notre pays ait connu, le désespoir s’est accru dans les quartiers populaires, ce qui me fait craindre le pire, avec beaucoup d’élus de banlieue. Le pire, ce n’est pas tant l’approche compassionnelle du gouvernement, qui a rétabli quelques rares crédits aux associations, que le mépris dans lequel il tient les habitants des quartiers, notamment les plus jeunes, instrumentalisés pour faire peur au pays et transformer la question sociale en problème d’ordre public.

Le gouvernement a abandonné les quartiers à leur sort depuis 2002. Chasser les pauvres des villes riches et remplacer la police de proximité par des compagnies de CRS : voilà le bilan de la droite, qui se traduit par un niveau de violence sans précédent.

Parce que les inégalités dans nos villes sont devenues insupportables et qu’elles menacent notre cohésion sociale, la « solidarité urbaine » est au cœur du projet socialiste. Nos propositions sont les plus ambitieuses jamais imaginées pour éviter de basculer dans la ville du repli communautaire, de l’injustice et de la violence :

- Pour vivre ensemble, il faudra mettre un terme aux discriminations qui frappent les habitants des quartiers. Et donner aux élus, au service public, aux associations les moyens nécessaires pour assurer aux quartiers l’égalité et la dignité. La priorité sera de faire confiance à la jeunesse en consolidant la carte scolaire pour permettre la mixité, en offrant les conditions d’une éducation d’excellence, et en donnant à tous droit de cité ;

- Pour corriger les inégalités et faire reculer la violence, il faudra un effort national de solidarité, pour ouvrir les villes et construire de nouveaux quartiers, en imposant notamment 20% de logements sociaux dans chaque commune, en développant les transports et l’accès à l’emploi, aux services publics ou à la culture.

Il nous reste à faire savoir que l’espoir est de retour, et que l’appel désespéré de l’automne 2005 n’est pas resté sans écho.

« UN BILAN CATASTROPHIQUE »

Delphine Batho, Secrétaire nationale en charge de la sécurité.

Selon un bilan publié par l’Observatoire national de la délinquance, les violences contre les personnes ont augmenté de 6,2 % en septembre. Ces mauvais chiffres ne placent-ils pas le ministre de l’Intérieur face à ses contradictions ?

Ils traduisent la faillite de la politique de sécurité de Nicolas Sarkozy. Au-delà des statistiques, il y a la réalité crue d’une insécurité de plus en plus violente.

Le calme n’est pas revenu depuis novembre 2005 : les violences s’intensifient, il y a une escalade dans la gravité des actes commis, avec de nouvelles formes de violence, comme ces agressions filmées qui circulent ensuite sur Internet. Le gouvernement ne maîtrise plus la situation. La multiplication des agressions visant policiers et pompiers témoigne d’un climat de tension qui dégénère. C’est pourquoi les socialistes demandent la création immédiate d’une commission d’enquête parlementaire sur la situation dans les banlieues. Un an après les émeutes, elle permettrait de dire toute la vérité sur la situation explosive qui s’est installée et l’indigence des mesures prises par la droite.

Depuis 2002, les atteintes volontaires à l’intégrité physique n’ont fait qu’augmenter. Plutôt inquiétant...

Elles ont augmenté de plus de 27 % en quatre ans. Les dégâts de la politique de la droite ont eu une incidence directe sur la montée de la violence. La ségrégation sociale et ethnique des populations, la précarité généralisée, les coupes budgétaires visant l’école, les associations et tous les acteurs de terrain, ont contribué à fabriquer une délinquance de masse. S’y s’ajoutent la crise de la justice, qui entretient un sentiment d’impunité, et les conséquences de la suppression de la police de proximité. Le gouvernement a cédé du terrain face aux délinquants, tandis que les rapports entre la police et la population sont très dégradés. La police apparaît comme un élément extérieur aux quartiers, dont la moindre intervention peut tourner à l’épreuve de force. Le bilan est catastrophique.

“UN AN APRES”

François Pupponi, maire de Sarcelles, conseiller général du Val d’Oise et vice-président de la FNESR

Bien que Sarcelles n’ait pas fait la « une » des journaux au moment des émeutes, la ville est devenue un symbole. Comment avez-vous vécu les événements de l’automne dernier ?

De l’extérieur, car il ne s’est rien passé à Sarcelles. Mais les images diffusées à la télévision et les rumeurs ont quand même renforcé notre inquiétude. Ce qui a créé un cocktail de fierté et d’anxiété.

Si on met en parallèle les discours et les promesses faites depuis un an avec la réalité que vous vivez quotidiennement, peut-on dire que « ça change » ?

Nous sommes encore dans l’expectative. L’argent qui avait été promis n’est toujours pas arrivé. Les dispositifs annoncés qui devaient remplacer les contrats de ville ne sont toujours pas déployés. En dépit de nombreuses promesses, rien n’a changé.

Comment analysez-vous la politique des ministres Villepin, Borloo, et Sarkozy ?

Jean-Louis Borloo commet une erreur en changeant les outils de la politique de la ville de cette manière, parce qu’ils modifient toutes les structures au plan local. Cela ne peut que générer des inquiétudes. Sarkozy met les policiers en première ligne, au point que la tension s’accroît. Il y a un climat de guérilla urbaine larvée, alimenté par des groupes minoritaires. Mais, cette gestion calamiteuse fait que les policiers sont sur le front pendant que les maires sont pris en « sandwich ». On leur demande de faire leur travail sans les moyens qui vont avec.

La gauche saura-t-elle gérer l’éventuelle surenchère sécuritaire de la droite alors que les élections approchent ?

Seul un gouvernement de gauche pourra mettre un terme à cette surenchère de la violence, en rassurant les élus et en leur donnant les moyens de mener une vraie politique de la ville et de solidarité urbaine, en rétablissant notamment la police de proximité. Ce qui, pour l’heure, est loin d’être le cas.

Interviews recueillis par Pierre Kanuty, Fanny Costes et Bruno Tranchant


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