Le Pakistan en danger L’assassinat de Benazir Bhutto ruine la stratégie de Washington (Le Monde)

jeudi 3 janvier 2008.
 

1)Comprendre le contexte de l’assassinat de Benazir Bhutto

2) Déclaration du Labour Party Pakistan sur l’assassinat de Benazir Bhutto

3) Le Pakistan en danger

4) L’assassinat de Benazir Bhutto ruine la stratégie de Washington

5) Des centaines de milliers de Pakistanais se rendent aux funérailles de Benazir Bhutto

6) Un attentat que « la Sultane » redoutait : « J’en rendrai Musharraf responsable »

7) Pakistan : la révolte de la société civile Article du 12 décembre 2007

8) Pakistan : même l’unité de la Fédération est en péril

1)Comprendre le contexte de l’assassinat de Benazir Bhutto

On vient d’assassiner Benazir Bhutto comme on a abattu ses deux frères Murtaza et Shahnwaz et pendu son père Ali Bhutto. Tragique destin donc que celui des Bhutto. Il est difficile de dire aujourd’hui à qui profite le crime. On ne saura peut être jamais la vérité. Mais l’histoire mouvementée du Pakistan nous apprend que les américains sont souvent derrière les évènements majeurs de ce pays.

Le Pakistan a été « Conçu à la hâte, mis au monde prématurément par une césarienne de dernière minute » disait Tarik Ali (1). De surcroît, il a été « amputé » du Cachemire toujours disputé à l’Inde et séparé de sa partie orientale le Bangladesh en 1971. Lorsque Ali Bhutto a décidé de doter son pays de la puissance nucléaire pour consolider son indépendance, Henry Kissinger le menaçait de ces mots : « nous pouvons déstabiliser votre gouvernement et faire de votre sujet un horrible exemple » (2). Effectivement son gouvernement, démocratiquement élu, fut renversé par un coup d’Etat militaire et remplacé par la dictature du général Zia avec la bénédiction de Washington. Le père de Benazir fut jugé et exécuté en avril 1979.

Pour durer, la dictature utilisa l’Islam fondamentaliste comme arme pour éliminer toute résistance. Des mouvements violents se réclamant de l’Islam ont pris une importance considérable. Les Etats-Unis laissèrent faire. Dans l’Afghanistan voisin, ils ont même armé et financé des milices pour contrer l’Union Soviétique qui occupait ce pays et pour renverser le pouvoir de Najibullah. Les Talibans (on les appelait à l’époque les Moudjahidins de la liberté !) prennent le pouvoir à Kaboul et installent, au nom de l’Islam, un pouvoir ultraconservateur. La pensée laïque et progressiste a beaucoup souffert (et souffre toujours) de cette nouvelle situation.

Aujourd’hui l’Afghanistan est occupé par les forces de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Le Pakistan est dirigé d’une main de fer par un dictateur arrivé au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat en 1999. Il s’agit du général Pervez Mucharraf, le ferme soutien des américains dans la région.

Cette situation contraste avec l’époque où une femme, en l’occurrence Benazir Bhutto, accède, par des élections, au poste de premier ministre dans un pays musulman au grand dam de tous les réactionnaires, conservateurs et autres fondamentalistes. C’était en 1988 et en 1993. Benazir et Zardari son mari ont été accusés de corruption et de bien d’autres choses. Elle a connu l’exil et son mari la prison. Elle a décidé de revenir au Pakistan malgré les menaces qui pesaient sur sa propre vie. Elle a échappé par miracle à un attentat qui a fait 140 morts et plus de 400 blessés le 18 octobre 2007. C’était une femme déterminée et courageuse.

Mais Benazir n’a pas fait grand-chose pour les plus démunis des villes et des campagnes durant les années où elle était au pouvoir. Elle a laissé l’élite piller le pays. La corruption, comme une pieuvre, continuait à étouffer par ses tentacules tous les secteurs vitaux de l’économie pakistanaise. La misère reste, hélas, le lot quotidien de l’immense majorité de la population.

Toutefois, Benazir n’est pas la seule responsable de ce chaos dans lequel se trouve aujourd’hui le Pakistan. La réalité du pouvoir se trouve entre les mains de l’armée et de ses généraux soutenus par les Etats-Unis. Les programmes économiques imposés par la Banque mondiale et le Fonds Monétaire International ont ruiné ce qui restait encore des services publics. Seule compte, pour ces généraux et pour les américains, la « lutte contre le terrorisme ». Cela permet aux dictateurs comme Mucharraf de rester au pouvoir et aux Etats-Unis d’avoir la mainmise sur la région d’autant plus que le Pakistan est une puissance nucléaire et que l’instabilité règne toujours en Afghanistan. Daniel Markey ancien responsable des questions pakistanaises au département d’Etat ne déclarait-il pas que « la tragédie renforce le sentiment dans l’administration Bush qu’il est plus que jamais nécessaire de s’accrocher à Mucharraf » (3). Pascal Boniface, expert attitré, affirmait sans vergogne le 27 décembre sur Antenne 2 « Le président Mucharraf est le dernier rempart contre les islamistes ». On soutient une dictature tout en déclarant vouloir la démocratie !

C’est ce même Mucharraf qui a empêché Benazir de retourner au Pakistan. C’est lui qui a ordonné l’arrestation de milliers de partisans de Benazir. C’est Mucharraf qui a proclamé l’état de siège le 3 novembre 2007 et placé Benazir en résidence surveillée. C’est encore lui qui a mis la main sur la Cour Suprême, muselé les médias et emprisonné les militants des droits de l’Homme...

Le Parti du Peuple Pakistanais (PPP) vient de décider de porter à sa tête Bilawal, le fils de Benazir, et son mari Zardari. Vont-ils connaître, dans l’indifférence totale des puissances occidentales le même sort tragique que les autres membres de la famille ? Ou bien le peuple pakistanais saura-t-il balayer la dictature et ceux qui la soutiennent ?

Mohamed Belaali dans Bellaciao

2) Déclaration du Labour Party Pakistan sur l’assassinat de Benazir Bhutto

Le Labour Party Pakistan pleure la mort tragique de Benazir

C’est la démocratie qui est assassinée. Musharraf devrait démissioner

A l’origine de cette tragédie, une combinaison de dictature, fondamentalisme et impérialisme

Lahore (PR) : Le Labour Party Pakistan (LPP) condamne fermement le tragique assassinat de Benazir Bhutto, ancienne Premier Ministre et présidente du Parti du peuple du Pakistan (PPP).

Dans une déclaration commune, Farooq Tariq, porte-parole du LPP, et Nisar Shah, son secrétaire général, ont affirmé : « Ce n’est pas seulement le meurtre d’un individu, mais aussi l’assassinat de la démocratie et de la culture politique au Pakistan ». Ils jugent que le régime avait pour devoir d’assurer à Benazir Bhutto une sécurité à toute épreuve.

« C’est une défaillance du régime qui expose le pays au chaos et à des dangers sans précédents. Nous demandons donc la démission immédiate [du président] Pervez Musharraf et de son gouvernement », ont-ils ajouté.

Ils ont déclaré que la tragédie qui a frappé hier le Pakistan est une nouvelle expression de l’instabilité créée dans la région par la présence des Etats-Unis dans cette partie du monde : « Le meurtre brutal [de Benazir] est l’aboutissement de l’oeuvre conjointe des religieux, des fondamentalistes, de la dictature au Pakistan et des USA ».

Ils ont relevé que selon des informations publiées dans les médias, l’organisation Al-Qaida aurait pris sur elle la responsabilité de cet horrible crime. « Mais le Frankenstein d’Al-Qaida n’aurait pas aujourd’hui la haute main sur le pays s’il n’avait pas été créé par les Etats-Unis et choyé par la dictature militaire au Pakistan ».

En appelant aux travailleurs du PPP en deuil, ils ont assuré que les travailleurs du LPP étaient à leur côté dans l’épreuve : « Nous devons tourner notre colère contre les coupables qui ont panifié ce meurtre infâme ». Ils ont salué la décision de la Ligue musulmane du Pakistan (N) de boycotter les élections prévues pour le 8 janvier 2008 et celle de l’APDM [1] de suspendre la campagne récemment engagée pour le boycott des élections.

LPP

3) Le Pakistan en danger Edito du Monde

Benazir Bhutto a été assassinée. Elle avait accepté son destin. Perçue comme une menace par le pouvoir, comme une ennemie par les islamistes pakistanais et Al-Qaida, comme une alliée de l’Amérique, « la Sultane » savait, en revenant le 18 octobre de huit ans d’exil, qu’elle risquait sa vie. « J’ai mis ma vie en danger et je suis rentrée parce que je sens que ce pays lui-même est en danger », a-t-elle dit à ses partisans, jeudi 27 décembre, lors d’un meeting électoral à Rawalpindi, juste avant de mourir.

Le soir de son retour au pays, déjà, un attentat avait failli lui coûter la vie, cette fois à Karachi. Benazir Bhutto pouvait paraître immortelle, mais elle était fataliste, et savait qu’elle était une cible pour les déstabilisateurs du Pakistan. Son assassinat a eu lieu à deux semaines d’élections législatives à l’issue incertaine, qui pouvaient autant faire basculer le pays dans la violence que sceller un nouveau pacte politique et faire d’elle un premier ministre pour la troisième fois de sa vie. Il illustre cette réalité : le Pakistan est une ligne de front.

Le « Pays des purs », détenteur de l’arme atomique et nid d’Al-Qaida, en conflit avec l’Inde au Cachemire et jouant un jeu trouble dans les guerres d’Afghanistan, est en première ligne. Le président Pervez Musharraf, fragilisé par la talibanisation du pays, discrédité au sein de la société pour son refus de rétablir la démocratie, est lui-même un homme en danger. Les démocrates souhaitent son départ et les djihadistes veulent sa mort. L’armée et les puissants services de renseignements, qui paient parfois un lourd tribut à la lutte contre l’islamisme armé, sont paradoxalement eux-mêmes minés par l’idéologie des talibans - mouvement qu’ils ont créé dans les années 1990 pour mener une guerre en Afghanistan - et par celle d’Al-Qaida.

« Ce pays lui-même est en danger », affirmait Benazir Bhutto juste avant d’être mortellement frappée. En état de guerre dans certaines provinces, instable, divisé, le Pakistan est aussi un danger pour la région, voire pour le monde. Sans pouvoir légitime, sans retour à la démocratie, sans une politique économique viable, sans une lutte politique et militaire efficace contre les djihadistes, sans une stratégie diplomatique claire en Afghanistan, le Pakistan est une menace qui va en s’accentuant au fil des ans.

La communauté internationale, notamment Washington, premier allié d’Islamabad, apparaît désarmée. Elle soutient Pervez Musharraf tout en s’en méfiant, elle craint la progression islamiste sans pouvoir l’arrêter, elle s’enlise dans la guerre afghane contre des talibans dont les sanctuaires sont au Pakistan. Aujourd’hui, il y a une urgence : définir une stratégie. L’assassinat de Benazir Bhutto doit servir de signal d’alarme.

CHIPAUX Françoise, Le Monde

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4) L’assassinat de Benazir Bhutto ruine la stratégie de Washington

Avec l’assassinat de Benazir Bhutto, la stratégie des Etats-Unis au Pakistan est une fois de plus mise en échec. Après avoir sous-estimé pendant des années les forces démocratiques, pour s’appuyer exclusivement sur le président Pervez Musharraf, son allié privilégié depuis le 11-Septembre, l’administration Bush venait de commencer à s’investir dans la recherche d’un partage du pouvoir entre le président et l’opposition.

L’attaque contre Mme Bhutto, à près de dix jours des élections législatives, a ruiné ses espoirs de stabilisation. « Miser la sécurité de l’Amérique [et de l’arsenal nucléaire pakistanais] sur un dictateur militaire n’a pas marché. Miser sur une alliance d’arrière-salle entre ce dictateur et Mme Bhutto n’est plus possible », résume le New York Times.

Les Etats-Unis se retrouvent au point de départ, forcés de se reposer principalement sur Pervez Musharraf, alors que le pays est secoué par les violences et que le président s’est défait de son uniforme de chef d’état-major de l’armée. Selon les experts, la Maison Blanche souhaite que les élections législatives se tiennent, comme prévu, le 8 janvier, mais elle pourrait s’accommoder d’un report. « La tragédie renforce le sentiment dans l’administration Bush qu’il est plus que jamais nécessaire de s’accrocher à Musharraf », estime Daniel Markey, qui vient de quitter le département d’Etat où il était l’un des chargés de la politique pakistanaise.

Dans une brève apparition télévisée à Crawford, au Texas, où il passe les fêtes de fin d’année, le président George Bush a appelé les Pakistanais à « honorer la mémoire de Mme Bhutto en poursuivant le processus démocratique pour lequel elle a si courageusement donné sa vie ». Il n’a pas employé le terme de « terroristes » pour qualifier les assassins mais « d’extrémistes » tentant de « saboter la démocratie au Pakistan ». Parmi les responsables américains, seul Joseph Biden, président de la commission des affaires étrangères du Sénat et prétendant à l’investiture démocrate pour l’élection présidentielle, a ouvertement critiqué « la défaillance du gouvernement et des services de sécurité » pakistanais.

L’assassinat a suscité une grande émotion. Mme Bhutto était très connue des milieux politico-diplomatiques américains - le chroniqueur du Washington Post, David Ignatius, était étudiant en même temps qu’elle à Harvard. L’attentat a aussi ravivé les critiques de ceux qui pensent que l’administration a eu tort de soutenir aveuglément M. Musharraf. Lundi, le New York Times a montré que l’aide militaire au Pakistan alimentait surtout les projets de l’armée et de M. Musharraf lui-même, comme la fabrication d’armes dirigées non pas contre Al-Qaida mais contre l’Inde.

« ABSENCE DE DÉMOCRATIE »

Ces révélations ont coïncidé avec le vote des crédits pour le Pakistan au Congrès. Les parlementaires n’ont voté l’enveloppe de 300 millions de dollars qu’en ajoutant des conditions. Le département d’Etat devra certifier que le gouvernement pakistanais s’efforce de libérer les prisonniers politiques et de restaurer l’indépendance de la justice, et aussi que les 50 millions d’aide militaire servent effectivement à contrôler les zones tribales.

Des analystes critiquent le principe de l’intervention américaine. « Nous avons aidé au retour de Benazir Bhutto. L’Arabie saoudite a aidé Nawaz Sharif [opposant et ex-premier ministre] à se réimplanter. De nombreux acteurs extérieurs ont essayé de manipuler l’échiquier politique pakistanais », déplore Steven Clemons, de la New America Foundation. Avant l’attentat, Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller diplomatique de Jimmy Carter, avait fait une remarque similaire. « Je déplore l’absence de démocratie au Pakistan, mais je ne pense pas que lancer des admonestations de l’extérieur, envoyer des politiciens en exil, dire au président pakistanais ce qu’il doit ou ne doit pas porter soit du ressort des Etats-Unis ou contribue à la stabilité. »

LESNES Corine * LE MONDE

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5) Des centaines de milliers de Pakistanais se rendent aux funérailles de Benazir Bhutto

Benazir Bhutto a été inhumée, vendredi 28 décembre, dans sa province natale du Sind, dans le sud Pakistan, a annoncé la télévision d’Etat. Mme Bhutto repose aux côtés de son père Zulfikar Ali Bhutto, ancien premier ministre renversé par l’armée en 1977 puis pendu. Des centaines de milliers de partisans se sont massés pour rendre hommage à la défunte dont le cercueil était enveloppé du drapeau noir, vert et rouge du Parti du peuple pakistanais (PPP).

Le cortège a mis plus de deux heures à se frayer un chemin à travers la foule pour parcourir les 5 kilomètres séparant le village familial de Ghari Khuda Baksh du mausolée.

AL QAIDA, « SELON TOUTE PROBABILITÉ »

Le gouvernement a accusé les islamistes considérés comme proches d’Al-Qaida et responsables d’une vague d’attentats meurtriers dans le pays, assurant par la voix du porte-parole du ministère de l’intérieur pakistanais que le réseau terroriste est « selon toute probabilité » derrière l’assassinat de Mme Bhutto.

A l’annonce de l’assassinat, des émeutes ont éclaté dans plusieurs villes, dont Karachi, mais aussi à Lahore et Peshawar. Au moins dix-neuf personnes ont été tuées, selon un haut responsable des services de sécurité, et des dizaines de personnes ont été blessées dans tout le pays.

La situation est particulièrement tendue à Karachi, dans la province du Sind. Des manifestants ont incendié des voitures et des banques, ainsi que des locaux gouvernementaux dans plusieurs localités, selon des témoins et des policiers. Des inconnus armés ont abattu un policier dans un quartier de la ville considéré comme un bastion de Benazir Bhutto, selon la police. Les forces de sécurité ont reçu vendredi l’ordre de tirer à vue pour réprimer tout débordement. Plus de 16 000 paramilitaires ont été déployés dans le Sind, dont 10 000 pour sa seule capitale, Karachi.

« LES GENS SONT TRÈS EN COLÈRE »

L’intérieur de la province était lui aussi en proie à de fortes tensions. Un journaliste de Reuters circulant entre Karachi et le district de Larkana dit avoir vu des centaines de véhicules incendiés et, selon lui, des gens sont sortis vendredi matin en incendier d’autres et tenter de barrer des routes. Des groupes de jeunes gens ont scandé des slogans contre Pervez Musharraf.

« Les gens sont très en colère. Ils ont attaqué des banques et des bureaux du gouvernement. Il n’y avait aucun policier. Deux magasins vendant des armes ont également été pillés », a déclaré Maula Baksh, un journaliste basé à Larkana.

Des violences sporadiques ont continué vendredi au lendemain de l’attentat. Une foule de sympathisants de la défunte a incendié le bureau de la Ligue musulmane du Pakistan-Quaïd (PML-Q), parti soutenant le président Pervez Musharraf, à Peshawar, dans le nord-ouest du pays. Le président a condamné l’assassinat et déclaré trois jours de deuil national.


6) Un attentat que « la Sultane » redoutait : « J’en rendrai Musharraf responsable », confiait-elle

Les assassins qui avaient, le 18 octobre, jour de son retour triomphal au Pakistan après huit années d’exil volontaire, manqué de peu Benazir Bhutto, avaient, jeudi 27 décembre, soigneusement préparé leur opération.

Le kamikaze s’est apparemment approché de Mme Bhutto, qui, à l’issue d’un meeting électoral, saluait ses fidèles par le toit ouvrant de son véhicule blindé. Il a tiré sur elle avant de se faire exploser dans la foule des partisans qui entourait le véhicule, tuant 20 personnes et en blessant 54 autres.

« J’ai vu un jeune homme mince qui a sauté sur l’arrière du véhicule et ouvert le feu. Quelques instants plus tard, j’ai vu le véhicule démarrer rapidement et, à ce moment-là, j’ai entendu une explosion et je suis tombé », a raconté à l’agence Associated Press (AP) Sardar Qamar Hayyay, un officiel du Parti du peuple pakistanais (PPP) que dirigeait Benazir Bhutto.

Selon les médecins de l’hôpital de Rawalpindi, où Mme Bhutto avait été transportée, elle aurait reçu deux balles, dont l’une à la base du cou et l’autre à l’épaule qui serait ressortie par la poitrine. Mme Bhutto aurait succombé à la première, qui a gravement endommagé la moelle épinière.

L’ex-premier ministre venait de finir son premier meeting électoral devant 5 000 personnes à Rawalpindi, ville-garnison et siège de l’état-major de l’armée pakistanaise, à une quinzaine de kilomètres d’Islamabad. Des centaines de policiers appartenant à la brigade anti-émeutes avaient été déployés aux alentours du parc Liaqat Bagh, haut lieu des rassemblements populaires à Rawalpindi.

SLOGANS CONTRE LE PRÉSIDENT

A l’annonce de la mort de Mme Bhutto, ses partisans, qui s’étaient rués à l’hôpital, ont commencé à lancer des pierres sur la porte et les fenêtres de l’établissement, ainsi que sur les voitures passant à proximité. Ils ont aussi chanté des slogans accusant le président Pervez Musharraf de complicité dans l’assassinat. « Nous avions sollicité à plusieurs reprises le gouvernement pour qu’il lui fournisse une sécurité adéquate avec des équipements appropriés, mais ils n’ont pas répondu à nos requêtes », a affirmé Rahman Malik, chargé de la sécurité de Mme Bhutto.

La polémique sur la sécurité fournie à Benazir Bhutto ne fait sans doute que commencer puisque, selon la chaîne américaine CNN, la dirigeante du PPP avait écrit, dans un courriel adressé à un ami américain, Marc Siegel : « Si quelque chose m’arrive au Pakistan, j’en rendrai Musharraf responsable. Ses hommes de main me font me sentir en danger. » Elle détaillait les mesures de sécurité qu’elle avait demandées et qui ne lui avaient pas été accordées par le président. « Il est impossible que l’interdiction d’utiliser des voitures privées, ou avec des vitres teintées, ou une escorte de quatre voitures de police pour me protéger de tous les côtés puisse être décrétée sans son accord », ajoutait-elle dans ce message écrit le 26 octobre et qu’elle avait demandé à M.Siegel de rendre public si elle était assassinée.

L’ambassadeur du Pakistan aux Etats-Unis, Mahmoud Ali Durrani, a récusé ces affirmations, disant : « Le gouvernement du Pakistan a fourni toute la sécurité nécessaire. » Les autorités pakistanaises avaient, avant et depuis l’arrivée de Mme Bhutto, multiplié les avertissements assurant que des informations « précises » laissaient redouter que des terroristes islamistes attentent à sa vie.

Le 18 octobre, deux commandos-suicides avaient déjà tenté d’atteindre Mme Bhutto en se faisant sauter autour du camion blindé sur la plate-forme où elle avait pris la place pour saluer ses partisans, à Karachi, lors de son retour d’exil.

Mme Bhutto avait été sauvée, car elle venait d’entrer à l’intérieur du camion, mais 150 personnes environ avaient été tuées, faisant de cet attentat le plus meurtrier de l’histoire du Pakistan. Mme Bhutto menait campagne contre le président Musharraf, mais surtout contre les fondamentalistes musulmans, promettant « d’éliminer la menace islamiste » du pays.

Françoise Chipaux


7) Pakistan : la révolte de la société civile Article du 12 décembre 2007

Malgré la présence d’un président en civil, la promesse d’une levée prochaine de l’état d’urgence et du rétablissement de la Constitution, une date pour les élections législatives - le 8 janvier -, la crise profonde que traverse le Pakistan reste entière. Emmené par les avocats, le mouvement politique, qui draine chaque jour dans les rues des différentes villes du pays des centaines de manifestants réclamant le respect de la Constitution et la réinstallation des juges écartés après l’état d’urgence, reste une épine sérieuse pour le président Pervez Musharraf.

Faibles en nombre, les manifestants apparaissent aujourd’hui forts de l’influence qu’ils ont dans la société et du message qu’ils véhiculent. Aux avocats toujours les plus nombreux se sont joints les journalistes, directement affectés par les mesures de censure, les étudiants, en majorité issus des écoles de l’élite, et des membres des professions libérales.

Toutes ces professions qui expriment l’opposition ont bénéficié de l’explosion des médias et se sont développées grâce aux mesures de libéralisation économique de l’ère Musharraf. Elles affirment clairement aujourd’hui leur volonté de rompre avec le passé et exigent que le pays soit gouverné dans le respect des lois. La réaction extrêmement brutale des autorités à ces manifestations n’a fait que renforcer la détermination de ces opposants qui refusent de perpétuer les erreurs du passé et de jouer le jeu d’une démocratie factice.

« Nous ne referons pas les erreurs de nos aînés qui ne sont pas descendus dans la rue quand il le fallait. Nous nous battrons contre le règne de l’armée en politique », affirmait, lors d’une manifestation, Salahuddin, un étudiant de l’Institut de technologie d’Islamabad. Depuis un mois, les slogans des manifestations reviennent tous aux fondamentaux d’une démocratie. « Ils dénoncent, souligne l’analyste Nasim Zehra, le règne de l’arbitraire, l’impunité des responsables, la mise à l’écart de la Constitution et des tribunaux à volonté et la détermination du destin du pays par un seul individu. »

Issus des classes aisées, « ces opposants représentent toutefois le sentiment majoritaire de la population », relève le Dr Ijaz Shafi Gilani, président de l’institut de sondage Gallup Pakistan. Quatre-vingts pour cent des personnes interrogées à travers le Pakistan urbain et rural estiment en effet, selon un récent sondage Gallup, que l’éviction des juges considérés comme hostiles par le président Musharraf est une faute. Signe aussi de la perte de popularité du président, 67 % des sondés dénoncent aujourd’hui l’imposition, le 3 novembre, de l’état d’urgence alors qu’en 1999 quand le général Musharraf s’était emparé du pouvoir en écartant le premier ministre Nawaz Sharif, 70 % des personnes interrogées avaient approuvé les mesures d’urgence.

Les manifestants qui transcendent les classiques divisions - ethniques, religieuses, politiques - de la société pakistanaise opèrent jusqu’à maintenant en dehors des partis politiques mais ont forcé ceux-ci à les entendre. « Les gens veulent la démocratie, le respect des lois, la suprématie de la Constitution et leur sentiment est si fort que les partis politiques sont obligés maintenant de parler de la restauration de l’institution judiciaire », affirme Athar Minallah, avocat à la Cour suprême.

D’abord absente du discours des leaders politiques, cette question est aujourd’hui la pierre d’achoppement à un accord entre les deux ex-premiers ministres, Benazir Bhutto et Nawaz Sharif, pour l’élaboration d’une « charte de demandes » que l’opposition veut soumettre au gouvernement avant toute décision sur un éventuel boycottage des élections législatives.

M. Sharif veut introduire la restauration des juges comme condition sine qua non pour la participation au scrutin, alors que Mme Bhutto se contenterait de souligner la nécessité d’une justice indépendante. Que Benazir Bhutto et Nawaz Sharif aient aussi fait le geste de vouloir rencontrer, sans succès, l’ex-président de la Cour suprême, Iftikhar Mohammad Chaudhry, toujours en résidence surveillée, est significatif de l’aura que celui-ci garde dans l’opinion pour avoir tenu tête au « pouvoir des généraux ». D’après le même sondage Gallup, le juge Chaudhry gagnerait, avec 70 % des voix contre 30 % pour le président Musharraf, une élection présidentielle.

L’ABSENCE D’UN VÉRITABLE LEADERSHIP

Combien de temps toutefois ce mouvement de la société civile peut-il se perpétuer en l’absence d’un véritable leadership et d’un relais puissant dans la rue, que seuls les partis politiques peuvent fournir ? La libération, qui devra bien intervenir un jour, des juges et des avocats toujours en résidence surveillée pourrait donner un nouvel élan, mais dans cette période électorale, souligne l’avocate Amna Paracha, « le terrain revient aux partis politiques ».

Ce mouvement fragilise toutefois le président Musharraf, qui a besoin d’un Parlement docile pour pouvoir faire avaliser les mesures d’urgence qu’il a prises pour s’assurer un deuxième mandat présidentiel. Tous les analystes s’accordent pour estimer que, sans manipulation des élections législatives, il lui sera impossible d’obtenir la majorité des deux tiers dont il a besoin. Patronné par les Etats-Unis, l’accord de partage de pouvoir avec Benazir Bhutto semble mal parti, et celle-ci ne peut ignorer totalement le sentiment populaire.

« Il sera difficile au président Musharraf de gouverner le pays si une large partie de la classe dirigeante ne veut pas de lui », affirme M. Gilani. « Il sera appelé à s’écarter par l’establishment », ajoute-t-il. Dans un entretien à la chaîne de télévision américaine ABC, le président Musharraf a déjà évoqué la possibilité pour lui de partir « si la situation (après les élections) se développe d’une manière inacceptable ».

Pour l’instant, c’est l’incertitude qui ressort de la situation, avec une interrogation majeure sur le boycottage ou non des élections législatives par tous ou seulement par une partie de l’opposition. Une autre inconnue est l’attitude des partis politiques sur une éventuelle campagne d’agitation dans la rue à laquelle devra répondre le gouvernement intérimaire qui, loin d’être neutre, est composé exclusivement de fidèles du président. En attendant, souligne M. Gilani, « si cette classe de professionnels, qui pour la première fois se lèvent pour exiger la suprématie de la loi - question qui est au coeur de nos problèmes -, peut maintenir son mouvement, le pays peut réellement changer ».

CHIPAUX Françoise

* Article paru en « analyse » dans le Monde, édition du 13.12.07.


8) Pakistan : même l’unité de la Fédération est en péril Courrier International 15 novembre 2007

Zones tribales d’un côté, Baloutchistan de l’autre...

L’intégrité du pays est menacée si la crise de l’Etat n’est pas résolue, estime le principal hebdomadaire du pays.

Le peuple pakistanais ne parvient toujours pas à se mettre d’accord sur la nature des troubles qui agitent le pays. Or un Etat en crise voit son autorité diminuer sur une grande partie de son territoire. Quand cette perte de contrôle s’aggrave et que le pouvoir est incapable de rétablir son influence, ces régions hors de contrôle sont “perdues” au profit d’un tiers. Ainsi, au Pakistan, si la perte de territoires [dans les Zones tribales, à la frontière de l’Afghanistan] fait désormais plus ou moins consensus, il est une autre réalité dont on tarde à prendre conscience : cette région est passée aux mains d’individus [les islamistes] qui souhaitent créer un autre Etat, au détriment de l’intégrité territoriale du Pakistan.

Pendant des années, le pays, obnubilé par son contentieux avec l’Inde [au sujet du Cachemire], s’est peu soucié de ses défenses occidentales [sur la frontière afghane]. Car, contrairement à l’Inde, majoritairement hindoue, l’Afghanistan partageait la même religion. En outre, Islamabad pensait que le pouvoir à Kaboul était faible et qu’il pourrait installer un régime fantoche en Afghanistan. Ce faisant, le gouvernement pakistanais aurait disposé de tout l’espace nécessaire pour installer son arsenal nucléaire en territoire afghan, hors de portée de l’armée indienne. Mais le 11 septembre a brusquement changé la situation.

Poussée des incursions islamistes à l’Ouest

Des portions du territoire national sont tombées sous la coupe de combattants extrémistes musulmans qui, de fait, affichaient des convictions religieuses bien plus fortes que l’Etat pakistanais [islamique]. C’est pour cette raison que le pouvoir central a eu tant de mal à reformuler la menace qui pesait sur lui. La prise de territoires dans les Zones tribales pakistanaises par des individus tels que Baitullah Mehsud [commandant des talibans pakistanais] ou Maulana Fazlullah [chef islamiste qui règne sur la vallée du Swat, voir CI n° 885, du 18 octobre 2007] s’est traduite par le lancement d’offensives vers l’Afghanistan, occupé par les troupes en voyées sous l’égide de l’ONU. La Force internationale d’assistance et de sécurité en Afghanistan [ISAF], créée par les pays membres de l’OTAN, s’est plainte de ces attaques auprès d’Islamabad, qui a réagi de diverses façons : en niant la présence de talibans sur son sol ou en accusant Kaboul de visées malveillantes, comme de s’associer à l’Inde pour déstabiliser le Pakistan.

Dans ce contexte, l’idée d’une intervention dans ce pays en crise a émergé, avec ou sans l’accord du pouvoir central. Dernière évolution en date, l’“offre” faite par les forces américaines de “combattre les talibans dans les Zones tribales et la vallée du Swat” et formulée par l’amiral William J. Fallon, chef du commandement central américain, au général Pervez Musharraf. On voit donc clairement quelle orientation prend la crise pakistanaise. Le nœud du problème est moins la démocratie ou les rapports entre civils et militaires que la survie même de la République islamique. Paradoxalement, au sein de la majorité souhaitant ignorer cet aspect de la réalité se trouvent aussi les adversaires du régime fédéral tel qu’il se présente aujourd’hui au Pakistan [qui est une fédération regroupant quatre provinces]. En effet, la crise actuelle est perçue par ces forces comme une montée d’aspirations démocratiques qui encouragera les volontés séparatistes de la Province-de-la-Frontière-du-Nord-Ouest et des provinces du Sindh et du Baloutchistan [et qu’il faut donc combattre].

Le Pendjab sera tout ce qui restera de la nation

Si l’Etat s’effondre, les séparatistes auront tout ce qu’ils voudront. La Province-de-la-Frontière-du-Nord-Ouest récupérera ses installations hydro électriques, qu’elle pourra louer pour en tirer des revenus ; le Baloutchistan exploitera ses réserves gazières et deviendra riche en les revendant sur le marché international ; et le Sindh pourra prendre la part qui lui revient des revenus issus de son industrie et de ses ports. En définitive, le Pendjab sera tout ce qui restera du Pakistan. La crise que traverse le pays se nourrit donc de l’absence de plus en plus criante de consensus national quant à l’avenir de la Fédération. La Constitution est décriée pour des motifs divers, variant selon les points de vue. A cela s’ajoute l’incursion étrangère menée par Al-Qaida, qui prend des airs de réformes internes visant à réaliser le rêve islamique.

Il n’y a manifestement aucun consensus national. Quand le général Zia a amendé la Constitution pour créer la Cour fédérale de la charia [au début des années 1980], les oulémas ont désapprouvé cette mesure car ils souhaitaient imposer leur propre version de la loi islamique. De même, les minorités et les femmes ont exprimé leur mécontentement face à des dispositions qui restreignaient leurs droits. Les quatre provinces étaient également insatisfaites car les amendements ne leur transféraient pas les pouvoirs qu’une véritable décentralisation leur aurait attribués. Quant aux partis politiques, ils critiquaient tout autant cette Constitution car elle contenait l’article 58 (2) (b) [qui permet au président de dissoudre les Assemblées nationale et provinciales]. C’était une crise interne de l’Etat, due à la désagrégation du ciment [l’islam] qui unissait la Fédération. Mais, à cette époque, le gouvernement pensait surmonter ces divisions en se dotant de l’arme nucléaire.

La nation pakistanaise vit-elle ses derniers jours ? Si les forces vives de la scène politique continuent de ne pas voir dans la crise une remise en cause profonde du système fédéral et de déverser leur rage sur ceux qu’elles considèrent comme des entraves à la démocratie et des tenants de la politique américaine, cela ne fait aucun doute.

AHMED Khaled ( Courrier international : hebdo n° 889 - 15 nov. 2007.)


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