Quand Hervé Debonrivage fait d’Emmanuel Mounier un anticapitaliste (forum)

mercredi 23 mai 2018.
 

Réponse à l’article L’anticapitalisme de Emmanuel Mounier

Cet article intitulé « l’anticapitalisme d’Emmanuel Mounier », présenté par Hervé Debonrivage et introduisant un texte du philosophe daté de 1934, repose sur un double enfumage, celui du présentateur et celui de Mounier lui-même.

La différence entre Mounier et la doctrine sociale de l’Eglise telle qu’elle s’exprime dans son texte fondateur signé du pape Léon XIII, encyclique intitulé « rerum novarum », réside en ceci que l’église a le mérite de la clarté. Ce dernier définissait la doctrine sociale de l’église dans une période où l’église devait faire face à la montée du syndicalisme ouvrier et du mouvement socialiste. Pour les marxistes le capital est un rapport social, l’ouvrier ne possède que sa force de travail pour vivre, le capital achète cette force et réalise sur cette dernière un profit. Le mouvement ouvrier moderne se fonde sur la nécessité d’abolir ce rapport antagonique par l’expropriation du capital. L’église redoute le capitalisme pour des raisons bien différentes, car ce dernier fait disparaître progressivement toutes les formes antérieures de culture issues du féodalisme qui permettaient sa domination politique. Elle s’oppose dans « rerum novarum » non au capitalisme mais au mouvement ouvrier moderne qui menace la société capitaliste. Ainsi l’encyclique fondateur repose sur l’association capital-travail, comme fils de Dieu nous sommes tous membres du « corps mystique du Christ ». Là est la vraie communauté humaine. Les classes dominantes ont des obligations vis-à-vis des classes inférieures et réciproquement les classes inférieures doivent respecter le contrat d’association avec leur employeur. Dire comme le présentateur du texte de Mounier que « en revanche, les positions de l’église concernant 100 % de la population sont totalement ignorées, car politiquement beaucoup trop gênantes pour le système en place », c’est vouloir donner à sa doctrine sociale un contenu qu’elle n’a manifestement pas.

Quant à Mounier, fondateur du personnalisme chrétien, il ne fait pas autre chose que nous servir, sous une forme très alambiquée et illisible pour le commun des mortels, le même plat. Il n’y a pas au point de départ un rapport social bien déterminé, celui du capital et du travail, mais la personne comme entité fondatrice. Quand Mounier aborde les propositions concrètes et répond à la question, comment doit être réorganisée la société humaine, il écrit dans la proposition 1 :

« Les besoins de consommation ou de jouissance doivent être limités par un idéal de simplicité de vie qui est la condition de l’essor spirituel et n’est nullement inconciliable avec la magnificence et la dépense créatrice. L’accomplissement de l’homme n’est pas dans le confort matériel, mais dans la vie spirituelle. »

Nous sommes en 1934 et Mounier est partisan de la décroissance…

Proposition 2, continuons : « Le capital n’a de droit dans une cité humaine que s’il est issu d’un travail et collabore à un travail ; illégitime s’il est né d’une des formes de l’usure ou prétend fructifier indéfiniment sans travail. » Précédemment il fait un long développement sur les formes diverses de l’usure. Nous sommes en 1934 et cette analyse pour le moins suspecte du mode de production capitaliste, au moment où commence à se déchainer l’antisémitisme en Europe, me fait frissonner. En tout état de cause le capital est légitime dès lors où il est issu d’un travail.

Proposition suivante :

« Le régime nouveau doit mettre fin au régime d’anarchie et de tyrannie que représente aujourd’hui le capitalisme, par la création de communautés organiques où s’insèrent la vie privée, la vie publique, la profession. L’équilibre de ces communautés décentralisées les garantira contre les retours de l’anarchie en même temps qu’il sauvegardera la personne, valeur première, contre l’oppression d’un appareil social trop centralisé. »

Là on retrouve stricto sensu le propos de Léon XIII et de « rerum novarum » : comme « personne », l’église elle dit comme « fils de Dieu », nous sommes tous membre de la même communauté mystique.

La conclusion de Mounier est enfin tout ce qu’il y a de plus éclairante :

« Il deviendra possible alors d’établir une démocratie industrielle, non pas parlementaire et quantitative, mais fonctionnelle et organique, la responsabilité personnelle étant toujours à tous les degrés la contrepartie de l’autorité.

Comme but lointain, le régime nouveau doit donc se proposer, sous des formes à déterminer, la participation à la propriété et à la gestion des entreprises et de l’économie générale de tous les travailleurs organisés, unis aux consommateurs. Que le monde ouvrier n’y soit pas prêt, partiellement par la faute de ses oppresseurs, partiellement par la faute de ses agitateurs, ce n’est pas douteux : il n’y a rien autre à conclure, sinon qu’il faut l’y préparer et l’y entraîner progressivement. »

Et lorsque Mounier écrit « partiellement par la faute de ses agitateurs », il désigne naturellement ceux qui militent contre le capitalisme, l’encyclique papale dit exactement la même chose contre les syndicats ouvriers et leurs meneurs qui entrainent les ouvriers dans la mauvaise direction.

Un dernier point tout à fait significatif dans la présentation d’Hervé Debonrivage… certes Mounier a rejoint le journal « Combat » après 1941. Toutefois il soutiendra pendant 2 ans certaines positions du régime de Vichy, traduites notamment par sa charte du travail, l’association Capital-Travail. La revue « Esprit » naîtra légalement sous Vichy. La hiérarchie catholique soutient alors directement le régime corporatiste de Philippe Pétain, l’ami de Hitler… Il ne faut pas réécrire l’histoire en fonction de ses propres fantasmes.


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