Les Anglais ont inventé la monarchie constitutionnelle puis à partir de 1958 les Français se lancèrent dans la République monarchique. Pourquoi les municipales de 2008 peuvent-elles nous pousser vers la République féodale ?
J’observe les balbutiements publics de la campagne électorale actuelle et je constate sans surprise que l’intercommunalité en est absente. Or, pour la première fois, l’élection municipale sera l’élection d’une coquille qui se vide au profit de l’absente du débat, l’intercommunalité ! On me répond que l’intercommunalité étant gérée par des « grands électeurs » choisis par les municipalités, c’est, malgré l’élection au second degré, un organisme cependant démocratique. Il n’en est rien... et c’est la loi Chevènement qui l’a voulu ainsi !
La féodalité avant 1789, ce fut un découpage incompréhensible du territoire auquel la révolution mit un terme par une rationalité claire : communes, cantons, départements, nation. Cette clarté fut aussitôt appelée par certains « centralisme » quand, en fait, c’est seulement Napoléon qui posera sur l’édifice, les Préfets. Toutes les républiques tentèrent de remplacer les préfets par des commissaires de la république mais, dès la remise en ordre, les préfets reprenaient leurs aises.
La loi Chevènement organise le désordre par en haut ! Au nom de la République ! Au départ, je n’ai pas compris comment ce « centraliste » a pu se laisser aller à une telle dérive !
A titre de symbole, il suffit de constater les noms scabreux des intercommunalités pour saisir l’ampleur du désastre. Quel désastre ? Les fameux « grands électeurs » sont nommés dans des conditions variables, pour un organisme où la prise de décision est variable, avec des compétences variables, une forme d’imposition des citoyens variable, sur un territoire variable etc. Je n’entre pas ici dans le détail de l’application de la loi que j’ai évoqué dans un article de la revue DDR. Le pouvoir n’est plus politique, il est entre les mains des forces économiques. Après presque dix ans de mise en place, les municipales pourraient permettre de tirer les leçons de l’opération. Sinon, quand le citoyen pourra-il le faire ? En lisant un rapport accablant de la Cour des comptes ? Je vois renvoie à ce rapport qui, même en se plaçant dans la logique du système (l’économie d’échelle pour aller vite) en révèle les turpitudes avec des propositions de sauvetage de l’édifice qui sont dans les placards.
Le lecteur de cette chronique va aussitôt me classer parmi les adeptes du statu quo communal, ce qui n’est pas le cas. La démocratie communale n’est pas une coquille qui se vide par le seul fait de l’intercommunalité : celle-ci ne fait qu’institutionnaliser un phénomène plus profond et plus vaste encore. Mais, comme le veut le système dans lequel nous vivons, la loi Chevènement a soigné le mal par le mal ! Elle a empilé les institutions pour ajouter l’imbroglio à l’imbroglio. Avec quelle finalité ? En finir avec le pouvoir qui irait du bas vers le haut pour l’inverser et faire en sorte que le pouvoir aille du haut vers le bas ! Et c’est là qu’on voit resurgir le pouvoir des préfets ! La décentralisation n’a été qu’une réorganisation de la centralisation, ce qui n’a rien de surprenant quand la centralisation économique prend des proportions gigantesques. Les préfets de département sous la coupe de préfets de région dont on sous-estime le rôle, deviennent les maîtres du jeu.
Ce renversement, fait la joie de la politique sarkozyste, qui tente de nous faire oublier que, jusqu’à présent, le Premier ministre c’est celui que le pouvoir d’en bas, l’Assemblée nationale, accepte de nommer. Mitterrand a été obligé de nommer Premier ministre son adversaire Chirac, et Chirac son adversaire Jospin ! Horreur et damnation !
Les Français doivent donc s’habituer à la vie dans la nouvelle république qui n’a pas eu besoin d’une nouvelle constitution pour s’installer, puisque, étant féodale, ce chiffon de papier n’est pas son premier souci. Quoi de mieux que l’élection municipale pour faire avancer, dans les consciences, la formation de cette République féodale qui place durablement le politique à la remorque de l’économique ? (question qui ne me range pas parmi les planificateurs à la soviétique). Si les électeurs acceptent de jouer la carte de la farce électorale alors l’affaire est dans le sac !
Comment réagir ? En créant des ponts et des convergences de campagne électorale sur le territoire d’une intercommunalité. En faisant connaître l’état de la dite intercommunalité. En remettant en cause son fonctionnement sénatorial. Le cœur de la question n’est pas de demander simplement une démocratisation du mode de scrutin mais l’élaboration en même temps, d’une autre vision nationale de la territorialité politique. En même temps que les municipales, nous aurons des élections cantonales devenue, encore plus un non-sens, quand les intercommunalités font disparaître une entité déjà affaiblie depuis longtemps. Là, le mode de scrutin n’a pas changé depuis la nuit des temps (attention cette fois, une modification de poids intervient : il faut un suppléant au candidat !), il est donc plus que temps de revoir la copie. Mais, une fois encore, pour soigner le mal par le mal ?
Dans l’intercommunalité, les petites communes veulent un système où elles ne seront pas mangées par les grandes (d’où les gymnastiques pour désigner le nombre de grands électeurs qu’un décret incite à fixer suivant l’importance de la population) mais, la guerre n’est pas entre les unes et les autres. La guerre, c’est celle de l’économisme contre la volonté populaire « à l’incompétence notoire ». Sauf que quand le peuple devient servile devant son féodal, comme je le vois tous les jours, ce n’est pas le peuple que j’incrimine, mais le système qui donne vie à ce féodal ! Y compris quand il prend le nom de République !
Jean-Paul Damaggio
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