11 mai 1924 Le cartel des gauches gagne les législatives

dimanche 14 mai 2023.
 

Pour l’anniversaire de la victoire électorale du Cartel des gauches le 11 mai 1924, nous proposons 3 textes : du PCF (article de L’Humanité sur ces législatives), du Parti Socialiste, du NPA.

- A) LE CARTEL DES GAUCHES (Parti Socialiste

- B) " Paris encerclé par le prolétariat révolutionnaire" (PCF 12 mai 1924)

- C) 1924 : Le cartel des gauches contre le mur de l’argent (NPA)

A) LE CARTEL DES GAUCHES (Parti Socialiste)

Le "Cartel des gauches", victorieux en 1924 et en 1932, est la coalition des radicaux qui dominent alors la gauche (jusqu’en 1936) et des socialistes. Les premiers députés communistes qui sont élus en 1924 siègent dans l’opposition. Les socialistes ne participent pas au gouvernement et posent même en 1932 des conditions à leur participation qui sont rejetées par les radicaux (les "conditions Huygens")

Le Cartel des gauches se constitue à la fin de l’année 1923 contre le Bloc National . Le Bloc national est un bloc anti-collectiviste, dirigé contre les socialistes, qui se constitue à l’instigation de l’Alliance Démocratique, pour les élections de 1919 et qui remporte la victoire ( 70% des sièges, la « Chambre bleue horizon »). Il comprenait la Fédération Républicaine, l’Action Libérale (descendance des « ralliés »), les nationalistes et une partie des radicaux. Le Cartel des gauches associe 4 groupes :

- les radicaux indépendants (frange de droite des radicaux)

- les radicaux-socialistes, unifiés désormais

- les républicains socialistes, des socialistes indépendants (Paul Painlevé)

- la SFIO.

Le Cartel met en place un réseau de comités dans tout le pays, il lance un quotidien (« Le Quotidien ») et un hebdomadaire (« Le Progrès Civique »). Il se reconstituera en 1932 et gagnera à nouveau les élections.

En 1924 le Cartel obtient la victoire en raison de la division de la droite. La gauche obtient 48,3% et la droite 51,7% mais le Cartel obtient une majorité de sièges : 327 contre 254 (la droite et les premiers députés communistes). La majorité est dirigée par Edouard Herriot. Elle éclate en 1926. Les socialistes passent dans l’opposition.Le gouvernement Poincaré bénéficie d’une forte majorité : droite et radicaux. La droite remporte les élections législatives de 1928 : il y a 329 députés de droite contre 285 pour la gauche. Comme à chaque élection les radicaux se présentent avec la gauche. En 1932, le second Cartel remporte les élections mais il n’y a pas de majorité de gauche associant radicaux et socialistes. Les socialistes posent leurs conditions à la participation (les "cahiers" ou les "conditions Huygens" du nom du gymnase dans lequel s’était tenu le congrès socialiste). Les gouvernements se succédent, dirigés par des radicaux alliés aux "modérés". Cette majorité parlementaire, distincte de la majorité électorale, est fragile. Cette période de grande instabilité aboutit à la crise du 6 février 1934.

B) " Paris encerclé par le prolétariat révolutionnaire" (PCF 12 mai 1924)

« Le Cartel des gauches est assuré de remporter la majorité absolue dans la banlieue parisienne » disait l’abondante littérature « à la peau d’ours » dont la liste Laval inondait le 4e secteur.

Le réveil fut rude…

Dans la banlieue de Paris où Doriot passe [1], la liste du Bloc ouvrier et paysan arrive avec neuf élus, une majorité de six mille voix sur le Bloc national et de douze mille sur le Bloc des gauches !

La réaction, la vraie, sous ses deux faces, y est battue. À Paris, nous emportons deux sièges dans chaque secteur.

En Seine-et-Oise, trois élus, dont Marty [2], soufflettent et jettent bas les Tardieu [centre droit]. C’est autour de Paris une large tache rouge qui s’étend.

La victoire révolutionnaire, au point de vue stratégique, est incontestable.

Paris, capitale du capitalisme, est encerclé par un prolétariat qui prend conscience de sa force.

Paris a retrouvé des faubourgs !

Le succès du 11 mai contient en puissance le contrôle, par le prolétariat révolutionnaire, des quartiers réactionnaires du centre, de ses banques, de ses monuments d’État, de son ravitaillement, de ses voies de communication, de ses casernes.

Il montre au prolétariat de nos provinces, dont les radicaux alliés aux socialistes ont surpris la bonne foi, ce que peuvent faire des travailleurs qui s’attachent à se défendre eux-mêmes, sans s’attarder aux boniments intéressés des gauches en Cartel…

Le bassin de Paris (Seine et Seine-et-Oise) donne en 1924, au communisme le plus intransigeant, malgré toutes les calomnies de toutes les dissidence, un chiffre de voix supérieur à celui qu’obtenait en 1919 un parti socialiste tout empêtré d’idéologie bourgeoise…

Il ne reste plus qu’à Frossard [3] et autres Méric [4], ignominieusement battus, qu’à tenir le rôle dérisoire de ces malheureux auxquels l’Intérieur fait donner cent sous à charge de crier au passage des officiels, les après-midi de 14 juillet : « Vive la République ».

Et maintenant, au travail, camarades !

Vous avez eu le bulletin de vote, mais c’est encore votre ennemi de classe qui tient le fusil…

Paul VAILLANT COUTURIER

(député et journaliste communiste)

Notes

[1] Jacques Doriot, dirigeant des Jeunesses communistes, était alors emprisonné à cause de son action contre la guerre du Rif. Son élection à Saint-Denis le fera libérer.

[2] André Marty, emprisonné en 1919 pour sa participation à la révolte des Marins de la Mer noire, est gracié en 1923 après une une grande campagne en faveur de l’amnistie des Mutins. Il adhère alors au Parti communiste.

[3] Ludovic Oscar Frossard, secrétaire général de la S.F.I.O (socialistes) à partir de 1918, puis secrétaire général du Parti communiste né au Congrès de Tours en décembre 1920. Hostile à la "bolchévisation" du parti, il démissionne et crée un groupe dissident, le Parti communiste unitaire, qui deviendra Union socialiste-communiste. Il est candidat sans succès aux législatives de 1924 sous les couleurs du Cartel des Gauches (socialistes et radicaux).

[4] Le journaliste Victor Méric, d’abord anarchiste, est élu au Comité directeur du Parti communiste en décembre 1920. Il y demeure jusqu’en 1922. Hostile à la "bolchévisation" du parti et à l’exclusion des membres de la Ligue des droits de l’homme, il démissionne en janvier 1923 et fonde avec Frossard le Parti communiste unitaire.

C) 1924 : Le cartel des gauches contre le mur de l’argent (NPA)

A la suite de la Première guerre mondiale, l’État français est très endetté et en crise financière. Pour les intérêts de l’impérialisme français, il a eu recours pendant la guerre à des emprunts massifs et a fait tourner la planche à billets. Pour rétablir les finances, résorber la dette, ce sont alors des budgets de rigueur qui sont imposés, et qui, comme aujourd’hui, frappent plus durement la classe travailleuse.

Le Bloc national au pouvoir après la guerre se veut le continuateur de l’Union sacrée, mais celle-ci a de plus en plus de mal à passer. Dans le sillage de la révolution russe, les revendications ouvrières ont resurgi, poussant à gauche l’ensemble du spectre politique. Un « cartel des gauches » voit alors le jour pour les élections législatives de 1924, entre les socialistes (Section française de l’internationale ouvrière, SFIO) et des forces de la gauche bourgeoise centrées autour du Parti radical. La SFIO n’ose pas participer au gouvernement Herriot : le « ministérialisme » n’est pas encore assumé totalement (malgré le précédent de Millerand, un socialiste qui a accepté un poste de ministre en 1899 avec le soutien de Jaurès), et il se justifie déjà face à la dénonciation de son opportunisme par le jeune parti communiste (Section française de l’Internationale communiste, SFIC). Ce cartel est néanmoins une prémisse de « front populaire » basé sur le dénominateur de « gauche » et de « progressisme ».

Au delà de la trahison c’est aussi le début d’une propagande prétendant que le « progrès » est possible pour les exploités en s’alliant avec des forces pro-capitalistes.

Les radicaux étant naturellement peu enclins à empiéter sur la « propriété privée », ce sont les socialistes qui vont les pousser à des « réformes », visant à taxer le capital et notamment les profiteurs de guerre. Cela n’a pas débouché sur un programme économique commun à l’échelle nationale, mais par exemple en Île-de-France, le cartel déclare :

« Nous voulons l’assainissement des finances, la justice sociale par la prédominance de l’impôt direct frappant la richesse acquise, la répression impitoyable des fraudes et des spéculations illicites (…). Nous voulons garantir les commerçants contre les abus du droit de propriété (…) le commerce et l’industrie honnêtes contre les mercantis, les classes moyennes contre les entreprises d’une ploutocratie sans vergogne ».1

La prétention à défendre les petits patrons face aux gros, les entrepreneurs contre les spéculateurs, tout ça dans le cadre du système, est déjà là.

Aussitôt le nouveau gouvernement mis en place, une panique bancaire se déclenche, ce qui aggrave la crise et la pénurie budgétaire. C’est alors qu’Édouard Herriot emploie pour la première fois l’expression de « mur d’argent », pour dénoncer le sabotage des milieux bancaires et financiers, et notamment le rôle du conseil de régence de la Banque de France, un organisme semi-privé dirigé par le banquier Rothschild et le métallurgiste Wendel.

Toutefois, on ne peut réduire cette crise à un complot de la finance. La fuite des capitaux était réelle, tout comme la dépréciation du franc, la panique a gagné y compris les petits épargnants... C’est ce qu’explique l’historien Jean-Noël Jeanneney2, qui s’inscrit pourtant dans la pure lignée de cette gauche bourgeoise qui aboutit au PS d’aujourd’hui. Le gouvernement Herriot chute en avril 1925. Six gouvernements du cartel lui succèdent et sont incapables de stabiliser la situation économique, ce qui conduit au retour de Poincaré (alliance de la droite et des radicaux) en juillet 1926. Cet échec montre l’impossibilité pour un gouvernement bourgeois de « gauche » de mettre en œuvre des mesures sociales significatives, et donc les limites du volontarisme dans le cadre capitaliste. Non pas simplement parce que les financiers n’en veulent pas, mais parce que ces mesures accroissent les dysfonctionnements du système capitaliste. Deux issues sont alors possibles : soit la logique du système s’impose et les mesures sont retirées, soit un gouvernement révolutionnaire (c’est à dire un gouvernement porté par la mobilisation des masses ou issu de cette dernière) prend des mesures radicales pour mettre hors d’état de nuire les capitalistes.

Il faut d’ailleurs noter que quelques mesures du cartel sont passées, celles qui n’étaient pas vraiment structurelles et donc « digérables » par le système3 : transfert des cendres de Jaurès au Panthéon, reconnaissance de l’URSS, une contre-offensive laïque timide... ou même l’autorisation pour les fonctionnaires de se syndiquer, et des amnisties pour des arrestations d’ouvriers et de progressistes, Quant aux intérêts colonialistes, ils étaient bien défendus (répression au Maroc, en Syrie, au Liban...).


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