Quel avenir pour Force Ouvrière ? (point de vue)

mardi 25 mars 2008.
 

Dans quelques jours (13 avril) la Confédération FO aura 60 ans, l’occasion de faire le point sur cette organisation syndicale qui semble changer de cap.

L’histoire du mouvement syndical français révélera très certainement que l’élection de Jean-Claude Mailly à la tête de FO en avril 2004 signifiait un retour aux bonnes vieilles traditions du social consensuel cher à André Bergeron.

Mais peut-on comparer la période de la guerre froide, où FO jouait les bons offices en menant une politique conventionnelle avec le patronat et les pouvoirs publics pour éviter une emprise trop importante du P.C.F. et donc de la C.G.T., et celle de la mondialisation où, sous couvert de dialogue social, les tenants du capital n’ont qu’un objectif, celui d’abattre un maximum d’acquis sociaux avec le consentement d’une majorité d’organisations syndicales ?

Le récent accord sur la modernisation du marché du travail marque le retour du consensus, politico-social, en d’autres termes de l’association du capital et du travail.

De ce fait l’organisation qui vit en 1951 l’un des siens, Léon Jouhaux, recevoir le prix Nobel de la Paix mérite quelque attention. Pour cela un zoom sur les 20 dernières années s’impose.

L’élection de Marc Blondel en 1989 se fait au forceps, causant de profondes déchirures dans l’appareil militant. Même si l’élu s’en défend, la notion de majorité et d’opposition apparaît pour la première fois à FO. D’un côté, le camp de Pitous, le battu, et de l’autre les défenseurs de Blondel, le vainqueur. Ce n’est pas une affaire d’hommes, mais bel et bien d’orientation.

L’un, sous couvert de réformisme est porte-parole d’un groupe proche du principe de collaboration de classe, l’autre privilégie la lutte de classe.

Au moins, dans la première moitié de sa présence à la tête de F.0., Blondel connaît une situation compliquée.

Très rapidement, l’épine dans le pied lui vient d’un membre du bureau confédéral, Jacques Pé qui aura pour mission de le contrer. Après quelques actions de petite facture, le manque de charisme de celui-ci le fait renoncer, il opte pour un reclassement dans une ambassade !

Mais le problème n’est que temporairement réglé.

Jacques Mairé, secrétaire général de l’Ile de France s’attèle à la tâche. Plus motivé, et déterminé, il va jusqu’à se présenter au secrétariat général face à Blondel en 1996.

il ne récolte que 15 % des voix, et n’a d’autre issue que de quitter FO. Il part à l’U.N.S.A. en 1998.

Il est rejoint par quelques dizaines, peut-être quelques centaines de militants, mais bien plus que le nombre, c’est l’acte, largement relayé par les médias qui conduit Blondel à lever le pied.

Ainsi rassurés, les dirigeants de la Fédération des P.T.T., fers de lance de l’opposition, ne mettent pas à exécution leur menace de partir, eux aussi, à l’U.N.S.A.

Enraciné dans ses convictions, soutenu par une majorité hétéroclite, mais fidèle, Blondel ne déroge pas à sa ligne, notamment sur le plan Juppé en 1995.

Cela lui vaut les sarcasmes du milieu politique et patronal et des libéraux en général. Déstabilisée et fragilisée par la chute du mur de Berlin, s’apprêtant à quitter la F.S.M. et piaffant aux portes de la Confédération Européenne des Syndicats, la CGT paraît être la proie facile pour quelques dirigeants de FO. Blondel déclare même qu’il va bouffer la C.G.T.

Parmi les actions menées, deux émergent.

En mars 1995, les trotskistes du parti des travailleurs lancent une opération de rapprochement des confédérations FO et CGT., appelée « appel des 500 »

Une forte réaction des opposants à la ligne Blondel, mais pas seulement, fait avorter l’opération, l’éclatement de FO n’a jamais été aussi réel.

Quelques mois plus tard, à l’occasion des évènements dus au Plan Juppé, un autre clou est enfoncé.

Au cœur d’une forte manifestation parisienne, le 28 novembre 1995, Blondel serre symboliquement la main de Viannet, secrétaire général de la C. G. T. Cette opération de communication exaspère au plus haut point les opposants internes à Blondel, qui s’organisent pour faire avorter l’implication de FO dans le mouvement.

De son côté, bien que retraité, André Bergeron ne ménage pas sa peine pour s’opposer publiquement à Marc Blondel des structures internes lui ouvrent largement leurs colonnes.

Puis arrive la fin du règne Blondel. Il informe qu’il ne sollicitera pas un nouveau mandat au congrès prévu en 2004.

Mais entre temps, il faut affronter les élections prudhommales de décembre 2002. Le nouveau gouvernement issu de la présidentielle de mai 2002, s’est donné pour objectif la réforme des retraites de la Fonction Publique. Pour réussir, il faut affaiblir F.0., seul résistant, car pour la C.F.D.T., la docilité est assurée et la C.G.T. ne semble pas des plus mobilisée.

Ainsi, l’aide extérieure aux opposants à la ligne Blondel n’est pas mineure. Sinon, comment expliquer la progression d’organisations minoritaires, sans appareil, comme la C.F.T.C., la C.G.C.. et le maintien de la C.F.D.T. malgré ses déboires internes sur le plan Juppé.

F.0. perd plus de deux points, l’aide extérieure et la faible implication d’organisations internes ont payé.

A la veille des négociations sur les retraites, les « réformateurs » gagnent le premier round, FO est affaiblie. Chacun connaît l’issue du combat sur les retraites et l’heure de la succession à la tête de FO arrive. Après quelques hésitations, Jean-Claude Mailly, ancien bras droit de Marc Blondel, ne laisse que peu de suspense quant à sa candidature. Bien avant sa déclaration, il est assuré du soutien d’une majorité de l’appareil.

Mais les opposants à la ligne Blondel considèrent qu’ils ne peuvent faire confiance à celui qui, pendant de nombreuses années, fut l’aide de camp, de leur ennemi juré. Alors Jean-Claude Mallet, secrétaire confédéral, ancien Président de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie est désigné par les siens pour jouer l’opposant. La mayonnaise ne prend pas, il jette l’éponge quand il apprend que les syndicats d’une grosse fédération, celle des Services Publics et de Santé, lui refusent le soutien.

C’est la voie royale pour Mailly.

Le congrès se déroule à Villepinte, Marc Blondel est salué comme il se doit et Jean-Claude Mailly est élu dans un fauteuil. Mais dans les coulisses la lutte est sévère pour la constitution du bureau confédéral et de la commission exécutive. Certes, Mallet s’est retiré de la course, mais ses amis mettent la pression pour obtenir une forte présence au sein de l’organe politique de F.O. De ces tractations peu de choses ne filtrent, mais quelques mois plus tard une indication est donnée.

Mors que le syndicat s’est inscrit contre une énième réforme de la Sécurité Sociale (conduisant à la loi d’août 2004 appelée Douste-Blazy) les représentants FO à la Caisse Nationale d’Assurance Maladie reçoivent mandat pour apporter leur voix au candidat de la C.F.D.T. pour la présidence d’un organisme créé de toute pièce par la récente loi De mémoire de militants cela ne s’est jamais vu à ce niveau. Est-ce le résultat des tractations secrètes du congrès de Villepinte ? Ou est-ce un accident de parcours ?

L’année 2005 apporte des précisions.

Au Comité Confédéral National - C.CN.- (Parlement de FO) de mars 2005, un consensus conduit au vote d’une résolution (sous couvert d’indépendance syndicale 1H) refusant de prendre position sur le T.C.E. ! Ce choix confirme le virage libéral de FO. Si cette orientation est conforme aux visées européistes des appareils de I’UMP., du P5. et des centristes influents au sein deFO, la surprise vient de la docilité des membres du parti des travailleurs dont l’europhobie ne fait pas mystère.

Quelles négociations, quelles tractations y a t’il eu pour en arriver là ?

A partir de cet épisode, la direction de F.O. rompt complètement avec l’ère Blondel. Mailly, dans ses déclarations publiques, s’en cache à peine. Le printemps 2006 confirmera cette nouvelle trajectoire. ’affaire du C.N.E./C.P.E. révèle un embarras de la direction confédérale.

La lutte contre le C.N.E. est inexistante. D’août 2005 (lancement du CN.E.) à janvier 2006 (publication du projet de C.P.E.) FO, comme pratiquement l’ensemble du syndicalisme français, est étrangement muette sur cette flexibilité accrue du contrat de travail, pour les entreprises de moins de vingt salariés. La conduite de ce dossier relève davantage de la ligne brisée que de la ligne droite. Mors que l’expression interne varie d’une semaine à l’autre, mais sans s’éloigner de la manière soft, comment expliquer le recours, fort justifié, à l’Organisation Internationale du Travail ? Acte fort s’il en est.

Comment expliquer également le peu d’enthousiasme de la direction confédérale quand l’OIT, condamne le principe du C.N.E. ? Est-ce pour éviter d’humilier les libéraux présents au sein de FO et plus particulièrement les UMPistes ?

Puis arrive l’épisode du C.P.E.

S’appuyant sur son succès de management syndical du C .N.E., poussé par sa concurrence interne, le Premier Ministre De Villepin, à la surprise générale, lance le C.P.E. Mais cette fois, trop c’est trop, la confiance est trahie car le locataire de Matignon, qui a promis à ses partenaires sociaux un bilan d’étape du C.N.E., n’a pas respecté son engagement. Le Premier Ministre oublie également que, s’adressant à la jeunesse, le partenariat est moins évident. Après quelques hésitations dues à des congés scolaires, les jeunes montent en pression et entraînent les syndicats, même les plus récalcitrants.

C’est alors que F.O. est victime d’un spasme.

Les membres du parti des travailleurs y voient là une occasion de reprendre la main et très certainement de se venger du C.C.N. de mars 2005. Ils imposent à Mailly une grève interprofessionnelle. Au mépris des statuts, elle sera imposée aux syndicats par la commission exécutive. Le C.C.N. ne se réunit pas, ses membres sont simplement interrogés par courriel ou par téléphone !

Le résultat est à la hauteur de la démarche, aucun bilan n’est tiré, aucun chiffre n’est donné et pour cause. L’appareil a imposé mais la base a décidé de ne rien faire !

Quelques mois plus tard, la stupéfaction est de mise dans les rangs des militants attachés à l’indépendance syndicale. Le centenaire de la Charte d’Amiens (octobre 2006) se doit d’être fêté avec dignité et respect.

Eh bien non les vieux grognards seront déçus, rien de tout cela, les militants de base sont écartés de la cérémonie, aucune invitation ne sera adressée aux syndicats. Pire encore, Mailly se prête à la mascarade d’une conférence commémorative le 13 octobre 2006 à la Bibliothèque Nationale de France avec Chérèque et Thibaud !

Il est \Tai que quelques mois auparavant, à l’occasion d’un relookage du sigle, les références à la liberté syndicale et à l’indépendance syndicale ont disparues !

Est-il nécessaire d’ajouter à cela le refus de F.O. de commémorer, (ès-qualités) un an plus tôt, le centenaire de la loi de séparation des alises et de l’Etat ?

Il semble que le soixantième anniversaire de F.O. (13 avril 2008) subisse le même traitement. Le C.C.N. des 14 et 15 février dernier lui réserve trois lignes dans sa résolution, sans aucun appel à la commémoration !

Indépendance syndicale et laïcité, deux des piliers sur lesquels se construisirent la C.G.T. en 1895 et F.O. en 1948, s’effondrent.

Cette gestion à l’écart des syndicats se retrouve dans le dossier international. La délégation de la direction confédérale qui, au congrès de Vienne de novembre 2006, donne son accord pour la dissolution de la C.I.S.L. et la création de la C.S.I., aux objectifs ambigus, ne sollicite aucun mandat du C.C.N. réuni un mois plus tôt. C’est certainement le compromis trouvé avec les membres du parti des travailleurs. Sur un dossier aussi sensible, le mieux est de ne pas en débattre dans les instances ! !!

D’autres épisodes de ce style pourraient être cités, mais arrêtons-nous là pour nous intéresser au congrès de Lille tenu en juin 2007.

On aurait pu s’attendre à quelques renaclements, peut-être même à quelques oppositions, mais rien de tout cela, le rapport d’activité présenté par Mailly est approuvé à la quasi-unanimité. Compte tenu du changement d’orientation de la direction confédérale dans sa pratique, le comportement des syndicats F.O. est troublant. Ou hier ils faisaient semblant d’apprécier la ligne Blondel, ou aujourd’hui ils se résignent à renoncer aux valeurs originelles de F.O. et se convertissent à la collaboration de classes ?

A moins que ce score ne soit que le résultat d’un travail soigneusement préparé en amont du congrès. Comment expliquer la présence de seulement 2500 congressistes contre près de 4000 auparavant, et apparemment sans modification des règles statutaires. Ou le nombre de syndicats F.O. a sérieusement diminué ou l’organisation a serré les rangs autour d’un appareil convaincu du recentrage. Mais pour les doctrinaires du réformisme - en fait les adeptes de la collaboration de classes - certes l’approbation massive du rapport d’activité est essentielle, mais l’enjeu se situe surtout dans la préparation de la stratégie pour l’avenir.

Il faut donc élaborer des résolutions permettant de confirmer le virage libéral amorcé par Mailly et approuvé par le Congrès.

Les projets de texte horrifient bon nombre de militants, les débats sont vifs et parfois musclés. Au cœur de ceux-ci, le dossier des retraites figure en bonne place, les réformistes ne veulent plus entendre parler des 37,5 ans.

A l’instar de la fédération de la métallurgie, qui a fait litière de cette revendication depuis plusieurs années, ils considèrent que les 40 ans sont la norme qu’il faut accepter. D’ailleurs, au cours des mois précédents le congrès, Mailly, mais pas lui seul, s’est dépensé, au cours de ses déplacements, pour convaincre ses camarades de l’obligation du réalisme.

La rédaction finale laisse une interprétation multiple que ne manque pas d’exploiter Mailly dans une expression de communication « bloquer les compteurs à 40 ans »

Pour les commentateurs et en particulier les grands médias bien pensants, enfin le réalisme l’a emporté a F.O. Même le Président de la République, récemment élu, ne contient pas sa satisfaction.

Quarante huit heures après le congrès, Mailly déjeune avec Sarkozy dans un restaurant parisien. Ne pas v voir une connivence relève de l’aveuglement.

Indiscutablement, le Palais du Faubourg Saint-Honoré et le 141 Avenue du Maine ont une vue assez proche sur les retraites et le service minimum dans les transports. En réponse aux critiques qui lui sont adressées, Mailly répond que ses prédécesseurs, eux aussi, ont déjeuné en ville avec les Présidents de leur époque. Mailly oublie de dire qu’il a accepté la présence des médias, ce qui n’est pas un détail compte tenu du programme annoncé de remise en cause des acquis sociaux.

L’entrée des quatre nouveaux membres au bureau confédéral oblige également à quelques commentaires. Que des seconds couteaux, mais l’un d’entre eux, Stéphane Lardy, sans avoir eu antérieurement un rôle politique dans l’organisation n’en est pas moins influent. En 2000, en désaccord avec la ligne Blondel, il quitte un poste de technicien au secteur juridique de la Confédération pour rejoindre la Fédération de l’agroalimentaire clairement opposée à Blondel. Il fait donc un retour avenue du Maine en juin 2007 mais, cette fois, comme secrétaire confédéral. 11 déclare à un quotidien national en octobre « Quand je rentre en négo, c’est pour signer des accords, sinon je reste chez moi » C’est un discours que l’on a l’habitude d’entendre du côté de la C.F.D.T., alors la contagion a t’elle gagné F.O. ?

Il marque de son empreinte la négociation sur le marché du travail.

Puis arrivent les gros dossiers. Dans une expression, à peine voilée, Mailly considère que la réquisition étant écartée, le service minimum dans les transports ne mérite pas de combattre

La question des régimes spéciaux de retraite subit le même traitement. S’appuyant sur une majorité de sa commission exécutive de 35 membres, il refuse d’impliquer l’ensemble de la Confédération dans cette affaire. « Généreusement » il accorde le soutien aux secteurs d’activité concernés. Les cheminots apprécient ... !!! Mais Mailly a une expression qui ne laisse aucune ambiguïté sur sa conception du combat ouvrier. La lutte des cheminots est parallèle à celle que mènent les fonctionnaires pour la défense de leur pouvoir d’achat.

11 a cette expression extraordinaire (Le Monde du 14/11) « nous ne souhaitons pas à priori une jonction avec la grève des fonctionnaires » En d’autres termes, le risque de propagation est réel, il faut donc éviter la structuration d’un mouvement multi-professionnel.

Un peu plus tard, il aura encore de curieux propos.

Le 2 janvier dernier, sur France Inter, Nicolas Demorand lui pose la question suivante : « Pensez-vous que la question des salaires sera le dossier chaud pour 2008 ? » Mailly fait cette réponse stupéfiante « Oui, c’est pourquoi les salariés ont intérêt à se bouger le 24 janvier » date d’un mouvement sur les salaires et les retraites.

Gonflé le gars, comme dirait l’autre ! Non seulement Mailly oublie la situation des 7 millions de travailleurs pauvres et des 2,5 millions et demi de smicards pour qui la grève est quasi impossible matériellement et le fait que, dans le secteur privé, la grève signifie des représailles pour les salariés qui cessent le travail, mais le moralisateur oublie la période du début 2005.

En ce début 2005, des actions sur le pouvoir d’achat se développent : 20 janvier, action dans la Fonction Publique - 5 février, public/privé ensemble dans l’action - 10 mars re-belote_ Le constat est clair, la pression monte.

La pression monte, peut-être trop pour Mailly, et pour ses alter égo (Thibaud et Chérèque) car la consigne de ne pas alimenter le trouble social à quelques semaines du référendum sur le T.C.E. est transversale à toutes les confédérations syndicales. Quelques jours plus tard, le C.C.N. de F.O. sous la pression de la direction confédérale décide de ne pas se prononcer sur le TCE. De son côté, Thibaud espère pouvoir en faire autant avec la C.G.T., mais son C.C.N. lui impose de rectifier le tir.

Quant à la C.F.D.T. pour montrer son intérêt pour le T.C.E. elle organise un meeting de soutien à Rennes.

Il faut attendre 7 mois (4 octobre) pour retrouver une action de rue, mais le ressort est détendu.

Alors aujourd’hui, faire la morale aux salariés sur la mobilisation ne manque pas de toupet.

***

Ce bilan, qui ne prétend pas à l’exhaustivité, oblige à l’interrogation sur le devenir de F.O. Tout au moins sur sa fidélité à la ligne définie à la création de la C.G.T. en 1895 puisque jusqu’à ces dernières années les militants attachés à l’indépendance syndicale revendiquaient l’appellation de C.G.T. F.O.

Faut-il s’étonner de cet aboutissement quand on fait l’analyse historique et politique de cette Organisation ?

La générosité de sa philosophie en fait sa crédulité et sa vulnérabilité. L’indépendance, non contrôlée, a permis à beaucoup de courants de pensée de s’introduire dans ce qu’il faut bien appeler, au final, une auberge espagnole.

Jusqu’à la chute du mur de Berlin, cet ensemble est resté assez compact, grâce à la politique contractuelle voulue par le patronat et les pouvoirs publics pour freiner les ardeurs du communisme. Ensuite, la forte personnalité de Blondel et l’attachement de celui-ci à la lutte de classes a permis d’éviter le pire, mais la poussée des adeptes de la mondialisation, d’une Europe fédérale et par conséquent de l’acceptation d’une remise en cause des acquis sociaux, a conduit au virage que l’on constate.

Face à cette évolution, les trotskistes du parti des travailleurs sont devenus minoritaires dans l’appareil politique de F.O.

Leur choix est donc limité. Ou ils quittent l’organisation de l’Avenue du Maine, mais pour aller où ? Ou ils acceptent la cohabitation avec les tenants de l’association capital/travail. C’est apparemment le choix qu’ils ont fait ne voulant pas se séparer d’un appareil toujours intéressant dans l’objectif de créer un nouveau parti succédant au parti des travailleurs, prévu en juin prochain.

Dans cette démarche, les premières victimes sont les salariés, car les organisations syndicales françaises sont devenues quasi inopérantes. La C.F.D.T. poursuit sa collaboration avec le patronat et les pouvoirs publics pour faire les réformes de structures en adéquation avec la mondialisation libérale et la C.G.T. se convertit progressivement au réformisme depuis l’abandon des 37,5 ans en 2003 et son rapprochement avec le parti socialiste.

Et donc quel avenir pour F.O. ?

Sans ordre de préférence, plusieurs paramètres sont à prendre en compte.

La réforme de la représentativité n’est pas aboutie.

Le décret de 1966, qui place la C.G.T., la C.F.D.T., la F.O., la C.F.T.C., la C.G.C. au rang des confédérations légales, tiendra t’il encore longtemps ? La C.G.T., la C.F.D.T. piaffent d’impatience, la disparition de F.O. leur permettrait de se partager la dépouille. L’U.N.S.A. voudrait bien, elle aussi, jouer dans la cour des grands. De nouveaux critères de représentativité se discutent depuis plusieurs mois. Récemment, la commission Attali a précisé ses positions.

L’un de ses membres, Jean Gaspard, ancien secrétaire général de la C.F.D.T., considère, certainement en toute impartialité, qu’au niveau de l’entreprise seules les organisations ayant recueilli au minimum 15 °A des suffrages seraient représentatives.

Mais pour le patronat et les pouvoirs publics, il est urgent de ne pas se précipiter. Il serait maladroit de se priver d’une organisation qui peut encore servir.

La réforme des structures, en clair la casse des acquis sociaux n’est pas terminée, or à plusieurs reprises la C.F.D.T. a fait savoir qu’elle ne voulait plus seule payer la note des réformes. Ainsi l’implication de F.O. est indispensable et la réforme de la représentativité doit attendre.

L’exemple de l’accord sur la modernisation du marché du travail est une illustration parfaite. F.O. a mis les mains dans le cambouis, allant jusqu’à signer la première et organiser une conférence de presse pour bien montrer que son implication et sa signature n’avaient rien du hasard.

Notons au passage que malgré quelques récriminations sur l’accord du marché du travail, notamment celle de l’UD de Paris, la résolution du dernier C.C.N. (14 et 15 février 2008) se contente de rappeler sa préférence pour le C.D.I., cette déclaration recevant l’approbation d’une écrasante majorité. Une fois de plus, les membres du parti des travailleurs ne bronchent pas !

Parmi les autres éléments qui concourent à un possible big-bang syndical, il faut citer l’influence extérieure. L’attitude de la C.E.S. ne peut être considérée comme mineure dans cette affaire, de même que la disparition de la au profit de la C.S.I. Faut-il se souvenir qu’au cours du congrès constitutif, l’un des artisans de cette évolution avait indiqué qu’il y aurait des prolongements dans les pays, notamment par des regroupements et des fusions.

Peut-on également ignorer l’affaire des fonds secrets de l’U.I.M.M. ? F.O. est-elle impliquée dans cette affaire ?

L’ancien Ministre Dutreil, dans une dépêche de l’A.F.P. du 24 octobre 2007, semblait affirmatif, mais faut-il accorder du crédit à celui qui qualifia, au temps où il était Ministre de la Fonction Publique, d’inutiles les retraités de la Fonction Publique ?

Enfin, les élections prudhommales prévues en décembre 2008 ne peuvent être ignorées, elles pèseront lourd dans les décisions futures.

Pour conclure, qu’il s’agisse de la gauche, sensée équilibrer le capital et le travail par la répartition des richesses ou du syndicalisme ouvrier dont la responsabilité est de défendre l’intérêt du monde du travail, c’est le règne de la faillite.

La période qui s’ouvre ne risque-t-elle pas de remettre en cause le modèle de société qui en Europe a mis tout le 19ème siècle pour se définir et le 20ème pour se construire

La globalisation financière fait de la Chine l’usine du monde, si l’occident refuse de prendre conscience du danger, l’empire du milieu déversera également son modèle politique où se conjuguent libéralisme économique et chape de plomb sur les producteurs de richesse.

La gauche européenne et donc française, le syndicalisme européen et donc français devraient se préoccuper de cet enjeu avant qu’il ne soit trop tard. F.O. doit, elle aussi, s’interroger sur son rôle dans ce dangereux futur.

Gaétan Bahxes


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