A propos de la nouvelle “Déclaration de principes” du PS (par Christian Picquet)

mardi 6 mai 2008.
 

Pour un parti, de quelque bord qu’il fût, la rédaction d’une déclaration de principes n’est jamais un acte anodin. On accordera donc toute l’attention requise au projet que l’essentiel des courants du Parti socialiste vient de rendre public, après plusieurs semaines de tractations.

D’autant que, dans l’histoire de ce courant, les versions successives d’un tel document ont marqué des moments essentiels : l’unité des chapelles socialistes dans une même formation en 1905 ; la reconstruction qu’avait rendu nécessaire, à la Libération, l’infamie du ralliement d’une majorité de parlementaires du Front populaire à Pétain ; la création d’un “nouveau PS”, en 1969-1971, sur les ruines d’une SFIO n’ayant pas survécu, au terme d’une longue agonie, au choc de Mai 68 ; la mutation sociale-libérale que le congrès de l’Arche, en 1990, s’efforçait de consacrer après dix ans de pouvoir élyséen de François Mitterrand.

Reflet déformé d’une place politique

Sans doute, dans la tradition de la social-démocratie, les principes peuvent-ils s’avérer d’autant plus radicaux, voire “révolutionnaires”, que la pratique se fait conciliatrice. Ainsi, la référence à l’appropriation collective des moyens de production ne fut-elle d’aucun secours, dans la première moitié du siècle passé, pour empêcher la “vieille maison” chère à Léon Blum de sombrer dans l’union sacrée de la Première Guerre mondiale ou la trahison des espérances de Juin 36. De même, la stricte orthodoxie marxiste professée au temps de Guy Mollet ne prémunit-elle nullement la SFIO de l’engagement, sous la IV° République, dans les guerres coloniales ou dans des coalitions gouvernementales de “troisième force” l’alliant à certains secteurs de la droite. Les vibrants appels à la rupture avec le capitalisme, à partir desquels se fonda la stratégie d’Union de la gauche au lendemain de 1968, n’eurent rigoureusement aucune conséquence lorsque, à partir de 1983, les gouvernements dirigés par les socialistes renoncèrent aux promesses de changement sur lesquelles avait été acquise la victoire de la gauche, deux ans auparavant. Seule, finalement, la dernière des déclarations, celle de 1990, rendait compte de la tendance - jamais interrompue depuis - à l’adaptation du PS à l’ordre libéral. Encore que, même dans cette version, la plus modérée qui ait été jusqu’alors élaborée, le parti était censé se placer “au service des espérances révolutionnaires“ !

Il n’empêche ! Pour formels qu’ils aient été, les principes du Parti socialiste disaient toujours quelque chose de la place qu’occupait ce dernier sur l’échiquier politique, de la relation qu’il entretenait encore avec les aspirations populaires à la transformation sociale, du lien qu’il conservait à la tradition émancipatrice du mouvement ouvrier. Ce n’est pas pour rien qu’ils firent si longtemps du parti français une “exception” au sein du Parti socialiste européen ou de l’Internationale socialiste. Lorsque le SPD allemand fit du capitalisme son horizon indépassable à l’occasion de son congrès de Bad-Godesberg (1959), ou lorsque Tony Blair porta son New Labour sur les fonts baptismaux (en 1994), la tradition du socialisme français était généralement brocardée pour son “archaïsme” ou son impuissance à se défaire de son “sur-moi marxiste”. Ceux de nos socialistes qui entendaient pousser les feux d’une prétendue modernité ne manquèrent d’ailleurs jamais une occasion de reprendre cette antienne. À l’instar de Gérard Grunberg et Alain Bergougnioux (sous l’égide duquel vient d’être rédigé le nouveau texte), écrivant dans leur ouvrage, Le long remords du pouvoir (Fayard, 1992) : “La culture de la gauche française demeure marquée par la tentation du volontarisme, le relatif désintérêt pour la gestion quotidienne, la nostalgie des temps anciens où la perspective révolutionnaire donnait un sens à l’engagement militant, le goût pour le discours plus que pour l’organisation ; cela donne à la mue social-démocrate du socialisme français son caractère incomplet, voire problématique.”

Un aggiornamento blairiste

Au moins, nos auteurs doivent-ils aujourd’hui s’estimer satisfaits. La novation ne réside toutefois pas dans “l’abandon de la révolution“, dont feint de se féliciter le fabiusien Henri Weber dans Le Parisien du 22 avril, car ce point était déjà acquis depuis des lustres. Elle s’illustre d’abord au travers du renoncement définitif à se projeter dans le moindre au-delà du capitalisme, la déclaration se contentant désormais de se revendiquer de “la critique historique de ce dernier“. Elle se trouve soulignée dans le fait que, tout en s’affirmant partisan d’une “économie sociale et écologique de marché, une économie de marché régulée par la puissance publique“, ce texte va jusqu’à prendre l’engagement de concourir à l’existence d’un “secteur privé dynamique“, dans le cadre réitéré (bien évidemment !) d’une “économie mixte“. Plus lourd de signification encore, les principes revisités du PS affirment dorénavant vouloir changer la vie “par la loi et le contrat“... Ce qui signe une rupture fondamentale avec ce vieux principe du mouvement ouvrier, hérité de la Révolution française et de la tradition républicaniste française, selon lequel la transcription du rapport de force collectif dans la loi est, pour le monde du travail, une garantie de progrès infiniment supérieure à la négociation de contrats de gré à gré. Depuis fort longtemps, les tenants d’une conversion du socialisme français aux thèmes du libéralisme politique bourgeois plaidaient en ce sens, et avec eux tous les “penseurs” travaillant pour le Medef. Ils viennent d’obtenir gain de cause !

Ajoutons qu’il n’est pas anodin que le Parti socialiste se définisse seulement comme “un parti populaire ancré dans le monde du travail“, qu’il prétende dorénavant “exprimer l’intérêt général du peuple français“, et qu’il se fixe pour but de “rassembler toutes les cultures de la gauche“. Ces formulations annoncent, en effet, la conclusion de l’ultime article (l’article 21), qui exhorte “tous les hommes et toutes les femmes qui partagent ses valeurs à rejoindre ce combat“. Les mots sont quasiment calqués sur ceux qui vinrent légitimer, en son temps, la “troisième voie” britannique, et ils traduisent la volonté de transgresser au plus vite le clivage droite-gauche. Au nom de “l’intérêt général du peuple français” tout entier, et dans la parfaite logique d’un bipartisme en devenir dans ce pays, on présente le parti comme opérant la synthèse de toutes les cultures de la gauche et l’on achève l’aggiornamento en visant au-delà de la gauche (autrement dit en confirmant que l’ouverture à droite est bien le nouveau tropisme stratégique de la rue de Solferino).

Si l’on veut réellement mesurer l’évolution, il suffit de comparer le document actuel au texte de 1990. Bien que déjà fort édulcoré dans l’affirmation de ses objectifs fondamentaux et du projet de société visé, ce dernier évoquait encore l’idée d’un “dépassement” de la propriété capitaliste “par de nouvelles formes d’organisation économique et sociale donnant aux salariés une véritable citoyenneté dans l’entreprise“. La revendication d’un “service public fort” - on ne reprend plus, en 2007, que la notion de “services publics de qualité“, en la plaçant au même rang que le “secteur privé dynamique” déjà mentionné - accompagnait le refus réaffirmé “que les logiques du marché soient seules déterminantes“. On ne parlait plus (déjà !) de la lutte des classes, mais on reconnaissait tout de même que “les mutations incessantes et profondes des sociétés contemporaines n’ont pas éliminé les oppositions des classes et groupes sociaux“. Si les socialistes ne se voulaient plus un parti de classe, comme aux origines, du moins s’estimaient-ils “particulièrement attentifs aux intérêts des salariés“. Ne nous y trompons donc pas : avec ce nouvel affichage, même si les responsables socialistes s’emploient à en banaliser la portée, le PS fait ses adieux à son réformisme originel, pour accélérer sa transformation en un centre gauche inspiré des modèles britannique ou italien. L’intégration au document d’une préoccupation écologique plus forte que par le passé n’en représente que l’alibi...

Un silence incompréhensible

Dans Libération du 22 avril, un proche d’Henri Emmanuelli use de mots justes pour caractériser l’opération en cours : “Cette déclaration de principes 2008, c’est un peu la Constitution de 1958 des socialistes. Avec le souvenir de la Commune en préambule, il donne des gages à l’aile gauche du parti. Mais c’est pour mieux préparer, dans les futurs statuts, l’émergence d’un grand parti démocrate où le fait majoritaire sera renforcé.” Reste cependant à comprendre pourquoi, précisément, la gauche du parti vient si spectaculairement de louper le rendez-vous de la confrontation politique...

Seul Marc Dolez a voté contre le texte. Jean-Luc Mélenchon s’est abstenu mais, semble-t-il, pour seulement exprimer les “réserves” que lui inspire, à juste titre d’ailleurs, la partie européenne (l’article 17). Serait-ce que la tonalité générale, pour le reste, lui donnerait satisfaction, que la tendance à la droitisation permanente de la social-démocratie européenne s’avérerait contrecarrée ? Voici quelques mois, dans En Quête de gauche(éditions Balland), c’est cependant bien le même Jean-Luc Mélenchon qui soulevait le risque, pour la gauche, de “tout simplement être rayée de la carte politique au profit d’une généralisation de l’alternance molle à l’américaine entre deux courants qui partagent 90% de valeurs et d’idées communes“. Et qui en concluait à l’urgente nécessité d’une nouvelle force politique...

Nous sommes bel et bien devant cette réalité... Avec, en perspective, la convention de juin et le congrès de novembre, manifestement appelés à marginaliser celles et ceux qui n’ont pas renoncé à agir en faveur d’une rupture antilibérale et anticapitaliste. Le silence de la gauche du PS, à se prolonger, devient incompréhensible...

28 avril 2008

Christian PICQUET


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