Testament politique de Lénine

vendredi 5 janvier 2024.
 

- Notes dictées par Lénine en 1922 et 1923 avant de mourir le 21 janvier 1924.

- Ultimes recommandations de Lénine au Comité central du Parti communiste russe, considérées comme son testament politique. "Staline est trop brutal, et ce défaut... devient intolérable dans la fonction de secrétaire général."

1) Notes pour comprendre cette "adresse au congrès du parti communiste d’URSS" connue comme le Testament de Lénine (Jacques Serieys)

1a) Quelques liens

Par delà la propagande anticommuniste des intellectuels au service de la mondialisation capitaliste, il est très important de tirer un bilan de vérité sur Lénine et le bolchevisme, sur la Révolution de 1917, sur la période de 1917 à 1923, sur la Troisième internationale, sur Staline et le stalinisme, sur Trotski et le trotskisme. D’excellents ouvrages de militants et d’historiens, d’excellents textes publiés sur papier ou sur le web ont déjà éclairé l’essentiel. Je suis incapable d’aller plus loin et veux seulement ici acter ma position sur le "testament de Lénine" indépendamment de choix tactiques conjoncturels.

Sur Lénine

Le jeune Lénine, graine de tyran rouge ?

Lénine déboulonné, dénigré, oublié mais à étudier

Sur les Révolution russes de 1905 et 1917

Dimanche sanglant de Saint Petersbourg le 22 janvier 1905

La mutinerie du cuirassé Potemkine

Russie La révolution d’octobre 1917 Conseil d’usine Assemblée générale Rayon du parti Armement Smolny Palais d’Hiver

Révolution russe : Pour un anniversaire sans refoulement ni complaisance 1917 2017

Sur la période 1917-1923

Déclaration des 46 Au Bureau politique du Comité central du Parti Communiste russe (Préobrajensky 1923)

La période révolutionnaire 1917-1927

Lénine et Trotsky face à la bureaucratie – Révolution russe et société de transition (NPA)

1b) En 1921-1922, la Russie soviétique connaît une situation très difficile :

- les mouvements sociaux et révolutions d’Europe occidentale et d’autres continents sont battus ou s’essoufflent, laissant l’URSS isolée

- la guerre de résistance contre les armées étrangères et contre les Russes blancs continue à ravager le pays

Guerre civile russe. Pourquoi les Rouges ont-ils gagné ? 29 octobre 1917 à octobre 1922

- la famine se développe dans de vastes territoires ; les réquisitions menées aux dépens de la paysannerie ne font que renforcer les forces opposées au régime

- le Parti Communiste d’Union Soviétique réussit peu à peu à gagner la guerre mais au prix d’une centralisation à son profit des organes du pouvoir politique,, embryon de l’Etat ouvrier bureaucratisé de l’époque stalinienne à venir.

- Vladimir Oulianov, dit Lénine conserve un poids moral considérable dans le parti et dans la population. Il réussit en particulier à imposer la NEP. Mais son état de santé se dégrade dès 1921 (alertes cardiaques, conséquences physiques de la tentative de meurtre par balle de 1918...)

1c) Les deux dernières années de Lénine et son "testament politique"

- Durant les périodes où Lénine reprend son activité politique au Kremlin, il se heurte de plus en plus à Staline, à ses immenses pouvoirs, à son réseau d’affidés, à son caractère, à ses orientations politiques par exemple sur le projet de Fédération des Etats de l’URSS.

- Le 25 mai 1922, Vladimir Oulianov est victime d’un accident vasculaire cérébral qui le laisse paralysé du côté droit. Il réussit à rester inséré dans les débats essentiels du politburo mais ses rapports avec Staline sont de plus en plus tendus. En accord avec Trotsky sur plusieurs questions décisives du moment, il le charge en particulier de parler en son nom lors du prochain plenum du Comité central. Staline interdit de communiquer à Lénine tout document et toute information sur la vie politique du pays et du parti. Comme l’épouse de celui-ci, Nadedja Krouskaïa, le tient au courant, Staline l’injurie violemment et la menace

- Après une nouvelle aggravation de son état, Lénine dicte une "lettre au congrès" (qui doit se tenir au printemps 1923) connue sous le nom de Testament de Lénine (voir ci-dessous). Vu l’importance du poste de secrétaire général du parti en URSS, dans la perspective du prochain congrès, il évalue les qualités et défauts des principaux dirigeants communistes, en ciblant surtout la nécessité de remplacer Staline par par quelqu’un qui soit « plus patient, plus loyal, plus poli et plus attentionné envers les camarades »

Jacques Serieys

2) L"adresse au congrès du parti communiste d’URSS" connue comme le Testament de Lénine

Par stabilité du Comité central j’entends les mesures propres à prévenir une scission, pour autant que de telles mesures puissent être prises. Car le garde-blanc de Russkaïa Mysl avait évidemment raison quand, dans sa pièce contre la Russie soviétique, il misait en premier lieu sur l’espoir d’une scission de notre Parti, et quand, ensuite, il misait, pour cette scission, sur de graves désaccords au sein de notre parti.

Notre Parti repose sur deux classes, et, pour cette raison, son instabilité est possible, et s’il ne peut y avoir un accord entre ces classes sa chute est inévitable. En pareil cas il serait inutile de prendre quelque mesure que ce soit, ou, en général, de discuter la question de la stabilité de notre Comité central. En pareil cas nulle mesure ne se révélerait capable de prévenir une scission. Mais je suis persuadé que c’est là un avenir trop éloigné et un événement trop improbable pour qu’il faille en parler.

J’envisage la stabilité comme une garantie contre une scission dans le proche avenir, et mon intention est d’examiner ici une série de considérations d’un caractère purement personnel.

J’estime que le facteur essentiel dans la question de la stabilité ainsi envisagée, ce sont des membres du Comité central tels que Staline et Trotsky. Leurs rapports mutuels constituent, selon moi, une grande moitié du danger de cette scission qui pourrait être évitée, et cette scission serait plus facilement évitable, à mon avis, si le nombre des membres du Comité central était élevé à cinquante ou cent.

Le camarade Staline en devenant secrétaire général a concentré un pouvoir immense entre ses mains et je ne suis pas sûr qu’il sache toujours en user avec suffisamment de prudence. D’autre part, le camarade Trotsky, ainsi que l’a démontré sa lutte contre le Comité central dans la question du commissariat des Voies et Communications, se distingue non seulement par ses capacités exceptionnelles - personnellement il est incontestablement l’homme le plus capable du Comité central actuel - mais aussi par une trop grande confiance en soi et par une disposition à être trop enclin à ne considérer que le côté purement administratif des choses.

Ces caractéristiques des deux chefs les plus marquants du Comité central actuel pourraient, tout à fait involontairement, conduire à une scission ; si notre Parti ne prend pas de mesures pour l’empêcher, une scission pourrait survenir inopinément.

Je ne veux pas caractériser les autres membres du Comité central par leurs qualités personnelles. Je veux seulement vous rappeler que l’attitude de Zinoviev et de Kaménev en Octobre n’a évidemment pas été fortuite, mais elle ne doit pas plus être invoquée contre eux, personnellement, que le non bolchévisme de Trotsky.

Des membres plus jeunes du Comité central, je dirai quelques mots de Boukharine et de Piatakow. Ils sont, à mon avis, les plus capables et à leur sujet il est nécessaire d’avoir présent à l’esprit ceci :

Boukharine n’est pas seulement le plus précieux et le plus fort théoricien du Parti, mais il peut légitimement être considéré comme le camarade le plus aimé de tout le Parti ; mais ses conceptions théoriques ne peuvent être considérées comme vraiment marxistes qu’avec le plus grand doute, car il y a en lui quelque chose de scolastique (il n’a jamais appris et, je pense, n’a jamais compris pleinement la dialectique).

Et maintenant Piatakov - un homme qui, incontestablement, se distingue par la volonté et d’exceptionnelles capacités, mais trop attaché au côté administratif des choses pour qu’on puisse s’en remettre à lui dans une question politique importante.

Il va de soi que ces deux remarques ne sont faites par moi qu’en considération du moment présent et en supposant que ces travailleurs capables et loyaux ne puissent par la suite compléter leurs connaissances et corriger leur étroitesse.

Lénine le 25 décembre 1922

Post-scriptum.

Staline est trop brutal, et ce défaut, pleinement supportable dans les relations entre nous, communistes, devient intolérable dans la fonction de secrétaire général.

C’est pourquoi je propose aux camarades de réfléchir au moyen de déplacer Staline de ce poste et de nommer à sa place un homme qui, sous tous les rapports, se distingue de Staline par une supériorité - c’est-à-dire qu’il soit plus patient, plus loyal, plus poli et plus attentionné envers les camarades, moins capricieux, etc.

Cette circonstance peut paraître une bagatelle insignifiante, mais je pense que pour prévenir une scission, et du point de vue des rapports entre Staline et Trotsky que j’ai examinés plus haut, ce n’est pas une bagatelle, à moins que ce ne soit une bagatelle pouvant acquérir une signification décisive.

Lénine le 4 janvier 1923


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message