"1968-2008... N’effacez pas nos traces !" (texte de Dominique Grange la chanteuse de Mai 68)

dimanche 25 mai 2008.
 

Nous sommes encore nombreux à nous rappeler que ces quelques semaines de mai-juin 68 ont changé le sens de nos existences et qu’à partir de là, rien n’a plus jamais été comme avant. Aussi, gardons-nous bien de culpabiliser. Et encore moins de laisser des imposteurs nous traîner dans la boue et faire comme si ce raz-de-marée social sans précédent n’avait pas représenté pour les travailleurs en lutte un véritable espoir de changer cette société.

L’héritage de Mai 68 nous appartient en propre et nul ne peut s’arroger le droit de nous empêcher de le transmettre tel qu’il est resté gravé dans nos mémoires −beau, généreux et joyeux− à ceux qui souffleront sur ses braises lorsque nous aurons disparu.

Soixante-huitards nous avons été et c’est notre fierté de le revendiquer encore et toujours, bien haut et bien fort, même si ça ne plaît pas à tout le monde... Tout comme les révolutionnaires de 1848 revendiquaient d’avoir été des Quarante-huitards, puis ceux de la Commune, des Communards ! C’est notre fierté, en effet, de nous être révoltés contre les profits capitalistes, contre la misère et l’exploitation des prolétaires, contre le racisme et les conditions de vie indignes faites aux immigrés, contre le sexisme sous toutes ses formes, contre toutes les discriminations et les atteintes aux libertés individuelles, contre la répression et les exactions policières, contre l’impérialisme, enfin, encore et toujours. C’est notre fierté d’avoir cherché à libérer, jamais à enchaîner. D’avoir toujours voulu donner la parole, jamais la bâillonner. D’avoir inlassablement dénoncé, jamais occulté. D’avoir espéré rassembler, jamais diviser. Alors, surtout, ne rougissons pas de nous être appelés fraternellement « camarade » ! D’avoir été de toutes les luttes, de toutes les batailles, même de celles qui étaient perdues d’avance, puisqu’il faut bien reconnaître que le rapport de forces nous fut rarement favorable.

Ne nous excusons pas d’avoir été des combattants sincères, d’avoir conservé intactes, jusqu’à aujourd’hui, nos capacités de révolte et d’indignation, tandis que certains reniaient leurs engagements passés, ridiculisant l’élan révolutionnaire de toute une génération, dans l’espoir de l’enterrer une bonne fois pour toutes. En Mai 68, nous sommes devenus des rebelles et pour beaucoup, nos vies ont basculé à jamais. Nous n’avons pas connu la terreur des dictatures fascistes mais nous avons connu la répression musclée des années Pompidou-Marcellin (le ministre de l’Intérieur de l’époque...), avec, pour un certain nombre d’entre nous, la clandestinité, la prison et les quartiers d’isolement.

Nous avons laissé derrière nous des camarades que nous aimions, de cette fraternité particulière tissée au cours des veilles de nos « actions de partisans », ou dans nos courses éperdues à travers Paris, lors des charges brutales des hordes policières. Nous avons laissé derrière nous de jeunes garçons aux cheveux longs qui se disaient prêts à donner leur vie pour la cause du peuple et l’ont donnée, un peu plus tôt, un peu plus tard, en 68 ou après, au cours de cette décennie des années 70 qui vit la fin de quarante ans de franquisme en Espagne, tandis qu’au Chili, en Uruguay, au Brésil, en Argentine, d’autres dictateurs entamaient leur abominable oeuvre de mort. Nous avons aussi laissé derrière nous des camarades moins jeunes, des vieux syndicalistes qui nous ont appris beaucoup sur le mouvement ouvrier et sur la Résistance, et nous ont accordé leur amitié et leur confiance. Comment ne pas penser avec affection et respect à tous ces camarades trop tôt disparus, en évoquant ces années d’engagement irréductible ?

Pour toutes ces raisons et malgré mon peu d’appétit pour les commémorations, j’ai décidé d’enregistrer ces quelques chansons qui, de l’insurrection de la Commune de Paris, en 1870, au mouvement social sans précédent de Mai 1968, des « années de poudre » chez nous aux « années de plomb » en Italie, des prisons françaises aux geôles berlusconiennes, de la résistance des « piqueteros » argentins à celle du peuple Mapuche, au Chili, balaient plus d’un siècle de luttes et d’insurrections, et invitent à feuilleter, page après page, l’album de notre mémoire collective.

... Parce que cet héritage, fait partie de nous, de ce que nous laisserons sans doute de meilleur à nos enfants, et parce qu’il représente l’espoir d’un autre futur, ne permettons à personne de les en déposséder.

Dominique Grange


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