FRANCO : une chance (« suerte ») pour le capital

jeudi 26 novembre 2015.
 

Son biographe (facho) Luis de Galinsoga (« Centinela de Occidente », Barcelone, ed. AHR, 1956, p. 302) ; raconte qu’à la fin du repas, au moment du café, Franco survole à la va que je te flingue, avec une froideur de tueur des abattoirs, tous, absolument tous les dossiers de condamnation à mort. Et la sentence tombe, glaciale. De sa main sanglante, il écrit le plus souvent :« enterado » (informé), ce qui condamne à mort le prisonnier politique, communiste, anarchiste, simple Républicain, syndicaliste UGT, CNT-FAI ... Une mort selon la forme que le tueur psychopathe en personne, avec sadisme, choisit : ( Preston, Paul, « El gran manipulador », Barcelona, ed. B, 2008, p. 86) : peloton d’exécution ou horrible et moyenâgeux « garrot » broyant le cou et les cervicales du supplicié.

« Franquito », ainsi appelé avec moquerie par ses collègues officiers putschistes (Mola, Sanjurjo, Queipo, Fanjul, Goded, Yagüe...), voire « Miss Canaries 1936 », et même « la culona » (« Madame gros cul »), a dû s’employer pour s’imposer comme chef unique et absolu. « Franquito » (unitesticulaire, selon son médecin), a un « super beau-frère » connu comme le « cuñadísimo », ministre des Affaires extérieures, et auteur lui aussi de « Mémoires » (1977) intéressantes . Il précise que le beauf’ pousse le sadisme jusqu’à faire en sorte que, si décision de grâce il y a, elle arrive trop tard, juste après le passage à l’acte du peloton.

FRANCO MALIN ET MANIPULATEUR . UNE GUERRE POLITIQUE

On a longtemps considéré Franco comme une brute épaisse fasciste, bigote, comme un couillon sanguinaire, au QI de « churro » bon marché.

Or le personnage est plus malin, calculateur, manipulateur et fin politique qu’on ne le dit. Il manœuvre habilement entre tous ceux qu’il soumet : l’Eglise, l’armée, la Phalange, les monarchistes, l’Opus Dei... Il construit lui-même et met en scène ses propres mythes, sa « légende », sa supposée « neutralité » (faux ! archifaux !) pendant la Deuxième Guerre mondiale ; il veut entrer en guerre aux côtés d’un Hitler qui le méprise et qui préfère, lors des rencontres de Montoire et d’Hendaye, l’offre de Vichy. Franco envoie quand même sur le front de l’Est, en juin 1941, aux côtés des nazis, des milliers de volontaires fascistes de la « Division Azul ».

Les grands historiens actuels : David Viñas, Reig Tapia, Javier Tusell, Julian Casanova, Paul Preston... comme Tuñon de Lara hier, en conviennent, Franco est moins couillon qu’il n’y paraît. La sauvagerie du « golpe » et de la Guerre (« L’Holocauste espagnol », selon l’expression et l’ouvrage de Paul Preston), la terreur semée par l’avancée, délibérément lente, des troupes coloniales franquistes (« Tercio » et « Regulares »), le « nettoyage » anti-rouge, la « purification », ont bel et bien un objectif politique fondamental : écraser définitivement la « conspiration communiste », les prolétaires, les ouvriers agricoles, les syndicats, empêcher tout retour en arrière, asseoir pour longtemps une domination franquiste et de classe absolue (se débarrasser aussi de possibles rivaux). Le nettoyage de classe, planifié, méthodique, doit faire en sorte que le système ne soit plus jamais menacé. Le « caudillo d’Espagne par la grâce de Dieu » mène, sous la forme d’une « croisade », d’une « mission divine » contre « l’antipatrie », une guerre très politique, et une grande entreprise d’accumulation de capital, de captation de plus-value.

FRANCO AU SERVICE DU CAPITAL

Pour les classes dominantes espagnoles, la lutte contre « l’ennemi intérieur » sert de revanche sur 1931 et 1936. Le « Patronat pour la Rédemption des Peines (de prison) par le Travail », utilise les dizaines de milliers de prisonniers politiques comme main-d’œuvre esclave dans les « Bataillons disciplinaires de travailleurs ». Les forçats qui construisent des barrages, des routes, des voies ferrées, des quartiers, des ports, des stades, des canaux d’irrigation, assurent la fortune des entreprises publiques et privées franquistes à qui ils sont livrés comme chair à exploiter pour trois francs-six sous. D’où le fameux « boom » économique des années 1960.

D’où aussi les terribles imprécations du tyran : « il faut semer la terreur » (Thomas, Hugh, The Spanish Civil War, Londres, 1961, p. 260), et son « Je sauverai l’Espagne du marxisme au prix qui sera nécessaire » (entretien avec le journaliste américain Jay Allen, Tetuan, 27 juillet 1939) , afin de garantir la consolidation du système capitaliste.

Les financiers et financeurs (ou leurs descendants) du « golpe », de la guerre et du franquisme, qui ont fait fortune sous la botte d’un Etat tyrannique et esclavagiste, grâce au travail forcé des « vaincus », figurent encore aujourd’hui parmi les premiers de l’Ibex 35 (équivalent du Cac 40). Les héritiers du banquier Juan March, financeur du pont aérien Maroc-Séville (pour transporter les redoutables troupes coloniales), et de l’avion anglais « Dragon Rapide » emmenant Franco des Iles Canaries au Maroc, possèdent FECSA (Force électrique de Catalogne), aujourd’hui absorbée par ENDESA, une des grandes multinationales mondiales (ORTIZ, Jean, « La République est de retour ! », Biarritz, ed. Atlantica, 2014, p. 79-87).

Les milliardaires frères Banus sont plus milliardaires que jamais, ainsi que le groupe ACS (BTP) de l’actuel président du Real Madrid, Florentino Pérez, et le géant du BTP Obrascon-Huarte-Lain (OHL) des Huarte. March, Banus, Huarte... les « grandes familles » s’empiffrent encore et encore... Alors « Franco la muerte », pourquoi, pour qui ?? Franco la « suerte », la chance du capital.

On comprend dès lors tout le grotesque du président du conseil des ministres, Arias Navarro, lorsque le 20 novembre 1975, éploré, il pleurniche et gémit à la télé : « Espagnols, Franco est mort ». Ses 38 médecins l’ont paraît-il débranché à 05h20 du matin. Après avoir rendu (et continué à rendre) de bons et loyaux services au capital espagnol.

Jean Ortiz


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